Rencontre entre le Dalaï Lama et Ségolène Royal: Verbatim
Ségolène Royal : comment faites vous pour tenir, écarté de votre pays et des souffrances qu’il endure ?
Dalaï Lama : grâce à la compassion. La compassion,
c’est être concerné par les autres. Je répète souvent une prière :
« aussi longtemps qu’il y aura des êtres humains puis-je demeurer
vivant pour diminuer la souffrance du monde » Cette prière me donne la
force intérieure et même l’enthousiasme. Ce qui est important c’est
d’avoir un but juste et une motivation sincère.
Ségolène Royal : comment faites vous pour communiquer avec le Tibet ?
Dalaï Lama : c’est très difficile, il y a un blocage
de l’information. Ils ont confisqué la plupart des téléphones
portables. La répression est extrêmement brutale. Il n’y a pas de trêve
olympique.
Cela fait maintenant trois générations qui sont victimes de l’oppression. Se sont soulevés les grands-parents, les parents et maintenant leurs enfants. Aujourd’hui ceux qui manifestent ne sont pas seulement des moines, des nonnes, mais aussi des paysans et des étudiants à l’université de Pékin. Beaucoup de Chinois en particulier parmi les dirigeants ont été surpris de l’ampleur de ces manifestations. Peut-être vont-ils maintenant considérer la situation plus objectivement et avoir une approche plus réaliste ?
En dépit du développement économique les Tibétains ne sont pas
satisfaits de leur sort. Il faut une solution qui respecte la
constitution chinoise et qui soit mutuellement acceptable. Il y a des
casernes qui sont construites partout au Tibet. Il y a un vrai danger
que les Tibétains deviennent une minorité dans leur propre territoire
comme c’est le cas en Mongolie. Nous avons reçu une information fiable
selon laquelle 1 million de Chinois supplémentaires seraient envoyés au
Tibet immédiatement après les Jeux Olympiques.
Ségolène Royal : ces Chinois sont-ils forcés, incités à venir ?
Dalaï Lama : il s’agit de gens qui ne peuvent pas
trouver de travail chez eux et qui bénéficient d’aides financières pour
venir au Tibet.
Ségolène Royal : je voudrais avoir votre avis : je
souhaite aller voir par moi-même au Tibet comment les choses se
passent. Cela vous paraît-il utile ?
Dalaï Lama (qui a exprimé un étonnement joyeux) :
c’est une très bonne idée ! Il faut le faire un jour mais il faut que
vous puissiez y aller avec des personnes qui parlent chinois et
tibétain et avoir la liberté de prendre des contacts directs en dehors
de ceux qui seraient préparés officiellement. D’une grande nation,
d’une super-puissance, on est en droit d’exiger plus de transparence.
Les Chinois affirment qu’il n’y a pas de problème tibétain, que le problème c’est le Dalaï Lama. Au début des années 80, ils m’ont fait des propositions concernant mon statut. J’ai répondu que ce n’était pas le problème, le problème ce sont les droits, la culture de 16 millions de Tibétains. Le Boudhisme tibétain est partagé dans le nord de l’Inde, le Népal, la République de Mongolie et par beaucoup de Chinois. Par ailleurs, il faut bien voir que tous les grands fleuves d’Asie viennent du Tibet. Or, il y a déjà eu 40% de déforestation en 30 ans. Tout bouleversement écologique au Tibet toucherait des milliards de personnes.
Ségolène Royal : plusieurs initiatives peuvent être
prises : pensez-vous utile que je demande une rencontre directe entre
vous même et les autorités chinoises avant la fin des JO, une saisine
du Conseil de sécurité de l’ONU, une inscription à l’ordre du jour du
prochain Conseil européen…?
Dalaï Lama : oui. Toutes les initiatives sont utiles mais pour que ces initiatives d’espoir soient suivies d’effet, il faut absolument qu’elles soient liées à une avancée réelle vers une solution d’autonomie négociée.
Votre demande est très intéressante, je vais vous envoyer une des deux personnes qui négocie pour moi depuis 5 ans pour que vous puissiez être informée en détail des discussions qui ont eu lieu.
Par ailleurs, la Chambre des Représentants et le Sénat américains et le parlement européen ont adopté des résolutions disant que le Tibet devait être considéré comme un pays occupé. Face à cette reconnaissance, les Chinois exigent systématiquement que je reconnaisse leur version de l’histoire selon laquelle le Tibet serait Chinois depuis le 13ème siècle. Après tout, il s’agit que les Chinois acceptent de reconnaître la réalité : Hong-Kong par exemple est un territoire chinois mais avec un statut d’autonomie.
Ségolène Royal : comment les principes du Boudhisme peuvent-ils se transformer en force capable de résoudre les problèmes ? Comment la non-violence peut-elle être plus forte que la violence ? Comment l’humilité peut-elle donner la force face à l’oppression ?
Dalaï Lama : c’est difficile, je développe de la compassion. J’essaie de prendre avec moi l’incompréhension et l’agressivité. C’est en tout cas, très utile pour moi. J’ai pleine confiance dans le peuple chinois. S’il savait vraiment ce qui se passe au Tibet, il serait favorable à une solution négociée mutuellement profitable.