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13 février 2009

Des antisémites partout ? On se calme...

                               

 

Par Pierre Haski | Rue89

   

La bonne nouvelle de notre époque, c'est que rare sont ceux qui s'affichent ouvertement antisémites. La mauvaise nouvelle, c'est l'obsession à les chercher partout. Cela ne veut pas dire qu'il n'y en a pas, hélas, mais quand ça tourne à l'obsession, ça devient, comment dirais-je, nauséabond.

Il y a évidemment de bonnes raisons de rester vigilants face à toute résurgence de l'antisémitisme. Il ne faut pas chercher longtemps pour trouver, sur quelque site obscur, la liste des "juifs qui contrôlent les médias", ou des avatars modernes des brûlots antisémites du XIXe siècle.

Sans oublier les dernières outrances de Dieudonné, dont Michel Wieviorka faisait justement observer ici-même qu'elles marquaient plutôt le déclin et la marginalisation de ce courant.

Ce n'est pas tant cette frange marginale qui attire l'attention, mais les incessants débats au sein de l'"élite", qui tournent autour du soupçon d'antisémitisme. Le mot est partout, il empoisonne l'atmosphère, au point qu'on finisse par ne plus faire de différence entre un évêque négationniste qui déclare ouvertement que les chambres à gaz nazies n'ont pas existé, et un journaliste auquel on attribue des arrières-pensées sur la base d'un mot connoté.

Stéphane Guillon, sioniste le matin et antisémite l'après-midi...

Le malaise est plus grand encore quand plus personne ne sait plus comment aborder la question: on en a eu un bel exemple ces derniers jours, avec l'humoriste de France inter Stéphane Guillon qui avait violemment sonné la charge contre Bernard Kouchner la semaine dernière, et qui se sent obligé de se justifier dans une deuxième chronique, aussi drôle il est vrai, sur le fait qu'il serait une semaine antisémite, et une semaine sioniste!

Peut-on rire du sujet? Oui, on l'espère. (Voir la vidéo)



L'autre exemple est venu de Daniel Schneidermann, l'animateur du site Arrêt sur images, qui a invité Pierre Péan à s'expliquer après la polémique qui entoure la sortie de son livre "Le Monde selon K" (Fayard).

L'émission a mal tourné, et Pierre Péan a quitté le plateau furieux, devant l'insistance de l'interviewer à le "cuisiner" sur ce mot de "cosmopolitisme" qui lui est reproché, et qu'il venait pourtant de regretter en niant tout antisémitisme. (Voir la vidéo)



Revenant sur cet incident sur son site, qui lui a valu un important courrier de ses "asinautes", Daniel Schneidermann reconnaît qu'il a fauté:

"Vous êtes nombreux à me demander de demander des excuses.

J'en demande volontiers à nos abonnés pour cette fin d'émission que je n'ai pas sû gérer, et pour les dernières réponses dont je les ai privés. Comme le remarquent nombre d'entre vous, dans l'histoire, finalement, on a oublié Kouchner, et c'est le principal effet pervers du crash. (...)

Quant à Pierre Péan, journaliste dont je respecte le parcours, je souhaite seulement lui dire, s'il repasse par ici, que je le crois parfaitement sincère, quand il assure ne pas être antisémite. Je souhaite lui dire aussi ceci: il n'y a pas de questions interdites, Pierre, et je sais que tu le comprends. Il n'y a pas d'insistances malpolies.

C'est notre boulot, de faire la lumière, toute la lumière. Encore faut-il le faire habilement, et professionnellement. Et tu dois bien avoir quelques longueurs d'avance sur moi, puisque toi, tu as réussi à garder Mitterrand jusqu'au bout, et à le poser impeccablement dans l'Hudson. Petit Scarabée a encore à apprendre."

Certains font de l'antisémitisme l'alpha et l'oméga de la vie intellectuelle

Ces incidents sont révélateurs de l'électricité dans l'air. Et de fait, Bernard Kouchner a réussi à faire porter le soupçon sur son accusateur, au point que le quotidien Le Monde reprenne en titre de son article le même mot -"nauséabond"- employé par le ministre pour sa défense.

La polémique avait fait rage, déjà, l'an dernier, lors de l'affaire Siné/Charlie Hebdo, avec l'accusation d'antisémitisme portée contre le dessinateur. La justice tranchera dans quelques jours sur une plainte déposée par la Licra conre Siné. Fallait-il en arriver là?

L'affaire avait fait des vagues autour de la question de l'antisémitisme: où commence-t-il? On a ainsi pu voir Bernard Henri-Lévy accuser le philosophe Alain Badiou ("De quoi Sarkozy est-il le nom ?") d'antisémitisme, pour un livre dans lequel le mot juif n'était pas mentionné.

Revenant sur la tempête de l'an dernier, Philippe Val, le patron de Charlie Hebdo, avait théorisé dans un livre ("Reviens Voltaire, ils sont devenus fous", Grasset, 2008) écrit sous le coup de l'émotion sur l'existence de "deux gauches" opposées:

"L'une ne transigera jamais avec l'antisémitisme, l'autre, compte-tenu de sa géopolitique, prétend que ce n'est pas un problème essentiel."

Mais à faire de l'antisémitisme l'alpha et l'omega de la vie politique ou intellectuelle, on en vient à une vision manichéenne du monde, qui obscurcit à la fois ce qui se passe au sein de la société française, et brouille toutes les grilles d'analyse des événements qui se déroulent au Proche-Orient.

"Il y a en France une rumeur anti-Morin"

Le manichéisme, c'est ce que dénonce le philosophe Edgar Morin, qui revient dans son livre d'entretiens avec Djémane Kareh Tager (Fayard, 2008), sur les accusations d'antisémitisme dont il a été victime (tout en étant lui-même d'origine juive) à la suite d'un article sur le conflit du Proche-Orient publié dans Le Monde:

"C'est une accusation dont j'ai été acquitté et lavé. Quand les esprits sont échauffés, quand ils sont dominés par une psychologie, je dirais mieux: une hystérie de guerre, alors ils voient de la trahison dans toute dissension.

Ecoutez moi bien. L'hystérie de guerre produit le manichéisme, c'est-à-dire d'une part la justification permanente de son camp, d'autre part la chasse au bouc émissaire et la haine de l'ennemi. Or je n'ai jamais cédé et ne cèderai jamais à la haine immonde de l'autre. Mais je la subis.

Il y a en France une rumeur anti-Morin, propagée de bouche à oreille, y compris dans les milieux intellectuels raffinés, lesquels sont parfois capables du pire sectarisme, qui prétend que je veux la destruction d'Israël et que je suis antisémite, ce qui me vaut mépris, insultes et menaces."

A force de voir des antisémites partout, on risque de ne plus voir les vrais. Pas plus que les autres formes de racisme qui pèsent sur toutes les autres victimes de discriminations et d'ostracisme, dont les juifs sont loin, hélas, d'avoir le monopole.

Peut-on débattre sereinement de cette question sans se faire taxer ... d'antisémitisme?

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