LE MONDE SELON KOUCHNER
Exclusif: le livre qui peut ruiner Kouchner
Dans son prochain numéro, à paraître samedi 31 janvier, Marianne publie les «bonnes feuilles» du livre-choc que Pierre Péan consacre à Bernard Kouchner: «Le Monde selon K.» Une enquête qui met à jour les pratiques cyniques et très limite du french doctor. De quoi obliger le ministre des Affaires étrangères à démissionner?
(photo : euforic - Flickr - cc)
Toujours bonne à dire, la vérité est parfois triste. La lecture du
dernier livre de Pierre Péan consacré à Bernard Kouchner laisse un
sentiment d’immense gâchis, d’amère déception. Ses révélations
accablantes ne sauraient réjouir tous ceux qu’inquiète l’effet délétère
de la perte de confiance dans les élites. En mettant à bas l’icône
Kouchner, Pierre Péan ne dévoile pas seulement une imposture
personnelle ; il nous oblige à faire le deuil d’un mythe auquel il ne
fut pas méprisable de croire : le souci des victimes, la conscience des
urgences, le bénévolat, la compassion, le droit-de-l’hommisme. De tout
cela il ne reste pas grand-chose après avoir refermé Le monde selon K.
Nous découvrons aussi que, dans sa fin de parcours, le bon Docteur
Kouchner a mis la réputation que lui ont value ses engagements de
jeunesse au service du cynisme le plus désinvolte et d’une quête
effrénée de valeurs plus financières.
La
chute de Bernard Kouchner ne peut laisser indifférent parce que son
parcours ne le fut pas. Contrairement à beaucoup d’autres, cette grande
gueule de la gauche morale ne s’était pas contentée de belles paroles.
Le cofondateur de Médecins sans Frontières a vraiment fait des choses
dans sa vie. Non sans courage, il s’est mouillé personnellement,
devenant le symbole de ces French Doctors qui portaient aux quatre
coins du monde le meilleur de Mai 68 mis au service d’une générosité
française. La popularité dont il jouit depuis longtemps n’était pas
usurpée : à travers lui, les Français retrouvaient une capacité
d’indignation toujours renouvelée face aux mauvaises nouvelles du
monde. Ils plébiscitaient en lui leur désir d’action immédiate pour
soulager les malheurs indistincts.
De l'humanitaire-spectacle au spectacle tout court
Bien
sûr, le héros n’était pas sans travers et l’on distinguait même de gros
défauts, mais ils semblaient tellement servir la Cause du Bien que l’on
s’était habitué à en sourire affectueusement. L’ego démesuré de
Kouchner passait pour une variante moderne du militantisme. S’il se
mettait en permanence en scène, n’était-ce pas au nom de cette « loi
du tapage médiatique » indispensable pour donner de l’écho à l’action
humanitaire ? Grâce à lui, celle-ci a fait un Grand bond en avant
depuis l’époque des Docteurs Schweitzer qui devaient besogner trente
ans au fond de la brousse avant de commencer à émouvoir. Avec le
Docteur Kouchner, quelques jours et quelques caméras suffisent. Il a
inventé « l’humanitaire-spectacle » pour la bonne cause : dynamiser
l’altruisme et faire mieux rentrer les dons. Car, justifiait-il, « l’image émotionnelle en dit plus qu’un discours », et « l’on assassine moins en présence des caméras ». Voilà pourquoi, se disait-on, il avait fait don de son image à la médiasphère : pour l’aide aux victimes, « qui ne sont ni de droite ni de gauche ». Comme lui. Le Bien contre le Mal, c’est plus simple.
Ces
dernières années, de nombreux débats autour de l’action humanitaire et
de son bilan nuancé ont montré que les choses étaient plus compliquées.
En parcourant les dernières étapes de l’épopée kouchnérienne, Pierre
Péan constate que, non seulement l’humanitaire-spectacle peut desservir
les objectifs de l’action humanitaire, comme le montre par exemple la
consternante opération menée en 1991 au Kurdistan, mais que sa
confusion avec un droit d’ingérence mariant l’assistance et le
militaire renouait parfois avec la forme la plus brute de la politique
internationale : l’ingérence étatique avec les bons sentiments du
colonialisme.
Mais contester la nouvelle posture de «
va-t-en-guerre » du French Doctor, notamment lors de l’intervention
américaine en Irak, relève encore du débat politique. Pierre Péan a
malheureusement fait des découvertes beaucoup plus pénibles. Son
enquête montre que la statue-Kouchner est désormais habitée par un
personnage dont le cynisme calculateur a remplacé les généreuses
naïvetés de jeunesse. Le bénévole de l’humanitaire voulait occuper le
pouvoir parce « que c’est là que tout se passe ». Nicolas
Sarkozy aura exaucé ce vœu mieux que la gauche à laquelle il pensait
avoir dérobé l’un des plus beaux symboles. Mais l’effet-Kouchner n’a
pas fait long feu. A l’épreuve de la réalité, son droit-de-l’hommisme a
fait pschitt !
Kouchner n'a pas attendu Rama Yade pour ne plus croire aux droits de l'homme
Une
année aux affaires lui aurait donc suffi pour renier trois décennies de
beaux discours et découvrir, comme il vient de le dire, qu’il « y a contradiction permanente entre les droits de l’homme et la politique étrangère d’un Etat »
? Les révélations de Péan indiquent une autre explication : les droits
de l’homme, cela faisait un bout de temps que Bernard Kouchner n’y
croyait plus lui-même, au point de se mettre en affaires avec ceux
qu’il pourfendait hier. Depuis quelques années, en effet, une autre
passion l’animait : tirer, via une activité de consultant privé
camouflée derrières quelques sociétés-écrans créées par ses proches,
les dividendes de sa réputation et de son influence. L’ex-militant ne
pourchassait plus le malheur, mais le fric.
La petite histoire
retiendra qu’il a trébuché là où il avait péché, au cours d’un épisode
où ses contradictions ont fini par le trahir. Un épisode, début 2008,
dont nous n’avions eu qu’un signe – l’éviction brutale du Secrétaire
d’Etat à la Coopération Jean-Marie Bockel – sans connaître
l’intégralité du scénario, qui ne manque pas de piquant.
En se
mettant à dénoncer tout haut « la Françafrique » despotique et
corrompue à l’occasion de ses vœux à la presse, début janvier 2008,
Bockel ne s’imagine pas être en décalage avec le discours de son
ministre des Affaires étrangères. Il ignore ce que personne, alors, ne
sait : avant de redevenir ministre, Bernard Kouchner fut simultanément
responsable, versant vie publique, d’une organisation internationale
(Esther) distribuant des aides internationales aux pays pauvres et,
versant vie privée, consultant allant discrètement démarcher certains
de ces mêmes pays pour des expertises grassement payées. Notamment pour
quelques-uns des chefs d’Etat africains brocardés par Jean-Marie
Bockel, Omar Bongo et Sassou Nguesso, qui règnent sur le Gabon et le
Congo. Les deux autocrates sont fous de rage : ils viennent de payer
les services du consultant Kouchner à des tarifs qui leurs laissaient
imaginer un service-après vente sans faille. Ils ne comprennent donc
pas la sortie « scandaleuse » de Bockel, petit subordonné de celui dont
ils pensent avoir acheté l’influence. Ce dernier faisant mine de ne
plus les connaître, les deux chefs africains décident de faire savoir
leur courroux – accompagné des factures qui le justifient - à Nicolas
Sarkozy. Ils apprennent en même temps au Président de la République que
l’homme de confiance de Bernard Kouchner, qui les pressait de payer le
solde de ces factures après son arrivée au ministère des Affaires
étrangères, n’est autre qu’Eric Danon, le nouvel ambassadeur de France
qu’il avait nommé à Monaco sur proposition de Kouchner !
Atterré
par ce qu’il découvrait, le Président de la République fit tout pour
éviter le scandale. Il apaisa les représentants offensés de la
Françafrique en mutant Jean-Marie Bockel au Ministère des Anciens
combattants. Il s’étonna vertement que son Secrétaire général, Claude
Guéant, ait ignoré la très gênante double vie du French Doctor. Il mit
fin aux fonctions de l’ambassadeur Danon à Monaco. Et il humilia son
Ministre des Affaires Etrangères en lui faisant savoir qu’il venait de
découvrir ses petits secrets par la bouche de… Rama Yade qui annonça
elle-même à son Ministre de tutelle la destitution de Danon.
Avec la publication du Monde selon K., ce dispositif ne suffira peut-être pas…
Lisez
les meilleurs extraits du livre de Pierre Péan dans le numéro 615 de
Marianne, disponible en version numérique sur le site de Relay (PC et Mac) ou sur celui du Kiosque.fr (PC, Mac et Linux) dès vendredi 30 janvier à 15 heures, et dans tous les kiosques dès samedi 31 janvier.
Vendredi 30 Janvier 2009 - 07:38
Eric Conan