Plus les sociétés deviennent inégalitaires, plus elles sont attachées à la diversité
Sur le site communautarismes.net
Marianne2.fr : Pour vous, le débat sur la diversité masque l'accroissement des inégalités économiques?
Walter Benn Michaels :
Oui. Au cours des 30 dernières années, les pays comme la France, les
Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada sont devenus de plus en plus
inégalitaires, économiquement parlant. Et plus ils sont devenus
inégalitaires, plus ils se sont attachés à la diversité. C'est comme si
tout le monde avait senti que le fossé grandissant entre les riches et
les pauvres était acceptable du moment qu'une partie des riches sont
issus des minorités.
Vous considérez qu'il s'agit d'un écran de fumée et qu'il est délibérément mis en place. Pourquoi et par qui?
Non, il n'y a pas de complot ici. Je pense que les gens se sont de plus
en plus attachés à un modèle libéral de justice, dans lequel la
discrimination — racisme, sexisme, homophobie, etc. — est le pire de
tous les maux. Si ça marche, c'est à la fois parce que c'est vrai — la
discrimination est évidemment une mauvaise chose — et parce que ça ne
mange pas de pain— le capitalisme n'a pas besoin de la discrimination.
Ce dont le capitalisme a besoin, c'est de l'exploitation.
Vous expliquez que la diversité ne réduit pas les inégalités, mais permet seulement de les gérer. Que voulez-vous dire?
Eh bien, il est évident que la diversité ne réduit pas les inégalités
économiques. Si vous prenez les 10% de gens les plus riches (ceux qui
ont en fait tiré le plus de bénéfices de l'explosion néolibérale des
inégalités) et que vous vous assurez qu'une proportion correcte d'entre
eux sont noirs, musulmans, femmes ou gays, vous n'avez pas généré plus
d'égalité sociale. Vous avez juste créé une société dans laquelle ceux
qui tirent avantage des inégalités ne sont pas tous de la même couleur
ou du même sexe.
Les avantages en termes de gouvernance
sont assez évidents, eux aussi. L'objectif du néolibéralisme, c'est un
monde où les riches peuvent regarder les pauvres et leur affirmer (à
raison) que personne n'est victime de discrimination, leur affirmer
(tout autant à raison) que leurs identités sont respectées. Il ne
s'agit pas, bien sûr, de les rendre moins pauvres, mais de leur faire
sentir que leur pauvreté n'est pas injuste.
Vous allez même plus loin
puisque vous expliquez que le combat pour la diversité a partie liée
avec une logique néolibérale. Pourtant il a existé des convergences,
que vous évoquez dans le livre, entre luttes économiques et
revendications portées par des minorités. Pourquoi ces convergences
ont-elles disparu aujourd'hui?
La convergence que vous
évoquez entre la lutte contre la discrimination et le combat contre
l'exploitation n'était qu'une convergence temporaire. Ainsi, par
exemple, aux Etats-Unis, les Noirs radicaux se sont battus à la fois
contre le racisme et le capitalisme. Des gens comme le Black Panther
Bobby Seale ont toujours estimé qu'on ne peut pas combattre le
capitalisme par le capitalisme noir, mais par le socialisme. Mais avec
l'ère du marché triomphant débutée sous Reagan et Thatcher,
l'antiracisme s'est déconnecté de l'anticapitalisme et la célébration
de la diversité a commencé. Bien entendu, il n'y a rien
d'anticapitaliste dans la diversité. Au contraire, tous les PDG
américains ont déjà eu l'occasion de vérifier ce que le patron de Pepsi
a déclaré dans le New York Times il y a peu: « La diversité permet à notre entreprise d'enrichir les actionnaires ».
De fait, l'antiracisme est devenu essentiel au capitalisme
contemporain. Imaginez que vous cherchiez quelqu'un pour prendre la
tête du service des ventes de votre entreprise et que vous deviez
choisir entre un hétéro blanc et une lesbienne noire. Imaginez aussi
que la lesbienne noire est plus compétente que l'hétéro blanc. Eh bien
le racisme, le sexisme et l'homophobie vous souffleront de choisir
l'hétéro blanc tandis que le capitalisme vous dictera de prendre la
femme noire. Tout cela pour vous dire que même si certains capitalistes
peuvent être racistes, sexistes et homophobes, le capitalisme lui-même
ne l'est pas. Si dans les années 60 les Black Panthers pensaient qu'on
ne pouvait pas combattre le capitalisme par le capitalisme noir,
aujourd'hui, dans la crise économique actuelle, des gens comme Yazid
Sabeg espèrent qu'on peut sauver le capitalisme grâce au capitalisme « black-blanc-beur ».
Vous
ne semblez pas être un fervent partisan de la politique de
discrimination positive telle qu'elle est menée actuellement aux
Etats-Unis. Que préconiseriez-vous afin de rendre moins inégalitaire le
système éducatif américain ?
Ces quarante dernières
années, les étudiants des universités américaines ont changé, et de
deux façons. Premièrement, ils se sont beaucoup diversifiés.
Deuxièmement, ils sont toujours plus riches. Cela signifie qu'alors que
les universités américaines se sont autoproclamées de plus en plus
ouvertes (à la diversité), elles se sont en réalité de plus en plus
fermées. Ça ne veut pas seulement dire que les jeunes issus de milieux
modestes ont du mal à payer leur scolarité, ça signifie aussi qu'ils
ont reçu un enseignement si bas de gamme dans le primaire et le
secondaire qu'ils n'arrivent pas à passer les examens d'entrée à
l'université.
Donc, la première chose à faire lorsqu'on
décide de mettre en place une politique de discrimination positive,
c'est de le faire par classes et non par races. La seconde — mais de
loin la plus importante — chose à faire serait de commencer à réduire
les inégalités du système éducatif américain dès le primaire. Tant que
ça ne sera pas fait, les meilleurs universités américaines continueront
à être réservées aux enfants de l'élite comme le sont, pour
l'essentiel, les meilleures grandes écoles françaises. Même si, bien
sûr, vos grandes écoles ainsi que vos universités les plus sélectives,
puisqu'elles sont gratuites ou bien moins chères que leurs homologues
américaines, apportent un avantage supplémentaire aux riches — c'est
une redistribution des richesses, mais à l’envers.
Barack Obama est présenté, en
France, comme un produit de la discrimination positive. Comment
interprétez-vous sa victoire électorale et l'engouement qu'elle a pu
susciter ?
Sa victoire, c'est le triomphe totale de
l'idéologie néolibérale aux Etats-Unis, le triomphe de la diversité et
en même temps celui des marchés. Ce n'est pas un hasard si des
économistes démocrates conservateurs comme Larry Summers ou Tim
Geithner sont ses conseillers les plus proches. Si ce que vous voulez,
c'est sauver le système économique néolibéral de la crise, c'est une
bonne chose. Nous savons tous que l'administration Bush était trop
distraite par ses lubies impérialistes du XXe siècle pour s'apercevoir
que Wall Street avait plus besoin d'aide que l'Irak. Obama ne fera pas
cette erreur. Mais si vous voulez que le système change
fondamentalement, ne comptez pas sur les Démocrates. Du point de vue de
la justice économique, Obama, c'est juste un Sarkozy noir. Bien sûr, ce
n'est pas un problème pour Sarkozy, mais c'est un problème pour tous
les gens qui se disent de gauche, qui aiment Obama et pensent que
l'engagement dans la diversité dont il est le produit va également
produire une société plus égalitaire.
.
.
Le thème central de La diversité contre l'égalité,
c'est qu'ils se trompent ; la diversité est au service du
néolibéralisme, et non son ennemie. Ce n'est pas une adresse à Sarkozy
— il sait déjà qu'une élite diversifiée est une élite plus heureuse,
plus autosatisfaite. Cela s'adresse à la gauche, à ceux qui préfèrent
s'opposer au néolibéralisme, plutôt que l'améliorer.
Source : Marianne2.fr (le titre et le chapo ont été rédigés par la rédaction de l'Observatoire du communautarisme)
-------------------
4ème de couverture :
A la télévision comme dans les entreprises, au Parti socialiste comme à
l'Elysée, à Sciences Po comme à l'armée résonne un nouveau mot d'ordre:
Vive la diversité ! Avec l'élection de Barack Obama, le bruissement
s'est changé en clameur. Désormais, chacun devrait se mobiliser pour
que les femmes et les "minorités visibles" occupent la place qui Leur
revient au sein des élites. Mais une société dont les classes
dirigeantes reflètent la diversité a-t-elle vraiment progressé sur le
chemin de la justice sociale ? A cette question jamais posée, Walter
Benn Michaels répond par la négative. La promotion incessante de la
diversité et la célébration des " identités culturelles " permettent au
mieux, selon lui, de diversifier la couleur de peau et le sexe des
maîtres. Sans remettre en cause la domination qui traverse toutes les
autres : celle des riches sur les pauvres. A l'aide d'exemples tirés de
la littérature, de l'histoire et de l'actualité, ce livre montre
comment la question sociale se trouve désamorcée lorsqu'elle est
reformulée en termes ethnico-culturels. Plus fondamentalement, il
s'interroge sur l'objectif d'une politique de gauche: s'agit-il de
répartir les inégalités sans discrimination d'origine et de sexe, ou de
les supprimer ?
Biographie de l'auteur :
Walter Benn Michaels est professeur de Littérature à l'université de l'Illinois à Chicago.
21/02/2009
Mon commentaire: OH, L'EXCELLENTE REMARQUE!!!!