Aubry : le temps des parrains
Matthieu Croissandeau
Le Nouvel Observateur
Dans les coulisses d'une victoire (extraits)
Au
départ, elle était seule. Pour éliminer Delanoë puis Royal, elle a noué
une alliance de fer avec deux protecteurs de l'ombre : DSK et surtout
Fabius. C'est aujourd'hui le dilemme de la nouvelle première
secrétaire. Soit s'émanciper, au risque de briser sa courte majorité.
Soit remercier, au risque de ne pas pouvoir rénover
Et voilà ! Maintenant, on est tranquille pour trois
ans.»
Mardi 25 novembre à la sortie de la Mutualité, Henri Weber a le sourire
radieux et le verbe laconique. Pas besoin d'en dire davantage. Le
conseil national du Parti socialiste vient d'adouber Martine Aubry au
poste de premier secrétaire. La maire de Lille, un peu écrasée par le
poids des responsabilités et l'ambiance mortifère, n'a pas fait un
grand discours. L'habit est encore un peu large pour elle. Mais aux
yeux de Weber, éternel confident de Laurent Fabius, l'essentiel est
fait : sa candidate l'a emporté, Royal et Delanoë - les favoris des
sondages - sont écartés et la route dégagée. Mssion accomplie !
Martine
Aubry ou l'histoire d'une résurrection. En six mois de temps, la dame
des 35 heures est ressortie triomphante du cimetière des éléphants
socialistes où certains avaient voulu l'enterrer. Ce miracle, la maire
de Lille ne l'a pas accompli toute seule. De bons ( ?) génies se sont
penchés sur son berceau. Amis de Laurent Fabius ou de Dominique
Strauss-Kahn, ils ont tous mouillé leur chemise pour la faire élire.
Ils sont les vrais parrains de sa désignation. Sans eux, rien n'aurait
été possible. Avec eux, aujourd'hui, tout devient compliqué.
Martine
Aubry le sait-elle ? Ce nouvel épisode de sa vie politique a commencé à
son insu, comme dans une scène de cinéma, dès le lendemain de
l'élection de Nicolas Sarkozy, dans le petit salon privé d'un
restaurant parisien, propriété de Gérard Depardieu. Ce jour-là, Laurent
Fabius a commandé du thé, il attend Dominique Strauss-Kahn. Les deux
grands fauves ne se sont pas parlé depuis des mois. Chacun est venu
avec son porte-flingue : Claude Bartolone pour l'un, Jean-Christophe
Cambadélis pour l'autre. Fabius et DSK n'ont jamais été amis, mais il
se respectent. Ils partagent surtout une blessure commune, pour ne pas
dire une humiliation : six ois plus tôt, Ségolène Royal les a terrassés
lors de la désignation du candidat socialiste à la présidentielle.
(...)