SANTE, LA DERIVE LUCRATIVE
Tribune parue dans l'hebdomadaire Marianne du 18 juillet 2009
Ladislas POLSKI
médecin, secrétaire national à la santé du Mouvement Républicain et Citoyen
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la loi Bachelot a suscité une
opposition hétéroclite: syndicats de médecins libéraux criant « au loup
! » et poussant leur corporatisme jusqu’à la caricature, internes en
formation veillant jalousement sur leurs futurs dépassements
d’honoraires, chefs de services hospitaliers peu décidés à abdiquer
leurs pouvoirs aux directeurs d’hôpitaux, défenseurs sincères aussi, de
l’hôpital public : tous ont fait entendre leur colère.
La ministre de la santé a été contrainte de reculer sur certains points
: telle mesure sur la publicité pour l’alcool, telle autre sur sa vente
dans les stations-service ont été retoquées. Les velléités de limiter
la liberté totale d’installation des médecins ont été repoussées. Le
renforcement du pouvoir des directeurs d’hôpitaux sera atténué : en ces
temps difficiles, il fallait apaiser la grogne des mandarins
hospitaliers.
En revanche, les mesures de fond pour la réorientation du système de
santé en faveur du secteur privé ont été fermement maintenues.
Ainsi, des groupements de coopération sanitaire, fruits du
rapprochement entre établissements de santé de droits privé et public,
vont se développer, au risque que l’on voie disparaître certaines
activités du secteur strictement public, seul garant de l’accès de tous
à des soins de qualité.
Mesure cardinale de la loi, la création des Agences Régionales de Santé
n’est pas à rejeter de principe : regroupant les services de l’Etat et
de l’Assurance maladie à l’échelon régional, ces ARS pourraient être
les bras armés d’une politique de santé volontariste au service de
l’intérêt général.
Las! Ces agences seront avant tout les instruments d’application de la
loi, qui apparaît comme profondément inspirée par une volonté
d’assimilation des établissements hospitaliers publics et privés.
En témoigne le premier chapitre de cette loi, précisant que les
établissements de santé, publics ou privés, doivent pouvoir
indifféremment « mener ou participer à des missions de service public
», notamment pour « l’enseignement universitaire et post-universitaire
».
Jusqu’ici presque exclusivement réservée à l’hôpital public, la
vocation universitaire lui conférait le prestige nécessaire pour
retenir des médecins en son sein, et garantissait pour tous un égal
accès à des soins d’excellence.
Or, si le prestige universitaire s’éloigne de l’hôpital, la culture
d’entreprise y fait son entrée : les directeurs d’hôpitaux pourront
être issus du secteur privé. Quant aux médecins, ils pourront être
recrutés sous un statut de droit privé assorti d’une rémunération
comportant une part variable.
Il faut dire que l’instauration de la tarification à l’activité avait
ouvert la voie de l’hôpital-entreprise : en imposant aux établissements
hospitaliers publics le même mode de financement, basé sur la
rentabilité, que celui des cliniques privées, le système de la « T2A »
fait fi des spécificités de l’hôpital public que sont notamment
l’accueil de tous les patients sans sélection et la formation initiale
des professionnels. La quête imposée de la stricte rentabilité ne peut
qu’aboutir à une sélection des malades, et à une dangereuse et
inflationniste course à l’acte.
Tout cela, depuis plusieurs années, produit le glissement progressif de
notre système de santé vers une logique concurrentielle, lucrative et
génératrice d’inégalités
Il faut pourtant mesurer le danger qui existe de voir contesté à
l’hôpital public son rôle de référence et d’ultime recours dans le
système de santé.
S’il est fondamental que ce rôle lui soit conservé, c’est parce que
l’hôpital public incarne seul la synthèse républicaine entre excellence
médicale et égalité d’accès aux soins.