Intervention sur la DEMOCRATIE PARTICIPATIVE. Ségolène Royal 24 Mai 2008
24 mai 2008
À l'occasion des 4èmes Rencontres Europe-Amériques sur la démocratie participative, le 23 mai 2008, à la Maison de la Région Poitou-Charentes
Intervention de Ségolène Royal,
Présidente de la Région Poitou-Charentes
Bonjour à toutes et à tous.
Et merci à vous, Richard Descoings,
d'être fidèle à ce rendez-vous annuel pour lequel, une fois encore, les
équipes de Sciences Po et de la Région se sont mobilisées ensemble.
Je
suis heureuse de vous souhaiter la bienvenue en Poitou-Charentes pour
ces 4èmes Rencontres sur la démocratie participative qui, cette année,
s'ouvrent à des chercheurs des 3 Amériques : celles du Sud, du Centre
et, pour la première fois, du Nord.
Merci aux scientifiques de nos deux continents de nous apporter l'éclairage de leurs travaux.
Et
merci aux élus et aux responsables gouvernementaux venus de Suède, de
République dominicaine et de Catalogne de verser à la réflexion commune
les démarches de démocratie participative qu'ils conduisent dans leurs
pays respectifs. S'il est une mondialisation féconde et toujours
heureuse, c'est celle de la circulation des idées et des initiatives
qui visent à associer plus directement nos concitoyens aux choix qui
les concernent.
Permettez-moi de remercier aussi deux fidèles de ce
rendez-vous annuel, dont les analyses nous empêchent, au cas où nous en
aurions la tentation, de nous endormir sur nos modestes lauriers
participatifs : Yves Sintomer, qui nous rejoindra cet après-midi, et
Loïc Blondiaux qui, lui, est déjà parmi nous. Leurs réflexions nous
accompagnent depuis longtemps.
1) 1ères Rencontres 2005 : le Budget Participatif des Lycées
Je me souviens de nos 1ères Rencontres, en juin 2005. La nouvelle
majorité régionale était élue depuis moins d'un an. Nous avions pris
devant les électeurs l'engagement de mettre la démocratie participative
en pratique, non pas comme un petit supplément d'âme sur des sujets
périphériques mais comme une démarche permanente appliquée aux
priorités de l'action régionale.
Nous avons présenté, dans cet
hémicycle, le Budget Participatif des Lycées créé quelques mois plus
tôt et le choix qui était le nôtre: commencer par le coeur de métier
historique des Régions françaises, les lycées, et un domaine qui
engage, en Poitou-Charentes, presque le quart du budget régional.
Notre
conviction était que la participation des citoyens ou des usagers d'un
service public ne doit pas être une vague consultation aux règles
floues et aux conséquences opérationnelles incertaines. Cette forme de
démocratie doit donner à ceux qui acceptent de s'y engager un vrai
pouvoir d'influer sur les politiques conduites en leur nom et, dans le
cas des Budgets Participatifs, d'orienter la dépense publique.
Ce n'est pas la même chose, en effet, de concéder à la marge une
petite enveloppe ou de permettre de peser sur les orientations
budgétaires d'une collectivité. C'est pourquoi nous avons décidé
d'affecter chaque année à notre Budget Participatif la somme globale de
10 millions d'euros.
Ce processus est expliqué dans le petit dossier
qui vous a été remis. J'en soulignerai simplement 3 caractéristiques, à
mes yeux essentielles :
– Premièrement, sa dimension doublement « inclusive », comme disent
les chercheurs : dans chaque établissement, les Assemblées du budget
participatif sont ouvertes à tous (élèves, personnels, parents) et, sur
l'ensemble du territoire régional, toutes les filières d'enseignement
(général, technologique, professionnel, agricole et adapté), tous les
milieux sociaux, toutes les zones d'habitation (urbaines, péri-urbaines
et rurales) sont concernées.
– Deuxièmement, l'attention portée à ce
qui est le plus difficile : la qualité de la délibération, en petits
groupes (propices à l'expression de chacun, même les moins habitués à
prendre la parole) et en séances plénières (moment d'échange des
arguments et de mutualisation des préoccupations dans une perspective
de construction de l'intérêt général) ;
Troisièmement, le pouvoir
effectivement partagé de décider puisqu'au terme du processus, les
participants votent sur les projets qu'ils ont eux-mêmes proposés et
estiment prioritaires (chacun dispose de 10 bulletins qu'il peut
répartir à son gré) ; la Région s'engage à financer non pas toutes
leurs propositions mais celles arrivées en tête, ce qui correspond en
général aux 3 premiers projets qui ont recueilli le maximum de
suffrages dans chaque lycée.
Aujourd'hui, ce Budget participatif, généralisé à tous les
établissements de la région, est entré dans les moeurs. L'expérience
concrète a eu raison des craintes, des réticences et des résistances
qu'il a suscitées lors de sa création.
La participation augmente
régulièrement, preuve sans doute que l'appétit participatif vient... en
participant et au vu des résultats.
2) 4èmes Rencontres 2008 : Ateliers Participatifs et Jurys Citoyens
Je sais que l'expression « jury citoyen» est souvent mal comprise,
en France, à cause de son rapport avec les jurys d'Assises et peut
laisser croire qu'il y a là un pouvoir de condamnation. C'est pourquoi
nous les appellerons Ateliers Participatifs d'évaluation citoyenne.
Nous
voilà maintenant en 2008 et je suis heureuse, à l'occasion de ces 4èmes
Rencontres, de vous annoncer que nous venons de franchir un nouveau pas
en mettant en place ces Ateliers Participatifs tirés au sort et chargés
d'évaluer l'efficacité des politiques régionales dans différents
domaines où la Région intervient.
C'est,
là aussi, un engagement que nous avions pris devant les électeurs. Nous
avons tenu parole avec le souci d'avancer sans précipitation mais avec
détermination, de l'amont (les décisions) à l'aval (leur évaluation).
En prenant le temps de caler à chaque fois une méthodologie qui tire
les leçons d'expériences menées ailleurs (c'est pourquoi ces Rencontres
annuelles nous sont si précieuses) et s'efforce de répondre aux
attentes des citoyens dans le contexte qui est le nôtre, en liant
étroitement ces deux préoccupations pour moi indissociables :
l'approfondissement politique de la démocratie et l'efficacité de
l'action publique.
3) La remise en cause de nos façons de travailler
Cela suppose d'accepter l'impact en retour de la démocratie
participative sur nos façons de travailler. Ce choc-là n'est pas le
moindre ! Pour les élus comme pour les fonctionnaires. Il a bousculé
l'idée que chacun se faisait de l'exercice de son mandat ou de son
métier.
Nous avons été confrontés à une obligation de transparence
et de reddition des comptes que je crois salutaire mais qui constitue
une petite révolution culturelle, parfois vécue comme déstabilisante.
Chacun,
cependant, s'est peu à peu aperçu de l'intérêt qu'il y avait à pouvoir
s'appuyer sur l'intelligence collective des citoyens. Les préjugés et
les préventions ont battu en retraite. Et c'est pour moi une grande
satisfaction de découvrir que, de lui-même, tel ou tel service de la
Région prend aujourd'hui l'initiative d'une démarche participative qui
lui semble aller de soi.
Ces citoyens que certains disaient trop
ignorants pour juger en connaissance de cause, trop égoïstes pour se
hisser au niveau de l'intérêt collectif, trop naturellement dépensiers
pour optimiser la dépense publique, trop ceci ou pas assez cela, et
bien ils se sont révélés à l'usage fort sensés, fort responsables,
capables de poser des questions très pertinentes et d'effectuer des
choix judicieux.
Mieux : nous leur devons une véritable « opération
vérité » sur nos procédures et le chiffrage des opérations qui nous
incombent.
Je ne réduis bien sûr pas la démocratie participative à
une simple technique managériale mais elle nous aide beaucoup à faire
qu'« un euro dépensé soit un euro utile ». L'argent public, fruit de
l'impôt, est celui des citoyens. Ce n'est donc que justice qu'ils
puissent participer plus directement aux choix et aux évaluations
concernant son utilisation.
4) Légitimité politique et expertise d'usage des citoyens
Budget Participatif ou Atelier Participatif d'évaluation citoyenne,
c'est la même conviction qui nous anime : les citoyens ont une
légitimité politique à s'occuper des affaires communes non seulement
lors des rendez-vous électoraux mais pendant toute la durée d'une
mandature. Ils ont en outre une expérience concrète de ce qu'ils vivent
quotidiennement, une expertise d'usage que des traditions politiques
jacobines, un certain tropisme technocratique et une conception souvent
frileuse de la démocratie nous ont, en France, trop longtemps dissuadés
de mobiliser.
Lorsque les citoyens sont placés dans les conditions
d'une délibération de qualité (c'est le point central et l'objet de vos
travaux d'aujourd'hui), lorsqu'on ne cherche pas à les transformer en
tenants d'une expertise savante, lorsqu'on leur donne les moyens de
produire un avis éclairé, leur apport est un formidable enrichissement
de l'action publique.
5) Pour des politiques publiques réactives
Au fil d'une assez longue expérience politique, j'ai souvent
constaté que des politiques publiques animées des meilleures intentions
pouvaient rater leur objectif, ne pas atteindre ceux auxquels elles
étaient destinés ou les enferrer dans la situation dont elles devraient
les aider à sortir ou encore s'accompagner d'effets pervers non pris en
compte à l'origine. Les signaux d'alerte ne fonctionnent pas toujours
et elles continuent sur leur lancée jusqu'à la prochaine échéance
électorale comme s'il s'agissait de tankers trop lourds à manier pour
qu'on rectifie le cap en cours de traversée.
Ma conception de l'action publique est à l'inverse.
Il
faut, bien sûr, fixer un cap et des objectifs auxquels mesurer les
résultats. Mais, de nos jours, les politiques publiques doivent être
plus réactives. Elles doivent pouvoir être ajustées, chemin faisant,
aux attentes des citoyens et être rectifiées dans une temporalité plus
brève que l'écart entre deux mandats.
L'expertise technique est nécessaire mais elle doit pouvoir être croisée avec l'expertise citoyenne.
La
modernisation de l'action publique comme la revitalisation de la
démocratie sont à ce prix. C'est pour cela que nous mettons en place
des Ateliers Participatifs Citoyens qui évaluent nos politiques dans
différents domaines : les bourses d'aide à la création d'activités et
d'emplois, la lutte contre le changement climatique, les actions
variées mises en place dans les lycées, le micro-crédit régional,
l'installation des jeunes agriculteurs, etc.
6) Un faux procès en populisme
Je me souviens d'avoir parlé pour la première fois des Jurys
Citoyens en 2002, à la tribune de l'Assemblée nationale. Dans
l'indifférence générale. En 2004, nous avons intégré ce projet dans
notre programme régional pour la mandature.
Mais lorsqu'en 2006, je les ai à nouveau évoqués, quel tollé !
Je
vous fais grâce de tous les noms d'oiseaux dont on m'afffublât alors
mais je ne résiste pas au plaisir de vous citer cet extrait d'une des
charges les plus virulentes : « Depuis plusieurs années, on cherche par
tous les moyens à donner le pouvoir à des non élus pour éviter et
contourner le suffrage universel. Des peureux et des battus, des
riches, des prétentieux, certains intellectuels, des ratés et j'en
passe, veulent gouverner sans l'onction du peuple. C'est contraire aux
principes fondamentaux de la République. On sait bien que tout cela
déborde très vite sous la pression des petits justiciers de chef-lieu
de canton qui crient plus fort que les autres. Pourquoi aussi ne pas
embarquer les élus sur un cheval et les emmener dans la pampa pour les
pendre haut et court, comme au bon vieux temps du Far West ? Trêve de
plaisanteries : la démocratie est fragile et doit rester à l'abri des
gadgets ».
Sur tous les tons, on instruisit contre moi un féroce
procès en populisme (mais les Français, eux, trouvèrent majoritairement
l'idée intéressante). Pourtant, le meilleur moyen de contrer le
populisme qui instrumente les peurs et les ressentiments de ceux qui se
sentent délaissés et méprisés, c'est justement d'ouvrir plus largement
les portes de la démocratie en donnant aux citoyens un pouvoir accru de
contrer le désordre des choses et d'influer sur le destin collectif.
Le
populisme se méfie comme de la peste des citoyens informés et éclairés,
capables de confronter leurs arguments dans le respect mutuel. C'est le
sentiment d'impuissance qui alimente le populisme. Et c'est le
sentiment d'appartenance constructive à une collectivité qui tient
compte de leur avis qui renforce l'attachement des citoyens à la
démocratie et désamorce la peur de l'autre.
Le lieu de la politique,
c'est la société. Dans l'espace politique doivent s'articuler le
particulier et l'universel. Alors oui, le meilleur antidote à la
démagogie populiste, cette promesse fallacieuse de fusion au rabais,
c'est une démocratie participative bien pensée et loyalement mise en
pratique, qui redonne du poids à la parole de ceux qui peuvent la
prendre et de ceux qu'on invite à la prendre.
7) Démocratie participative et démocratie représentative :
mieux exercer son mandat
J'entends dire, parfois, que la démocratie participative nierait la
compétence et ferait bon marché de la responsabilité élective. Quel
contre-sens ! La démocratie participative n'est pas l'ennemie de la
démocratie représentative mais son renfort, son complément, son
aiguillon indispensable.
Ici, en Poitou-Charentes, ces confusions
nous font sourire car les élus régionaux savent bien, d'expérience,
que, loin de les dessaisir, le Budget Participatif et les Ateliers
Participatifs d'évaluation citoyenne les aident à mieux exercer leur
mandat et à agir plus juste.
Je ne crois pas, chers amis venus de
Suède, de République dominicaine et de Catalogne, que vous viviez la
démocratie participative que vous mettez en pratique comme un
amoindrissement de vos responsabilités. Chez vous comme chez nous, les
élus qui s'engagent dans ces démarches ne sont pas masochistes mais
soucieux de renouer avec la force originelle de la démocratie : le
droit égal de tous à prendre part aux affaires communes.
8) Tirage au sort : mieux refléter la diversité sociale
J'ajoute que mon expérience personnelle de responsable politique m'a
très tôt convaincue de ce que nombre d'enquêtes de terrain mettent
également en évidence : les dispositifs participatifs fondés sur le
volontariat tendent à rassembler en priorité ceux qui ont l'habitude de
s'exprimer, ceux sont assurés de leur compétence culturelle, technique
ou civique, ceux qui ont le temps. Généralement sous-représentés : les
femmes salariées qui ont de jeunes enfants (du fait de la double
journée qui pèse prioritairement sur leurs épaules), les salariés de
toutes origines qui sont les moins qualifiés, les jeunes aussi.
J'en ai tiré deux leçons :
–
la plupart des gens n'ont pas de temps à perdre dans des réunions sans
enjeux ou des simulacres de participation où ils ne peuvent peser sur
rien d'essentiel ;
– le tirage au sort permet, s'il est bien fait,
de corriger cette sous-représentation structurelle de catégories
entières de la population, à commencer par les milieux populaires.
Je
suis donc très heureuse que, dans l'Atelier Participatif Citoyen chargé
d'évaluer nos politiques régionales de lutte contre le changement
climatique, se soient mêlés (grâce à un tirage au sort appuyé sur les
données socio-démographiques régionales de l'INSEE) des actifs et des
chômeurs, des retraités et des mères au foyer, des salariés du public
et du privé, des ouvriers et des cadres, des enseignants et des
artisans, venus de nos différents territoires urbains et ruraux.
9) L’espoir que ce ne soit pas pour rien
J'ignore, à ce stade, ce qu'il nous en dira dans l'Avis qui sera
remis publiquement aux élus régionaux le 23 juin et les propositions
qu'il formulera. Car la Région, initiatrice et organisatrice de cet
Atelier Citoyen, a pris soin de ne pas assister à ses discussions et à
ses délibérations pour ne pas les influencer.
Ce que je sais c'est ce que les participants nous ont dit de l'expérience qu'ils ont vécue :
leur étonnement d'avoir été contactés et d'être pris au sérieux,
l'envie suscitée lorsqu'ils en ont parlé autour d'eux,
leur prise de conscience de problèmes dont ils n'étaient pas familiers,
l'effort fait par chacun pour s'approprier un sujet complexe
et tenir un rythme de travail intensif,
leur volonté d'élaborer ensemble un Avis motivé et sérieux,
dans une ambiance où la parole de chacun était respectée.
Leur espoir, surtout, que ce ne soit pas pour rien : que la Région
tienne parole en leur donnant clairement les raisons pour lesquelles,
le cas échéant, elle refuse certaines de leurs propositions et en leur
indiquant précisément les conséquences concrètes qu'elle tire des
propositions qu'elle retient pour améliorer ou réorienter ses
politiques.
La démocratie participative est exigeante. Elle ne
s'accommode pas de faux-semblants. Si l'on ne tient pas compte du
travail demandé aux citoyens, non seulement on ne les y reprendra plus
mais l'effet boomerang de leur déception peut saper durablement les
bases de leur adhésion démocratique.
Qu'on ne s'étonne pas, alors,
que l'abstention augmente car, comme le disait Albert Hirschmann, quand
la prise de parole est réputée inutile, la défection devient l'attitude
rationnelle.
Quand je vois nos amis brésiliens qui, dans leur
Constitution de 1988 et le Statut de la Ville adopté en 2001, ont donné
force de loi à la gestion participative, quand je vois l'élaboration
participative du projet de statut de la Catalogne ou la loi sur la
démocratie participative adoptée par la Toscane, je me dis qu'il nous
reste, en France, bien du chemin à parcourir.
10) 2002 : 1ère occasion manquée
C'est pourquoi je voudrais élargir mon propos à ce que je tiens pour
quelques rendez-vous manqués de mon pays avec la démocratie
participative. Et cela malgré les expériences qui, depuis quelques
années, se développent à l'initiative d'élus motivés.
Depuis un
quart de siècle, nous avons décentralisé, hardiment au début des années
80, plus confusément au début des années 2000. Il le fallait. Cela n'a
pas toujours été fait dans l'équité financière ni avec un grand souci
de cohérence et de solidarité territoriale. Et cela n'a que très peu
contribué à démocratiser le fonctionnement de nos institutions.
Les
espaces ouverts à la participation des citoyens ont toujours été des
plus modestes et des plus encadrés. Rien de décisionnel, que du
consultatif, du facultatif et, souvent, du cosmétique.
Lors de la
discussion parlementaire de la loi de 2002 qui a institué les conseils
de quartier, l'expression « démocratie participative » a très vite cédé
la place à celle, minimaliste, de « démocratie de proximité ».
Les
conseils de quartier, dont la création devait initialement concerner
toutes les communes de plus de 20.000 habitants, n'ont finalement été
rendu obligatoires que pour celles de plus de 80.000 habitants.
Cantonnés
à un échelon de moindre pouvoir, ces conseils de quartier n'ont la
libre de disposition que de petites enveloppes sur de petits sujets. Ce
n'est pas rien mais ce n'est pas beaucoup. Résultat : quelle que soit
la bonne volonté des élus qui les ont mis en place et des habitants qui
ne les désertent pas, ils s'essouflent et, souvent, finissent par ne
rassembler que ceux qu'on appelle les « habitants professionnels »,
toujours partants pour une réunion.
Je ne le dis pas de gaieté de
coeur car cette loi était portée par un gouvernement de gauche auquel
j'appartenais. Elle s'est heurtée, si timide qu'elle ait été, à de
fortes résistances d'élus de droite et de gauche. Pourtant,
historiquement, c'est la gauche qui fut, en France, la plus encline à
ouvrir de nouveaux droits. L'honnêteté m'oblige pourtant à dire que
cette loi sur la « démocratie de proximité » ne fut ni l'Acte II
attendu de la décentralisation ni l'Acte I d'une démocratie plus
participative, pourtant largement expérimentée à la même époque dans
bien d'autres pays.
11) 2003 : 2ème occasion manquée
En 2003, cette fois sous un gouvernement de droite, nouveau
rendez-vous manqué à l'occasion d'une réforme qui inscrit dans notre
Constitution la décentralisation mais toujours pas la démocratie
participative.
Je m'en tiens ici à ce qui concerne la participation
des citoyens (il y aurait beaucoup à dire du reste !) : tout juste
a-t-on concédé, au titre de ce que le Premier Ministre de l'époque
avait pompeusement baptisé « République des proximités », un modeste
droit de pétition qui permet aux citoyens de solliciter l'inscription
d'un sujet à l'ordre du jour d'une collectivité. Et encore ce droit
mineur était-il encadré par de strictes conditions pour ne pas, comme
l'a dit alors un sénateur, donner lieu « à des demandes répétées ou
abusives ».
Le referendum d'initiative locale qui a, lui, une portée
décisionnelle fut réservé aux exécutifs des collectivités
territoriales. Démocratie fort descendante et bien peu ascendante…
Comme l'a écrit Cécile Blatrix, ici présente, il s'agissait « de donner le change plus que de changer la donne ».
J'avais
à l'époque opposé une démocratie participative ouvrant aux citoyens de
nouveaux espaces de délibération et d'intervention à cette démocratie
de proximité timorée et méfiante.
12) Participer : une injonction paradoxale
Depuis ces deux rendez-vous manqués, nous sommes toujours sous le
règne de l'injonction paradoxale : participez, répète-t-on aux citoyens
sur tous les tons, mais si vous parlez trop fort, on vous coupera la
parole, si vous sortez des clous, on vous tapera sur les doigts et, de
toute façon, les choses importantes se passent ailleurs.
Quand
j'entends stigmatiser à tort et à travers l'égoïsme, l'individualisme,
la fixation sur les intérêts particuliers, le désintérêt pour la chose
publique et autres défauts sempiternellement imputés à nos concitoyens,
je me dis qu'en démocratie, on récolte ce qu'on sème.
Rémi Lefebvre
évoque, dans un ouvrage collectif sur « La démobilisation politique »,
quelque chose qui nous ramène directement au sujet d'aujourd'hui :
quelle délibération pour quelle participation ? Il raconte comment,
après avoir effectué un consciencieux porte à porte, certains élus
s'effarent que les gens chez qui ils sonnent ne leur parlent que de
problèmes très particuliers et s'inscrivent, d'emblée, dans une
relation de type clientéliste. Ils y voient la confirmation de cet
individualisme auto-centré qui rendrait le peuple de plus en plus
incivique. Ils ne semblent pas s'être avisés que la situation même du
porte à porte, cette forme de rencontre individualisée et impromptue,
pouvait induire le comportement qu'ils déplorent.
Les mêmes
habitants, dans un Atelier Participatif d'évaluation citoyenne prenant
le temps et les moyens d'une délibération collective et informée,
auraient, j'en suis sûre, adopté une tout autre posture. Car ce ne sont
pas « les gens » qui sont d'abord en cause mais, souvent, les
conditions dans lesquelles la parole des citoyens est sollicitée.
13) 2008 : 3ème occasion manquée
Aujourd'hui, voilà qu'à nouveau on s'apprête à modifier notre
Constitution (le tiers de ses articles) et que l'occasion n'est, une
fois encore, pas saisie d'y faire entrer la démocratie participative.
On
modifie quelques équilibres entre l'exécutif et le législatif, encore
que, dans l'exercice effectif du pouvoir, les choses risquent d'être
moins radieuses que ce qui est annoncé.
Mais, pour les citoyens, on
n'a quasiment rien prévu si ce n'est la possibilité de saisir le
Conseil Constitutionnel dans le cadre d'une procédure juridique que le
justiciable considérerait comme contraire aux droits fondamentaux
constitutionnellement garantis et la création d'un Défenseur des Droits
du Citoyen qui réunit trois Autorités indépendantes jusque là
distinctes. Je n'ai rien contre mais le compte n'y est pas !
Pas de
garantie claire, non plus, sur l'éventualité d'introduire enfin le
référendum d'initiative populaire que nombre de pays voisins pratiquent
depuis belle lurette.
Et pas un mot de ce qui constitue depuis
toujours le frein majeur à toute démocratisation de la démocratie
française : le Sénat et son mode d'élection archaïque, injuste, qui
garantit depuis un demi-siècle l'inamovibilité d'une majorité de droite
quelles que soient, dans le pays, les alternances
politiques.
Tout
se tient : une démocratie représentative verrouillée et la mise à
distance obstinée de quelque forme que ce soit de démocratie
participative.
Et l'on s'étonne que les citoyens ne se passionnent pas pour ce débat !
Encore une occasion manquée. Encore du temps perdu. Et un système replié sur lui-même.
Bien
sûr, dans les territoires, des élus innovent et ouvrent grandes les
fenêtres. Mais ce mouvement est privé de l'effet de levier que
représenterait la constitutionnalisation d'une démocratie réellement
participative, la reconnaissance de sa légitimité par notre loi
fondamentale. Sans entrer dans le détail des outils mais en affirmant
un principe fort.
14) La démocratie participative pour réussir des réformes justes
Je ne commenterai pas ici l'exercice très particulier du pouvoir qui se donne aujourd'hui à voir à la tête de l'Etat.
J'observe
simplement qu'une fois encore, on traite avec bien peu d'égards ce
tiers encombrant, ce tiers intempestif, ce tiers sans lequel, en
démocratie, rien n'est possible : le citoyen. On le harcèle de
sondages, on convoite périodiquement ses suffrages, mais on n'attend
pas de lui qu'il s'implique, réfléchisse et propose avec d'autres.
J'observe également qu'à surjouer la toute-puissance du chef solitaire, on récolte l'inefficacité, la déception, les conflits.
Je
ne crois pas aux « réformes » qui s'abattent sur les citoyens comme un
oukase. Même quand elles sont animées de principes de justice, elles
doivent être débattues et, le cas échéant, amodiées par une discussion
démocratique qui, de nos jours, doit associer bien plus largement et
plus directement élus et citoyens.
On ne pilote plus comme avant les sociétés complexes qui sont les nôtres.
On ne décide plus comme avant dans les situations d'incertitude qui sont désormais notre lot.
On
ne consent pas d'efforts sans avoir débattu de leur bien-fondé et pu
arbitrer entre les priorités. La concertation avec les corps
intermédiaires (associations, syndicats) est nécessaire. La
consultation directe des citoyens l'est aussi.
15) De l'importance des questions pour des réponses efficaces et une démocratie forte
J'entends dire, parfois, que poser des questions prouve qu'on n'a rien à dire.
Je
crois, tout au contraire, qu'interroger les citoyens sur leurs attentes
et sur les effets des politiques publiques, leur permettre de peser
effectivement sur leur définition et leur conduite, cela enrichit
l'action dont on a la charge, renforce la légitimité des décisions
politiques, aide à mieux assumer ses responsabilités électives et, au
bout du compte, ce que je ne crains pas d'appeler le leadership
politique.
La démocratie participative n'est pas le risque d'une
démocratie faible mais la condition d'une démocratie forte, capable
d'empoigner son temps et de vaincre pire que la peur de l'avenir : la
peur de ne pas avoir d'avenir.
J'entends dire, parfois, que les gens
n'ont que faire des questions et se moquent bien qu'on les interroge :
ce qu'ils veulent, ce sont des réponses.
Bien sûr, les Français
veulent des réponses aux difficultés qui les assaillent mais pas
n'importe quelles réponses : des réponses efficaces parce que
construites avec eux, témoignant d'une juste perception de leurs
craintes et de leurs espérances, attentives aussi à ce qu'ils sont
capables de proposer.
Les bonnes réponses procèdent des questions bien partagées et bien posées.
Le
temps passé à y réfléchir avec celles et ceux qu'elles concernent
directement n'est pas du temps perdu : c'est du temps gagné pour
l'action.
A tous ceux qui croient pouvoir sauter directement aux
réponses sans prendre le temps des questions, je dédie cette phrase de
Saul Alinski, dans le sillage duquel Barak Obama fit jadis ses classes
d'organisateur de quartier à Chicago : « Ce n'est pas un hasard,
écrivait Saul Alinski, si le point d'interrogation ressemble à une
charrue renversée qui retourne la terre dure des vieilles croyances et
la prépare pour de nouvelles semailles »...
1 6) Pas une affaire de « pédagogie » ou de « communication » !
J'entends aussi dire, parfois, que la démocratie participative doit
se borner à une « pédagogie » des élus à destination des électeurs.
Mais cela se saurait si les dysfonctionnements actuels de notre
démocratie se limitaient à un banal problème de « communication » ou de
« pédagogie » !
Cette conception verticale, paternaliste, d'une
parole qui circule à sens unique : de ceux qui savent (élus, experts) à
ceux réputés ne pas savoir ou ne pas comprendre (citoyens, usagers),
cette conception-là est totalement dépassée.
Tout comme ce véritable
déni de citoyenneté : l'oubli par le gouvernement des « actions de
groupes » (class actions) qui permettraient aux consommateurs d'agir
ensemble, par exemple, contre l'hégémonie des grands distributeurs,
fortement responsable de la dégradation actuelle du pouvoir d'achat des
Français. C'est aussi cela, pour moi, une démocratie plus participative
et des contre-pouvoirs utiles.
De plus en plus instruits, de plus en
plus informés, de plus en plus attentifs à leurs droits, les citoyens
supportent de moins en moins d'être exclus du jeu.
Voilà pourquoi le pouvoir ne peut plus s'exercer comme avant et c'est, au fond, une excellente nouvelle.
17) Des règles formalisées pour un contrat participatif loyal
Pour ne pas être un leurre ou une promesse mal tenue, la
participation citoyenne suppose quelques règles du jeu claires et
formalisées car elles sont la base d'un engagement réciproque, d'un
contrat participatif loyal. Les procédures n'ont pas besoin d'être
sophistiquées à l'extrême car je crois qu'en matière de démocratie
participative, le mieux, s'il débouche sur des usines à gaz, devient
vite l'ennemi du bien. Elles doivent garantir que les conditions de la
délibération citoyenne ne sont pas biaisées, instrumentalisées,
manipulées car, comme l'a écrit Bernard Manin, « la décision légitime
n'est pas la volonté de tous mais celle qui résulte de la délibération
de tous ». Cela suppose une information contradictoire, l'égalité de
traitement des participants et, en contre-partie de leur engagement, le
pouvoir d'influer effectivement sur tout ou partie de la décision.
Telles
sont, à mes yeux, quelques conditions à respecter, ce qui, je vous
l'accorde, n'épuise pas la question du : comment faire ?
Mais vous allez, là-dessus, nous éclairer.
18) Des nos Rencontres annuelles à quelques coopérations européennes
Ces Rencontres annuelles, ce sont aussi des amitiés et des
complicités qui débouchent sur des coopérations au long cours. Je pense
aux projets européens qui associent aujourd'hui le Poitou- Charentes,
la Catalogne et la Toscane.
Je pense en particulier à celui qui nous
permettra d'organiser, en novembre prochain, une Assemblée
participative électronique qui se déroulera simultanément dans nos
trois Régions sur le thème du changement climatique.
Je pense aussi
au Réseau Européen pour la Démocratie participative dont avons jeté
ensemble les fondations pour mettre en commun les bonnes pratiques et
favoriser la construction d'un savoir commun accessible à tous.
Merci à toutes et à tous, encore une fois, d'avoir fait le voyage jusqu'à notre Maison de la Région.
Merci aux étudiants de Sciences Po Poitiers pour leur mobilisation.
Je
ne pourrai pas rester avec vous toute cette journée car je dois
retourner auprès des pêcheurs qui, dans le port de La Rochelle,
protestent contre l'envol du prix du carburant qu'ils subissent de
plein fouet.
Je vous laisse mon équipe d'ardents promoteurs de la
démocratie participative : ils me rendront compte de vos échanges car
ils savent le prix que j'y attache et tout le parti que nous en tirons
pour l'action que nous menons en Poitou-Charentes.
Je vous remercie et vous souhaitent d'excellents travaux.