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19 avril 2009

EDWY PLENEL , En défense du discours de Royal à Dakar

En défense du discours de Royal à Dakar

PAR EDWY PLENEL

Et moi qui croyais que la France, c'était nous. Nous tous» ses citoyens, ses habitants; son peuple dans sa diversité et sa variété. Je me trompais, du moins si j'en crois les cris d'orfraie suscites par le'.fameux discours de Ségolène Royal à Dakar. A les suivre, la France, ce serait une personne et une seule, univoque, intouchable, irremplaçable et inamovible : le chef de l'État. Le scandale, ce serait donc que, le 14 avril, dans la capitale du Sénégal; l'ancienne candidate socialiste à l'élection présidentielle aurait osé parler au nom de la France, comme si la France, c'était elle aussi, comme si c'était nous, vous, moi, et pas seulement, pas uniquement, pas forcément, pas toujours, pas indéfiniment, Nicolas Sarkozy.

Cette naturalisation d'un pays en une personne, réduit à un individu unique qui serait seul légitime à l'exprimer, traduit une conception non démocratique de la vie publique. Au-delà de la personnalisation et de la concentration du pouvoir qu'elle épouse, elle fige la démocratie dans un seul moment, celui du scrutin. Car, si le vote majoritaire est un principe incontestable de choix des gouvernants, il ne saurait être un principe permanent de justification de leurs actions une fois élus. Une démocratie véritable est autrement riche et complexe que cette fiction majoritaire qui l'épuise dans les urnes. La diversité de la société n'est pas réductible au moment électoral qui la simplifie ; et les gouvernés ne perdent pas leur pouvoir dès lors que, par leur vote, ils l'ont délégué.

L'avocate de la démocratie participative est donc légitime, tout comme vous et moi, à exprimer la France, ses différences, ses nuances. Elle a bien le droit de dire que le précédent discours de Dakar, celui du président de la République, en forme de divagation historique, n'était que sa parole particulière, en aucun cas celle de tous les Français, certainement pas son mandat électoral. Voici le passage qui a suscite cette stupéfiante polémique : « Quelqu'un est  venu ici vous dire que "l'homme africain n'est pas entré dans l'histoire''. Pardon pour ces paroles humiliantes, qui n'auraient jamais dû être prononcées et qui n'engagent pas la France. Car vous aussi, vous avez fait l'histoire, vous l'avez faite avant la colonisation, vous l'avez faite pendant, et vous la faites depuis. »

Sauf à revenir aux monarchies de droit divin, dont le renversement fit nos républiques, jamais la France ne se résumera à l'occupant provisoire de son palais élyséen. Notre histoire nationale, de l'affaire Dreyfus au combat anticolonial, en passant par la France libre et la Résistance intérieure compte mille épisodes où une certaine idée éternelle de la France fut sauvée de ses incarnations institutionnelles momentanées. Aussi fais-je partie de ces Français qui, après avoir eu honte, pour leur pays du discours de Sarkozy à Dakar en 2007, ont retrouvé leur fierté avec celui de Royal en 2009.

Fier, par exemple, d'entendre ceci, à propos de la colonisation, dont une partie de la droite a essayé de nous imposer en 2005, la légende officielle de ses « aspects positifs » :« Qu'il y ait eu, à cette époque, des hommes et des femmes sincères, de bonne volonté, cela est sûr. Mais on n'a rien dit quand on n'a dit que cela. Le problème est que la colonisation fut Un système. Ce système doit être condamné pour ce qu'il fut : une entreprise systématique d'assujettissement et de spoliation. Les colonisés n'avaient pas le choix. Le travail forcé et le code de l'indigénat étaient la règle. Et le mépris. Et le racisme. Et la violence d'un système qui fit les uns ployés sous le joug des autres. » Oui, fier tout comme Ségolène Royal elle-même s'est dite, dans ce propos d'une Française née à Dakar, «fière qu'il y ait eu en France des consciences pour s'insurger et des militants pour se porter aux côtés de ceux qui luttaient pour leur indépendance. Ceux-là défendaient nos valeurs quand la colonisation en était la négation ».

Ces paroles-là honorent la République. Cette République qui, face à Jules Ferry défendant en 1884 « le droit d'aller chez ces barbares, parce que nous avons le devoir de les civiliser » et proclamant même que « les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures », avait eu le visage de Georges Clémenceau, dont voici la réplique sans appel : «Je ne comprends pas que nous n'ayons pas été unanimes à nous lever d'un seul bond pour protester violemment contre vos paroles. Non, il n'y a pas de droit des nations dites supérieures contre les nations inférieures. N'essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation. Ce n'est pas le droit, c'en est la négation. »

A cette époque-là, déjà, la France n'avait pas qu'un seul visage, pas qu'un seul discours. Nous avons bien le droit de préférer hier Clémenceau à Ferry, aujourd'hui Royal à Sarkozy •

www.mediapart.fr

 

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