Polytechnicien et philosophe, Albert Jacquard, 83 ans, est avant tout un philosophe humaniste. Hier, il présentait son dernier ouvrage lors d'une conférence à Saint-Martin-des-Champs (29). Éclairé et incisif, le sage dénonce les comportements autodestructeurs des hommes et prône la coopération.
Nucléaire. Supprimer les bombes
«Les hommes ont dépensé beaucoup d'argent pour construire des bombes
qui ne peuvent servir qu'à détruire l'humanité. Il faut supprimer les
bombes nucléaires. La dissuasion nucléaire forme l'apothéose de la
compétition. Et la confrontation de la force contre la force est une
imbécillité. Les politiques n'évoquent jamais ce sujet. Il s'agit d'un
déni de démocratie. Mon arme est la parole. Il faut dire et redire la
vérité afin de changer les choses».
Écologie. Devenir moins gaspilleur
«Depuis des dizaines d'années, nous nous battons contre la nature. Nous
avons épuisé les ressources de la planète. L'écologie est le dialogue
entre l'humanité et la planète. Comment l'homme va-t-il agir avec la
nature? Cela commence, pour les plus riches, par devenir moins
gaspilleur. Il faut être lucide et changer complètement les
comportements. Il est clair que la consommation matérielle n'est pas
liée au bonheur».
Economie. Le mirage de la croissance
«Aujourd'hui, 1/5 de l'humanité dépense les 4/5 des richesses. Un
changement suppose une remise en cause des concepts économiques comme
la notion de valeur. Les sociétés actuelles reposent sur la croissance,
c'est-à-dire la création de valeur. Mais qu'est-ce que cette valeur?
Comment la mesure-t-on? La valeur est une notion indéfinissable. La
valeur d'un objet dépend de l'objet lui-même mais encore plus de ce
qu'il l'entoure. La valeur n'existe pas en soi. Si l'on tient compte de
ces remises en cause, alors, tout ce que l'on fait aujourd'hui est
absurde. Qu'est-ce qui a le plus de valeur dans la vie? Le jour où l'on
a acheté une nouvelle voiture? Non, mais certainement celui où l'on a
reçu un sourire que l'on n'attendait pas. Je suis pour la croissance,
mais celle des véritables valeurs humaines».
La crise? Une absurdité
«La fameuse crise financière qui nous touche depuis près d'un an est
une absurdité. La meilleure illustration est caractérisée par la
réaction du gouvernement. Un jour, il nous dit que les caisses sont
vides. Puis six mois plus tard, il distribue des centaines de milliards
aux banques. Certainement de l'argent trouvé dans le double fond de la
caisse. Ce n'est pas sérieux. Le terme de ?crise? n'a d'ailleurs aucun
sens. Il faut plutôt parler de mutation, comme quelque chose
d'irréversible. Et profitons de cette mutation pour changer la donne.
Nous vivons dans une période où tout est possible, y compris le pire.
Ceci est un fait et pas une opinion».
Éducation. Stopper la compétition
«L'école n'a pas pour but de fabriquer des gens compatibles avec la
planète mais des gens capables de réfléchir à leur destin. Il ne s'agit
pas d'accumuler des savoirs mais de partager avec les autres. C'est à
l'école que l'on doit apprendre à se rencontrer afin de s'enrichir. Le
système de notation ne sert à rien car la compétition engendre la
destruction de l'autre. Cette concurrence n'est pas naturelle mais
émerge d'une construction sociale. Il est primordial d'inventer une
nouvelle ère où la coopération serait au centre de nos activités
humaines. Si l'on accepte la généralisation de la compétition, alors,
effectivement, le compte à rebours peut commencer».
Albert Jacquard, «Le compte à rebours a-t-il commencé?», aux Éditions Stock.
- Steven Lecornu
«Mon arme est la parole. Il faut dire et redire la vérité afin de changer les choses».
Albert Jacquard, scientifique et philosophe humaniste.