LES TROIS VOLETS DE NOTRE IDENTITÉ
Sarkozy a créé un ministère de l’identité nationale et de l’immigration dont le titre lui-même semble graver dans le marbre une différence insurmontable entre nous les citoyens et eux les étrangers.
Dans la foulée, le 12 novembre
dernier, il a lancé un débat sur cette identité nationale, que sa
marionnette Eric Besson a matérialisé sous la forme d’un document
adressé aux préfectures en deux parties, seize chapitres et cent vingt
questions. Ce faisant, il a embrouillé un problème beaucoup moins
compliqué qu’il n’y paraît....
Passons
sur les motifs de l’opération : racoler les électeurs du Front national
et surfer sur une xénophobie populaire alimentée par le prosélytisme de
l’islam. Le coup est classique. Quand un politicien voit chuter sa
cote, il brandit le drapeau. Le panache blanc (en l’occurrence
tricolore) auquel ses troupes doivent se rallier.
La manœuvre a
déclenché le raz de marée habituel de réactions contradictoires, le
nationalisme ayant toujours été un sujet sensible. Les uns voient dans
le nationalisme un déchet anachronique (“la remise sur le métier d’une
nostalgie populiste et rance”, dit Bernard-Henri Lévy) ; un refus
protectionniste et inacceptable de la merveilleuse Europe ; un obstacle
à la bienfaisante hégémonie de l’OTAN et de l’empire américain.
D’autres invoquent le nationalisme contre la mainmise apatride des
juifs sur les affaires de l’Etat ou l’invasion sournoise des fanatiques
de l’islam.
D’autres enfin dénoncent dans le nationalisme une trahison
de la solidarité humaniste internationale et une dangereuse
introduction au fascisme.
Pauvre nationalisme, qu’on s’arrache, qu’on manipule ou qu’on piétine. Il ne mérite ni cet excès d’honneur ni cet abus d’indignité. Si l’on arrive à calmer les passions, on s’aperçoit qu’il peut faire l’objet de quelques commentaires de base qui situent le problème bien mieux que le questionnaire de Sarkozy. Et qui inspirent une politique dont se gardent bien de parler nos grands médias.
Quelle est donc notre “identité nationale” ?
Il me semble
qu’elle s’incarne dans un modèle républicain à trois volets : un volet
politique, un volet économique et un volet culturel. Chacun de ces
volets définit le but à atteindre et l’ennemi à combattre.
Le
volet politique est celui de l’indépendance nationale. La bataille est
à livrer contre un double adversaire : l’impérialisme américain et
l’Europe du capitalisme libéral. L’hégémonie de Washington est ébranlée
par le développement de la Chine, de la Russie et de l’Inde ; par les
affranchissements d’Etats latino-américains ; par les alliances
nouvelles qui créent des zones différentes d’influence géostratégique.
Le système de marché parasité par le cancer financier a plongé dans une
crise profonde le mondialisme des banques et de la grande industrie.
L’Europe des multinationales et de la haute finance, en se diluant dans
un élargissement ingérable et en se dotant de structures dépourvues de
tous rapports avec les peuples, s’avère de moins en moins crédible.
L’OTAN, qui a révélé sa vraie nature de bras armé du Bureau ovale,
s’enlise dans des guerres sans issue tout en voulant contrôler
militairement la planète. De la Révolution à la Résistance, la France a
une histoire d’indépendance qui a été longtemps admirée. Face aux
bouleversements actuels de la planète, elle doit y faire honneur en
s’affranchissant du nouvel ordre mondial.
Le volet économique est
celui de la justice sociale. La bataille est à livrer pour une
réduction des inégalités. Un gouffre s’est creusé entre une “élite”
minoritaire qui vit dans le cocon de la richesse, et une masse dont la
proportion de pauvres ne cesse d’augmenter. L’explosion du système
financier a révélé les rémunérations démesurées des grands patrons et
les scandaleux sauvetages des escrocs de la bourse. La fiscalité
favorise les fortunés, alors que le restant du peuple souffre de la
compression des salaires, de la baisse du pouvoir d’achat, de la montée
du chômage, de la distension de l’éventail des revenus et de la
dégradation des conditions de vie. La France a une tradition de
conquêtes populaires qui doit se perpétuer dans une redistribution des
ressources nationales et de drastiques régulations du profit.
Le
volet culturel est celui de la neutralité intellectuelle. Là aussi, la
bataille à livrer est double : dans le domaine des convictions, pour la
laïcité ; dans celui des origines, contre le racisme. Le prosélytisme
religieux, ainsi que toutes les infiltrations confessionnelles, sont à
combattre avec force dans la mesure où la foi, quelle qu’elle soit,
sort du spirituel pour empiéter sur le temporel. Aucun culte ne doit
influer sur la gestion de la société, encore moins imposer sa loi. La
croyance en un Dieu, l’agnosticisme ou l’athéisme sont des affaires
privées et ne justifient aucun exhibitionnisme public, aucune
ostentation. La séparation de l’Eglise et de l’Etat est une obligation
fondamentale de la République. De la même façon, toute discrimination
ethnique, tout jugement de valeur découlant d’une appartenance à un
groupe, d’une différence d’opinion ou d’une couleur de peau, toute
velléité de racisme, sont à proscrire sans faiblesse dans le cadre de
la citoyenneté républicaine.
Indépendance nationale, justice
sociale, neutralité intellectuelle, voilà les trois volets de notre
modèle français, de notre “identité nationale”. Les évoquer – et exiger
du gouvernement qu’il en déduise sa politique – est, à mon sens, une
façon simple et claire de répondre au questionnaire de Sarkozy.
Louis DALMAS de POLIGNAC
B. I. n° 150.
Dernier livre paru : “Le bal des aveugles”, Editions Le Verjus.
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