Enfermés dehors
Enfermés dehors (3/3): qu'avons-nous fait de nos fous? Sur Marianne
Les sans-abri sont-ils les victimes de la politique psychiatrique menée en France depuis trente ans? La fermeture des lits en hôpital psychiatrique n’a-t-elle pas jeté à la rue des malades qu’hier la société prenait encore en charge? Pour le savoir, regardez ce troisième et dernier épisode de notre enquête sur les SDF.Dans une tribune intitulée «Ce que j'ai à dire sur les sans-domicile-fixe» et publiée dans le Monde le 2 décembre dernier, Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et ancien président d'Emmaüs France, racontait son «malaise quand les premiers bâtiments qui ont été mobilisés pour des places de stabilisation sont d'anciens pavillons de psychiatrie désaffectés... Ceux qui pour une part sont à la rue, quand ils auraient nécessité une hospitalisation dans un service de santé mentale, se retrouvent des années plus tard dans les anciens hospices, avec les soins en moins...». La fermeture des lits en psychiatrie aurait-elle rempli les rues?
Une partie de nos sans-abri seraient donc les victimes de la politique de sectorisation de la psychiatrie menée en France depuis plus de trente années. L'historien Roland Hureaux la décrit ainsi dans un commentaire posté sur le premier article de cette série: «Cette théorie issue des critiques de Michel Foucault et d'autres contre l'"enfermement" et des courants de l'antipsychiatrie a mené à ne garder en hôpital que le minimum de malades. Les autres devaient être peu à peu entraînés à se débrouiller tout seuls en étant renvoyés chez eux et en faisant l'objet d'un suivi en externat. Le but de tout cela n'était pas de faire des économies de moyens: découper la France en "secteurs psychiatriques" quadrillant l'ensemble de la population coûte plus cher que les anciens "asiles" mais on voit le résultat de cette politique folle qui postule que tout malade est un homme potentiellement en bonne santé et qu'il suffit de le pousser un peu dans la vie (dans la rue) pour qu'il redevienne un homme normal».
Sur le terrain, le discours est le même. Que ce soit le sociologue Patrick Declerck, qui a passé plus de 15 ans compagnie des sans-abri pour leur apporter un soutien psychique ; le Dr Mercuel, qui a mis en place un service de psychiatrie entièrement consacré aux sans- abri, à l’Hôpital Saint Anne mais aussi en ambulatoire ; ou encore Xavier Emmanuelli, le fondateur du Samu Social ; tous expliquent non seulement comment l’évolution de la psychiatrie en France a jeté à la rue des sans-abris, mais aussi pourquoi la société est responsable de ses fous et de ses pauvres. Surtout lorsque ce sont les mêmes.
Retrouvez les deux premiers volets de notre enquête
- Retrouvez aussi l'interview de Patrick Declerck : Les SDF, ces contre-exemples qui nous font rentrer dans le rang
Samedi 20 Décembre 2008 - 13:07
Virginie Roels