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15 avril 2009

Petit compte rendu du déplacement au Sénégal de Ségolène Royal

Par Najat Vallaud-Belgacem
Le 15.04.09

Chers amis,

Puisqu'une certaine presse nous abreuve de sondages à coucher dehors, il me semblait utile de vous faire un compte rendu personnel du déplacement de Ségolène Royal au Sénégal auquel j'ai eu la chance de prendre part, et que ni les invectives de la droite française, ni les vaines polémiques, ni même encore les marques de mépris de quelques uns n’auront suffi à éclipser. Un déplacement historique qui nous aura un peu lavé de la honte et du malaise qui nous étreignaient depuis le discours tant décrié de Dakar du Président de la République. Un déplacement d’une densité politique et humaine extraordinaire, dont je souhaite vous faire partager quelques moments.

La politique par la preuve
Peut-être vous en souvenez-vous, à peine désignée par le parti socialiste en 2006, Ségolène Royal s’était rendue au Sénégal. Dans le village de Thiaroye, elle avait croisé la douleur infinie de mères atteintes dans leur chair par le drame de la disparition en haute mer de jeunes gens, dans la force de l’âge, partis chercher dans l'émigration clandestine un avenir meilleur. C’est ensemble qu’elles avaient décidé de surmonter l’insurmontable, de dépasser collectivement le désespoir en travaillant à offrir à leurs enfants des perspectives nouvelles. Pêche, artisanat, alphabétisation des femmes… Ségolène s’était alors engagée à soutenir ces initiatives. Parole tenue, la coopération décentralisée ne s’est pas démentie depuis lors et le camion frigorifique affrété par la Région Poitou Charente (qui leur rendra des services inestimables) en est un emblème.

Intense moment d’humanité que cette rencontre avec ces mères courage qui avaient décidé pour l’occasion de s’offrir chacune une tenue couleur de l’océan, en mémoire de leurs fils disparus, en bienvenue aussi à celle qui a su mettre en lumière leur combat depuis deux ans. C’est ce magnifique boubou bleu endossé par Ségolène Royal qui, à quelques centaines de kilomètres de là, inspirera à Alain Destrem, élu UMP, ce commentaire indigne sur lequel je me suis déjà exprimée…

Hommes et femmes de bonne volonté
A Thiaroye toujours, nous avons fait la connaissance des enfants des rues dont la plupart viennent de passer plusieurs mois, parfois des années, dans la rue, fugueurs, chassés de chez eux ou abandonnés (certains ont 6-7 ans…). L’association « Village pilote », présente sur place, se mobilise avec énergie pour leur venir en aide, en entreprenant un difficile travail de restauration de la confiance et de médiation avec ces enfants, puis avec leurs parents afin de les convaincre de les reprendre. Le Président du Conseil régional de Fatick, un homme d’une culture et d’une douceur inouïes, qui fut notre guide de luxe, nous a expliqué qu’il est de tradition au Sénégal que les familles envoient dès leur plus jeune âge les enfants passer 1 ou 2 ans dans des écoles où, aux cotés de camarades de toutes classes sociales, ils apprennent l’humilité en même temps que les prières et les travaux des champs. Cette pratique, qui fait des merveilles dans les villages où tout le monde se connaît, se transforme parfois en cauchemar dans les villes où certains marabouts (maitres d’écoles) mal intentionnés exploitent ces enfants, les envoient mendier et les battent lorsqu’ils reviennent les mains vides…C’est ainsi que se forgent ces « petits fugueurs de la misère » qui lorsqu’ils échappent à la vigilance d’associations dévouées comme celles-ci tombent dans la délinquance et souvent la drogue…

Ousmane Sow le magnifique …
Auprès des artistes, des jeunes chefs d’entreprise venus nombreux assister au dîner ce soir là, la délégation s’est nourrie de beauté, d’imagination, de créativité, d’ingéniosité. Chapeau bas en particulier à l’immense Ousmane Sow dont les œuvres magistrales avaient, il ya quelques années orné le pont des Arts à Paris, poursuivant en souvenir chacun de ceux qui comme moi ont eu la chance de les admirer. Chapeau bas aussi au rappeur Didier Awadi, pour ceux qui ne connaitraient pas sa musique, je vous invite vivement à decouvrir ses textes engagés.

Wade ou pas Wade ?
Ségolène Royal devait rencontrer le Président Abdoulaye Wade. Ce dernier lui-même, dans un courrier, disait son plaisir à la recevoir malgré une actualité chargée (les élections locales au Sénégal viennent juste de bouleverser l’équilibre politique, et en faisant place à une majorité de gauche dans les territoires, incitent le Président à un remaniement ministériel en cours…). Le rendez-vous aura bien lieu mais pas avec le Président, le ministre des Affaires étrangères puis le ministre de la coopération ayant assuré sa représentation avec beaucoup de gentillesse et d’efficacité.

En France, et plus encore au Sénégal, la presse s’emballe alors à propos de supposées pressions de l’Elysée destinées à ce que le rendez vous présidentiel n’aie pas lieu. Nous ne saurons jamais le fin mot de l’histoire… En tout état de cause j’ai trouvé le ministre des Affaires étrangères passionnant et je retiens de lui cette phrase à propos de Ségolène : « je regrette que nous n’appliquions pas le droit du sol, sans quoi vous seriez sénégalaise et voila tout ! »

Salle Léopold Sedar Senghor : l’ « autre discours de Dakar »
Lundi 6 avril- 16h- C’est formidable l’effet que le nom de Senghor produit sur le millier de spectateurs présents, studieux et effervescents à la fois. Des applaudissements nourris viennent cueillir chaque allusion au grand homme…

Après Ousmane Tanor Dieng, le chef du parti socialiste sénégalais, c’est au tour de Ségolène Royal de monter sur l’estrade. C’est en sœur du peuple sénégalais qu’elle s’adresse à la salle ; en Présidente de la région Poitou Charente soucieuse d’actions concrètes qu’elle décrit la coopération décentralisée qui lie sa région à celle de Fatick ; en responsable politique et en femme d’Etat qu’elle réclame davantage de justice dans les instances politiques et économiques internationales , à commencer par le G20 dont le continent africain en tant que tel est cruellement absent ; c’est enfin en simple citoyenne et élue de la République française qu’elle demande deux fois pardon :

« Pardon » pour le mépris, l’arrogance, le contre sens historique d’un certain discours prononcé à Dakar en 2007 .

« Pardon » aussi, cela a été moins commenté, pour cette histoire commune faite de drames entre l’Europe et l’Afrique, pour les siècles d’esclavage et de colonisation.

« Merci » aussi, merci pour les tirailleurs sénégalais sans lesquels, le 8 mai 1945, jamais la France n'aurait retrouvé sa liberté.

Enfin, pour l’avenir, un « s’il vous plait » rare et précieux, « s’il vous plait, a-t-elle dit aux Africains, construisons ensemble ».

Lorsque je lui ai demandé, quelques heures plus tard le sens de cette dernière phrase, son visage s’est assombri : « les Africains, m’a-t-elle répondu, n’en peuvent plus de notre arrogance, de notre ingratitude, de nos barrières. Déjà c’est vers le Canada et non plus la France que les étudiants se tournent. Demain, il en ira de même pour les échanges commerciaux comme pour les échanges humains. Vois comme la Chine ou les Emirats investissent ici. Bientôt les échanges se cantonneront à du « Sud-Sud » et nous serons invités en Europe à aller nous faire voir. Pourtant nous avons collectivement besoin les uns des autres, comment peut-on ne pas en prendre conscience avant qu’il ne soit trop tard ?!! »

Dans les yeux des Sénégalais présents ce jour là, quelques larmes, je ne peux m’empêcher de leur demander ce qui les émeut tant. « Nous avions besoin de cet autre discours de Dakar, me répondent-ils, c’était l’honneur de la France qui était en jeu ». « Remerciez là, ajoutent-ils, remerciez là d’avoir réhabilité l’Homme africain, et du même coup la France ; Surtout remerciez là d’avoir enfin tracé des perspectives d’avenir d’une même dignité pour nos deux continents ! ».

Quand je pense que le lendemain, certains, en France prétendront que l’infâme propos de Nicolas Sarkozy sur « l’Homme africain » était déjà de l’histoire ancienne qu’il ne servait à rien de remuer. Que d’autres encore s’obstineront, aveuglés par leur suffisance, à ne pas voir où est le problème.Non les Africains, eux, n’ont pas oublié. Ni l’arrogance, ni le mensonge historique, ni l’humiliation de ce discours gravé dans toutes les mémoires …

A propos des Perspectives d’avenir justement…
… quelques réalités méritent d’être rappelées, au delà des beaux discours du Président de la république ou de son ministre de la coopération, l’Afrique sera bien la première victime des coupes opérées dans le budget 2009 de la Coopération. L’Afrique sub-saharienne est massivement affectée. A ceux qui croient vraiment que l’Aide publique au développement (APD) augmente, sachez que cette dernière se compose aujourd’hui essentiellement d’un recours massif au prêt, et à l'annulation de dette. On est loin des objectifs du Millénaire, lorsque l’Union européenne et chaque pays s’engageaient à diminuer la pauvreté dans le monde de moitié en consacrant 0,7% du PIB. La vérité, c'est que l'APD européenne baisse significativement, à peine 0.4% du PIB en moyenne…

Or, faut-il le rappeler ? le nombre de pauvres a augmenté sur le continent de 90 millions de personnes depuis 1990 et leur revenu moyen a baissé. L’aggravation de la pauvreté s’est traduite par un accroissement de la faim et la crise du Niger ces derniers mois a rappelé s’il en était besoin la fragilité de la situation alimentaire dans certains pays africains.

L’impact de la crise économique mondiale est particulièrement fort dans ces pays avec ce sentiment insupportable que les responsables de la crise se trouvent dans les pays du Nord, mais que ceux qui vont en souffrir le plus sévèrement sont dans les pays du Sud. Les pays africains, même s’ils échappent aux effets financiers de la crise qui toucheront beaucoup plus les pays émergents, seront fortement heurtés par l’aspect réel de la crise.

Pour prendre le seul Sénégal, selon les dernières estimations d'organisations internationales et régionales, le taux de croissance initialement estimé à 5% y sera de l'ordre de 2.5-3% soit un impact négatif de la crise sur la croissance et donc sur la réduction de la pauvreté. Parallèlement, les transferts financiers des immigrés sénégalais seront de moins de 400 milliards de francs CFA cette année alors qu'ils étaient de 555 milliards de FCFA l'an passé, soit une baisse de 40% qui viendra durement frapper les familles qui vivent grâce à ces aides.

6 années seulement nous séparent de l’année 2015. Malgré les ressources tirées de l’aide publique au développement et des programmes de réduction de la dette, en particulier l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), les PMA, les pays enclavés et même certains pays à revenu intermédiaire ne parviennent toujours pas à réaliser suffisamment de croissance économique pour lutter efficacement contre la pauvreté.

Il est primordial de maintenir et de soutenir l'idée d'une ouverture de la globalisation aux pays moins avancées dont Africains et de faire du développement une dimension centrale pour reconstruire un ordre économique viable. Nous en sommes très loin…

D’un boubou l’autre...
Les deux jours suivants, un peu au pas de course, nous nous rendons dans plus d’une dizaine de villages de la région de Fatick. Chaque fois c’est entre 100 et 200 villageois qui nous réservent un accueil d’une chaleur incomparable. En fonction du projet soutenu par la région Poitou Charente, la fête se fait alors autour d’un four ou chauffe eau solaire, d’un équipement photovoltaïque, d’une chèvrerie, d’une nouvelle école primaire, d’un atelier de poterie... La coopération décentralisée entre Poitou Charente et Fatick a été jugée si exemplaire par le PNUD (Programme des nations unies pour le développement) qu’elle a été choisie comme modèle mondial de référence !! L’un de ses piliers est le dispositif des bourses tremplin pour l’emploi qui permettent à Poitou Charente de soutenir des initiatives diverses et variées dés lors qu’elles créent une activité et un moyen de subsistance : apiculture, maraîchage, transformation de la noix de cajou, vente de produits agricoles etc…. Partout des villageois qui n’imaginaient pas il y a deux ans pouvoir vivre de leur activité et qui en font désormais vivre plusieurs familles… A chaque étape, les habitants se sont cotisés pour nous offrir le plus beau boubou du monde !

La porte du Non retour
Dernier jour avant le départ, triste comme à l’habitude, nous visitons l’Ile de Gorée, cette « porte du non retour » comme l’appelaient les esclaves qu’on y entassait durant des mois en attendant le navire qui les emmènerait loin vers l’Amérique, loin vers l’Europe. Difficile de vous décrire ce qu’on ressent sur cette île, l’oppression, le désespoir, la folie humaine, la honte aussi et la culpabilité. Le guide nous raconte que le Président Mandela en visite dans la « Maison aux esclaves » avait insisté, il y a quelques années, pour se faire enfermer un instant dans la cellule aveugle des récalcitrants (3m2). Il en est ressorti en larmes.

Najat VALLAUD BELKACEM

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