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3 décembre 2009

Enquête sur le couple Kouchner-Ockrent

 

Par Henri Haget, Vincent Hugeux, Jean-Marie Pontaut, publié le 02/12/2009

 

 

Bernard Kouchner et Christine Ockrent, un couple au coeur du pouvoir.

REUTERS/Michel Gangne/Pool

Bernard Kouchner et Christine Ockrent, un couple au coeur du pouvoir.

 

 

Bernard Kouchner règne sur le Quai d'Orsay et peine à exister dans l'ombre de l'Elysée. Christine Ockrent codirige l'audiovisuel extérieur français, en proie aux conflits sociaux. Leur popularité intrigue, leur opportunisme agace, mais ils résistent et gèrent leurs affaires comme une petite entreprise. Histoire d'une duo à part.

     

Bernard Kouchner tel qu'en lui-même. En trente ans, des boat people aux pages ­people, l'homme, en ­apparence, n'a pas changé. Le 4 février 2009, face à David Pujadas, au 20 Heures de France 2, ses phrases s'étirent dans des soupirs de tragédien, son menton tremble sous le coup de l'indignation. Alors, ce bouquin de Pierre Péan, ces accusations de dérive opportuniste à la solde de vieux dictateurs africains?  "Honteux!" ; "Ces mensonges vont disparaître..." ; "Oui, je pense qu'on peut porter plainte!"

Des mots. Neuf mois plus tard, Pierre Péan attend encore de recevoir la moindre assignation. Mais il n'en finit pas de remâcher les soupçons d'antisémitisme exprimés à son encontre par le ministre des Affaires étrangères. "Ça nous a tués, mon bouquin et moi", admet-il. Parti pour casser la ­baraque, Le Monde ­selon K. s'est vendu à 32 000 exemplaires, loin, très loin des 100 000 visés par les éditions Fayard. Kouchner, lui, s'en sort sans une égratignure. Dans les sondages, il continue de planer: 67 % d'opinions favorables au dernier palmarès de l'Ifop. La routine

Les réseaux d'Ockrent

Christine Ockrent telle qu'en elle-même. En trente ans, de son piédestal de présentatrice du JT au trône de directrice générale de l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF), la reine Christine, en apparence, n'a pas changé.

Ce 10 juin 2009, devant la commission des Affaires culturelles du Sénat, qui la questionne sur le climat social à Radio France internationale (RFI), ses accents de grande bourgeoise n'estompent guère cette ironie pincée qui est aussi sa marque.

Evénement rarissime sous la coupole: la sénatrice des Verts Marie-Christine Blandin, lassée de se faire rabrouer, claque la porte en pleine séance. "Mme Ockrent nous a houspillés comme si elle s'adressait à une assemblée de grévistes récalcitrants!" dit-elle, sidérée par tant d'aplomb. Le surlendemain, elle recevra des fleurs ornées de ce mea culpa : "Seule la passion m'éclaire..."

Les grands sentiments. On dirait du Kouchner. Bernard et Christine. Une histoire française. Un couple aimanté par la lumière doublé d'une entreprise de lobbying parfaitement huilée.

Lui, l'éternel French doctor, immunisé à vie contre les accusations de cynisme et de compromission par ses états de service au chevet des damnés de la terre. Elle, l'incarnation du professionnalisme "à l'américaine", cuirassée dans son CV d'ancienne journaliste de la chaîne CBS et de première femme, en France, ayant présenté durablement le 20 Heures. Un mythe, donc, que ce tandem de feu et de glace qui, au milieu des années 1980, inaugura l'ère triomphante des amours politico-­médiatiques.

"Je maintiendrai": empruntée au prince Guillaume d'Orange, la devise favorite de Christine Ockrent résume parfaitement la somme d'orgueil et d'entêtement exigée par la conquête du pouvoir. Mais l'ambition n'est qu'une lubie si elle ne s'appuie pas sur de puissants réseaux d'influence.

L'ex-journaliste peut compter sur le plus indéfectible d'entre eux: la famille. Françoise Sampermans, à l'époque directrice générale de la Générale occidentale, qui détenait L'Express, se souvient du jour de 1994 où la candidature d'Ockrent pour la direction de la rédaction lui a sauté au visage: "Je déjeunais avec sa soeur, Isabelle, ancienne dircom de la Seita, et j'évoquais mon souci de moderniser L'Express. C'est elle qui m'a soufflé le nom auquel je n'aurais jamais pensé : 'Et pourquoi pas Christine'?"

Le droit d'ingérence, spécialité de Kouchner

A l'été 2007, l'Histoire bégaie. Devant plusieurs de ses ministres, le chef du gouvernement, François Fillon, réfléchit à la création d'une société regroupant les médias français diffusés à l'étranger. Kouchner trouve l'idée épatante : "J'espère que vous n'oublierez pas Christine!" Le droit d'ingérence, sa spécialité.

Au fil du temps, Christine Ockrent a fini par se construire un carnet d'adresses digne d'un ministre, lui aussi. Comme par capillarité, c'est elle qui s'est immiscée, discrètement, au sein des cercles de réflexion les plus ­privés de la planète, de ceux qui bombardent les ­gouvernants de prescriptions économiques et diplomatiques, voire militaires.

Fidèle du groupe Bilderberg (voir l'encadré), membre de l'International Crisis Group et de l'European Council on Foreign Relations, elle joue les oracles quand son compagnon voit chaque jour son champ d'action se réduire du fait de l'activisme du secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant. Se dessinent alors les contours d'un couple à front renversé, lui en bateleur d'estrade, elle en éminence géostratégique: Bernard Ockrent et Christine Kouchner, en quelque sorte.

Ils s'aiment. "Bernard et moi, ce sont deux vies qui se sont croisées, presque enroulées l'une à l'autre", dit-elle joliment. Dès lors, il n'est pas toujours facile de s'y retrouver. Dans la promotion du 14 juillet 2007 de la Légion d'honneur, Christine Ockrent est hissée au grade d'officier. Or, comme pour tous les étrangers – elle est belge – sa médaille fait partie du contingent du Quai d'Orsay, où son compagnon a emménagé avec fracas deux mois plus tôt. Népotisme? Kouchner, qui, à titre personnel, a fait le serment de refuser toute décoration de la République, grimpe aux rideaux: "Je n'ai rien signé concernant Christine. C'est Jean-Pierre Jouyet, ministre des ­Affaires européennes, qui s'en est occupé. De plus, l'initiative remontait au gouvernement précédent."

Joint par L'Express, le secrétaire général adjoint des Nations unies Philippe Douste-Blazy, prédécesseur de Bernard Kouchner au ministère, ne se souvient pas "d'avoir entériné ou proposé la nomination de Christine Ockrent à quelque grade que ce soit... " Bref, le doute subsiste. Ironie du sort : en 1999, pour sa première médaille de chevalier, son compagnon était déjà là, au gouvernement. Pour l'occasion, c'était à gauche. Un destin vaut parfois mieux qu'un long discours.

2009, l'année des controverses

2009 aurait dû être leur Graal: lui, la voix de la France sous les lambris ; elle, sur les ondes et les écrans. Il n'en ­restera bientôt que doutes, controverses et suspicions.

A peine sorti du guêpier Péan, Kouchner pensait avoir fait le plus dur en mettant sur le banc de touche ­l'encombrante secrétaire d'Etat aux Droits de l'homme, Rama Yade, lors du remaniement de juin dernier. Lui-même, pourtant, est passé à deux doigts du ­carton rouge : Nicolas Sarkozy a confié à un ­responsable de la ­majorité avoir failli l'évincer en le présentant à un poste européen. 'La magie Kouchner n'opère plus", confirme un élu UMP.

Sa diplomatie à l'estomac, ses facéties de carabin, ses emportements shakespeariens ont fini par lasser comme autant de ficelles d'un vieil acteur.

Ockrent, elle, tient et "maintient", mais à quel prix? A RFI, la mise en place d'un plan social drastique a provoqué la plus longue grève de l'audiovisuel public depuis mai 1968. A TV5, ce sont les actionnaires étrangers qui ont ferraillé pour la priver du fauteuil de directrice déléguée. "Est-ce qu'on imagine une seule seconde que le mari de Condoleezza Rice puisse diriger l'audiovisuel extérieur des Etats-Unis? interroge un ancien membre du conseil d'administration de la chaîne francophone. Dans les pays anglo-saxons, chers au coeur de Mme Ockrent, l'interdit, ce n'est même pas le conflit d'intérêts, mais l'apparence de conflit d'intérêts..."

Cette confusion des genres lui a servi d'escorte lors de ses trois excursions africaines depuis sa nomination. Accueil protocolaire sur le tarmac, formalités douanières escamotées, saut de puce en hélicoptère privé... Mais qui, au juste, le président sénégalais Abdoulaye Wade et l'Ivoirien Laurent Gbagbo avaient-ils le sentiment d'accueillir? La directrice de l'AEF, la statue cathodique ou la première dame du Quai?

C'est d'ailleurs par un coup de fil du cabinet de Bernard Kouchner qu'André Janier, alors ambassadeur de France à Abidjan, a été informé de la venue de l'éminente personnalité. "Je préférerais en parler avec l'intéressée elle-même", répondra-t-il, en briscard de la diplomatie.

Le plus drôle, c'est que Christine Ockrent n'a pas été prise une seule fois en flagrant délit d'interventionnisme depuis son sacre de février 2008. Mais il arrive que ses intuitions journalistiques forcent l'admiration.

Les "ménages" d'Ockrent

A France 24, lors d'une réunion, en septembre, elle annonce une série de grands entretiens sur l'identité française. Dans la rédaction, on s'interroge: a-t-on déjà vu CNN diffuser un programme sur l'identité américaine? Deux mois plus tard, quand le débat sur l'identité nationale, dégoupillé par le gouvernement, explose sur la place publique, c'est la stupeur. "Dans ces cas-là, on ne peut pas s'empêcher de penser qu'elle a lu ça dans le marc de café lors de ce dîner d'été, au cap Nègre, avec Bernard et les époux Sarkozy", souligne un journaliste de la chaîne. Selon le directeur de la rédaction, Vincent Giret, l'idée date du mois de juin, sur une proposition de la sociologue Caroline Fourest. On ne prête qu'aux riches.

Il ne fallait pas être devin pour pressentir que le salaire d'Ockrent, dans ses nouveaux habits de cost killer, provoquerait de l'eczéma jusque chez les parlementaires. A l'instar d'Alain de Pouzilhac, PDG de l'AEF, sa rémunération annuelle peut grimper jusqu'à 310 000 euros par an, au gré d'un système de primes qui, le 4 novembre, a fortement agacé les élus examinant le budget 2010.

"Il est invraisemblable que l'on ne parvienne pas à obtenir de chiffres précis et que ces montants puissent être supérieurs à ce qui existe à l'étranger " s'est étranglé le député UMP Lionnel Luca devant la commission des Affaires étrangères. "Nous sommes légitimement choqués qu'un groupe licencie quand les salaires de ses dirigeants explosent ", a ajouté, dans le camp d'en face, le député PS Jean Glavany.

L'argent: vieux sujet, têtu comme un boomerang, qui n'a jamais vraiment laissé en paix le couple Ockrent-Kouchner. A la tête d'une petite holding, ils vivent à Paris dans un somptueux ­duplex loué au Vatican à des conditions longtemps restées confidentielles (voir l'encadré). Lui s'est illustré par ses brillants rapports, et la justification, auprès de quelques amis socialistes, du passage du Rubicon, en 2007: "Je n'ai pas de ­retraite, il me faut bien un revenu!"

Ockrent, elle, traîne une réputation de pitbull dès qu'il s'agit de monnayer son talent. A la fin des années 1980, la révélation de ses émoluments de présentatrice du JT d'Antenne 2 déclenche une grève et une polémique nationale. Dix ans plus tard, la voici sur France 3, avec un salaire deux fois supérieur à celui de Rémy Pflimlin, directeur général de la chaîne, grâce à un fructueux système de primes à l'émission. "Je me rappelle que le contrôleur d'Etat s'était arraché les cheveux au moment de valider cet accord, raconte Christian Dauriac, à l'époque directeur de la rédaction de France 3. Finalement, il a dû s'exécuter sur ordre."

Les "ménages", ces animations de séminaires d'entreprise tarifées 15 000 euros la journée, ont longtemps constitué une manne pour celle qui, paradoxalement, se réclame du puritanisme déontologique anglo-saxon.

Sainte Christine vénérée par les jeunes générations de reporters, au point que Loïc Hervouet, alors directeur de l'Ecole supérieur de journalisme de Lille, l'invita à donner la leçon inaugurale de la promotion 1999. Une tradition. Tous les grands noms du PAF y sont passés: Jean-Pierre Elkabbach, Michèle Cotta, Robert Namias, Dominique Baudis... Tous sauf elle, en définitive. "C'est la seule à nous avoir réclamé de l'argent, raconte Loïc Hervouet. Dans mon souvenir, elle exigeait l'équivalent de 5 000 euros, puis, devant mon refus, son assistante a rappelé pour la proposer à moitié prix..." Finalement, c'est Jean-Marie Cavada qui l'a remplacée au pied levé. Et contre zéro franc.

"Chacun vit avec ses contradictions..."

Bien sûr, à 70 et 65 ans, Bernard Kouchner et Christine Ockrent ne sont pas seulement ce que le pouvoir a fait d'eux. Sous le vernis de la complaisance, l'infatigable bretteur apparaît encore, de temps à autre, en pointillés. "C'est incroyable comme il est flatteur: à chaque Conseil des ministres, il explique: 'C'est grâce à vous monsieur le Président...', souligne un membre du gouvernement. En même temps, il est l'un des rares à avoir de vrais débats avec Sarkozy et à oser, parfois, s'opposer à lui."

Ockrent, elle, fera toujours figure d'Himalaya. "Elle m'a tout appris: comment choisir le bon angle pour un reportage, pourquoi privilégier telle information... C'est la meilleure d'entre nous", affirme l'ancien journaliste de FR3 Pierre Fraidenraich. Il la découvre aux commandes du Soir 3, voilà quinze ans. Face à l'inertie de la rédaction, elle décide d'adouber deux reporters débutants pour lui servir de garde rapprochée: le premier, Fraidenraich, deviendra le patron d'iTélé ; le second, Guy Lagache, l'une des stars de M 6.

C'est sûr: Ockrent a fait valser les archaïsmes, et Kouchner, en son temps, a ­révolutionné les consciences. Mais cela remonte au siècle dernier, loin de la pompe, des ors et des prébendes du régime.

En 2003, lors de la publication de son best-seller sur Françoise Giroud, Une ambition française (Fayard), Christine Ockrent est accusée de trahison pour avoir révélé d'inavouables secrets sur son amie décédée. Au téléphone, un ami de la biographe lui demande comment elle régirait, elle, si l'on venait fouiller dans les arrière-cuisines de son existence? La reine Christine étouffe un rire de fillette insolente: "Chacun vit avec ses contradictions..." Quelques icônes de la politique et de la télévision ne font même que cela. C'est juste une question d'habitude.

L'EXPRESS

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