... Essouffler les journalistes... (et d'autres?)
Lien: LIBERATION.FR : mardi 15 juillet 2008
Sur le site Arrêt sur Images,
vous citez Claude Guéant comme étant la source de l'information comme
quoi "on tiendrait une suspecte pour le premier cambriolage de Ségolène
Royal". J'ai l'impression que cette information - pourtant importante -
n'a été reprise par aucun média. Le confirmez-vous ? Pour quelle(s)
raison(s)?
Daniel Schneidermann. Oui, je confirme que nous
n'avons eu aucune reprise sur ce point. Je rappelle les faits. Après
que Ségolène Royal a mis en cause (de manière tonitruante, un peu
maladroite, mais somme toute efficace), le "clan Sarkozy", à propos de
la mise à sac de son appartement, l'enquête policière sur le premier
cambriolage, dont elle avait déjà été victime, s'est miraculeusement
réveillée. Une dépêche de Reuters a expliqué "de source du ministère de
l'Intérieur" que les policiers étaient parvenus à identifier une
suspecte. Libération,
dans un article de Antoine Guiral, a donné la même information, cette
fois sourcée "d'un conseiller de Nicolas Sarkozy". Ce que nous avons
révélé sur le site d'Arrêt sur images, c'est que cette information
avait bien été donnée au cours d'un déjeuner avec nos deux confrères,
par Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée. La précision, à mes
yeux, est importante. Cela veut dire que c'est l'Elysée qui communique
directement sur cette enquête policière. Si cette piste devait se
dégonfler, l'Elysée porterait donc la responsabilité directe d'avoir
manipulé la presse.
Un phénomène un peu comparable s'est d'ailleurs produit à la fin de la
semaine dernière à propos de la visite en France de Bachar al-Assad.
Plusieurs journaux ont reproduit les confidences, "d'une source anonyme
à l'Elysée", expliquant que la Syrie n'était pas en cause dans
l'attentat du Drakkar qui a coûté la vie à 58 militaires français, en
1983. C'est une révélation importante. Il faudrait pouvoir fouiller les
choses à ce sujet. Comment se fait-il qu'elles ne sortent
qu'aujourd'hui, 25 ans plus tard? Or, en lisant de près la
transcription des propos qui a été faite par Le Monde,
on reconnaît facilement le style oral relâché qui caractérise Nicolas
Sarkozy. Donc, c'est bien Sarkozy lui-même qui, selon ce que dit
implicitement Le Monde, délivre ces révélations importantes.
S'il est vraiment sûr de ces informations, pourquoi ne les donne-t-il
pas publiquement? Sur ce sujet aussi j'ai fait un billet ce matin sur
le site d'Arrêt sur images. Et celui-là aussi, à l'heure où nous
parlons, n'a pas été repris. Cela nous ramène au sujet de la chronique
de cette semaine. Les journalistes sont en vacances. Ils ont sans doute
trop travaillé cette année (ce que je comprends très bien, il y a eu
beaucoup de travail). La Terre est priée de s'arrêter de tourner,
jusqu'au 18 août.
Clark. Vous parlez, à mon avis avec raison de "Royalgate". Même
si l'affaire se dégonfle, même si le gouvernement (ou le "clan
Sarkozy") n'est pas derrière ces intimidations, il y a tout de même
quelque chose de très curieux dans le fait que l'on "découvre",
subitement une suspecte, moins de 48h après les déclarations de Royal.
Est-ce que l'autre information qui est "opportunément" délivrée à la
presse juste avant le 14 juillet, ("la Syrie n'y est pour rien dans
l'affaire Drakkar") n'est pas similaire ?
Je viens de le dire, me semble-t-il. Voir plus haut.
Clark. Est-ce que la source pourrait être, là encore, Guéant ?
Encore une fois, voir plus haut. Il est vraisemblable que ce coup-ci,
elle est encore plus haut placée que Guéant, c'est ce que suggère, en
tout cas, la transcription du Monde.
Clark. Ce qui me turlupine le plus dans cette histoire n'est
pas tant l'attitude du gouvernement (on finit par être blasé) mais
l'étrange complaisance des médias. Pas un média pour relever. Qu'est-ce
que cela signifie? Que vos confrères n'accordent aucun crédit à cette
info, qu'ils sont vendus au pouvoir? Ou est-ce qu'ils sont vraiment en
vacances?
Je vous laisse choisir. D'une manière générale, il me semble que
pendant toute cette année le pouvoir est assez bien parvenu à
essouffler les journalistes. Ils sont peut être encore plus essoufflés
que d'habitude. Reste à savoir si c'est un de ces essoufflements dont
on se remet.
Arta. Sur les élections américaines, j'ai la vague impression
que depuis que Clinton a abandonné, les médias français ont quasiment
cessé de couvrir cet événement, qui me semble quand même capital pour
l'avenir du monde. Sporadiquement de vagues échos en attendant la
dernière ligne droite deux jours avant le résultat. Ce désintérêt
est-il justifié ?
Certainement pas. C'est un événement important. Il est vrai que
l'affrontement à la primaire démocrate entre Clinton et Obama a été
surmédiatisée, parce que chacun des deux étaient à sa manière une
icône. Il serait dommage que le match final soit à son tour sous
médiatisé.
Grimli. Est-ce que l'on ne risque pas de vous ranger
directement dans la case "fanatique de Ségolène Royal" ou
"antisarkozyste primaire", après ces informations sur
Royal/Guéant/Sarkozy/Lémédias/La Syrie et ne pas approfondir (cf. les
réactions épidermiques, comme celle de Joffrin la semaine dernière) ?
On me rangera dans la case que l'on voudra. Je n'ai pas l'impression de
prendre parti pour l'un ou pour l'autre en relevant ce que je viens de
vous raconter.
Fof. Vous avez exercé votre profession sous d'autres
présidences, celle-là (celle de Sarkozy) est-elle vraiment différente,
pire, pour un journaliste? Subissez-vous plus de pression, de
manipulation?
Je parlais tout à l'heure d'essoufflement. Et il me semble que la
pression que subissent les journalistes sous cette présidence-là est
plutôt de cet ordre-là. Les pressions-menaces ont toujours existé.
Elles sont moins fréquentes qu'on ne l'imagine. Les pressions-séduction
sont elles plus fréquentes qu'on ne l'imagine, au contraire. Elles sont
peut-être plus fréquentes sous cette présidence que sous la précédente.
Mais elles étaient très vives sous la présidence Mitterrand. Qu'il
s'agisse de séduction intellectuelle ou d'osmose politique, Mitterrand
tenait aussi beaucoup de journalistes politiques sous sa coupe.
Le phénomène nouveau avec Sarkozy, c'est vraiment l'essoufflement. Pour
revenir aux deux affaires précédentes que nous avons abordées au début
de ce chat, il me semble qu'elles marquent une évolution. Jusqu'alors
la communication sarkozyenne se faisait dans une transparence affectée.
Pour la première fois, on voit Sarkozy, ou l'un de ses collaborateurs,
demander le off, c'est-à-dire ne pas assumer de donner directement les
informations qu'il donne. Peut-être sont-ils en train de revenir à une
forme plus traditionnelle de la communication du pouvoir.
Clomani. Qu'avez-vous pensé de la prestation de Memonna
Hintermann en cireuse de pompes de Guaino, samedi soir, à l'édition de
la nuit sur France 3?
J'avoue que j'ai raté cette prestation. Mais vous me le faites regretter.
Alex. Comment avez-vous apprécié la Une de Libé de la semaine dernière sur Royal?
J'ai écrit sur Arrêt sur images que cette une est un tract anti-Royal.
C'est qui m'a le plus stupéfait c'est que Laurent Joffrin dans son
éditorial emploie plusieurs fois le mot cambriolage, alors que,
manifestement, il ne s'agit pas de cela, mais d'une tentative
d'intimidation, ce qui, à mes yeux, change tout.
Le signataire de cette chronique étant comme les autres un journaliste
essoufflé, nos chats s'interrompent, et reprendront, le mardi 19 août.
Affûtez vos questions!