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13 février 2010

« Elle ira loin ! », disait Bérégovoy

A sa sortie de l'ENA en 1981, Ségolène fait ses classes à l'Elysée. Elle a 27 ans. Elle séduit le président par son flair et son originalité. De lui, elle a beaucoup appris, notamment qu'il faut toujours rester libre, ne jamais plier, ne jamais renoncer  

 


 

    Elle est entrée à l'Elysée en mai 1981. Parmi la centaine de sympathisants qui avaient travaillé avec lui pendant la campagne, Jacques Attali, devenu conseiller spécial du président Mitterrand, en a sélectionné quatre : Jean-Louis Bianco, Pierre Morel le diplomate, François Hollande et Ségolène Royal. Leur mission : préparer les sommets internationaux et «avoir des idées».
Elle entre par la petite porte : pendant un an, elle sera une collaboratrice « officieuse ». Elle a 27 ans, elle vient directement de l'ENA. Discrète, efficace, un peu provinciale, elle rédige note sur note. Très vite, François Mitterrand entend parler de cette jeune femme atypique, à la fois timide et culottée, dont les initiatives surprennent. Elle impose une crèche à l'Elysée pour les enfants du personnel. Elle adresse dès le printemps 1981 une note au président pour l'alerter sur un fléau dont personne ou presque n'a entendu parler en France : le sida. Elle, si : elle a séjourné à San Francisco, où la maladie a été décelée fin 1980.
Ségolène Royal se lie d'amitié avec deux proches du président : Laurence Soudet et Charles Salzmann, chargés de mission auprès de lui. La première, après avoir lu sa note sur le sida, pense : « Cette fille n'est pas seulement une énarque, une techno. » Elle se souvient : «Elle avait déjà sa méthode : partir de l'expérience de terrain, savoir anticiper les problèmes qui allaient se poser.» Avec le second, chargé d'étudier les attentes de l'opinion, elle passe des heures à confronter les résultats des sondages aux informations qui lui remontent du terrain. Connaître les attentes des Français, c'est déjà chez elle une quasi-obsession. Plus tard, elle dira : "Le bilan annuel de la Sofres, je dévore ça ! "Mitterrand, qui déteste les conformismes et n'aime pas les énarques classiques, apprécie le flair et l'originalité des vues de Ségolène. Lorsque au printemps 1982 elle lui propose de tenir le sommet des pays industrialisés dans une banlieue, il sourit : il a déjà choisi Versailles ! Mais c'est elle qu'il charge discrètement de faire le tour des capitales pour préparer ce sommet qui s'ouvre le 5 juin. Aussitôt après, elle est promue officiellement « chargée de mission ». Dans son « Verbatim I », Attali note : «Remarquable compétence au service d'une conviction sincère.» Elle quitte son minuscule bureau du 2e étage pour un plus grand au 4e dans une aile du palais. Elle continue de travailler pour la cellule d'Attali et se voit confier en plus la santé et la jeunesse. Au fil des années, elle étendra ses compétences aux affaires sociales, à la famille, au temps libre.
Pourtant, si l'on en croit plusieurs poids lourds du cabinet, Michel Charasse, Jean Glavany, Elisabeth Guigou, Ségolène aurait peu compté. Ils se disent incapables de citer une seule idée marquante exprimée par elle, un seul acte fort dont ils auraient été témoins (1). Il est vrai qu'elle cherche peu leur compagnie. Elle vit en marge, boude le grand déjeuner informel des conseillers, qui a lieu le mercredi, après le conseil des ministres. Trop macho, pas assez sérieux à ses yeux. Elle ne participe pas davantage aux discussions sur les « grands problèmes ». Peut-être parce qu'elle ne s'y sent pas encore à l'aise, parce qu'elle manque d'expérience. Contrairement à certains de ses collègues grisés par le pouvoir, elle ne cherche pas à s'intégrer à la petite société parisienne que Raymond Barre appelle le microcosme. Elle est ambitieuse déjà, très ambitieuse, mais elle ne se disperse pas. Elle préfère se concentrer sur les domaines dont elle a la charge, même si, plus sociétaux que politiques, ils sont considérés à l'époque comme des sujets mineurs. Et s'occuper, quand elle le peut, des deux enfants qu'elle a mis au monde pendant le septenat.En revanche, ceux qui sont destinataires de ses notes et avec qui elle travaille directement ne tarissent pas d'éloges. Pierre Bérégovoy, le premier secrétaire général de l'Elysée, l'avait remarquée pendant la campagne, où elle occupait un bureau avec Maurice Benassayag et François Hollande. Déjà, il appréciait sa volonté, son sérieux, sa capacité de travail. Il disait alors : «Elle est formidable, et en plus elle est belle!» Son successeur, Jean-Louis Bianco, et le secrétaire général adjoint Christian Sautter sont à l'unisson. «Si elle n'a pas laissé de souvenir à certains, c'est qu'elle était sans problèmes, précise, efficace, fiable», dit ce dernier. Jean-Louis Bianco se souvient : «Elle avait déjà une perception fine et originale de la société française.»
C'est elle notamment qui travaille sur la « carte 10 ans » pour les étrangers en situation régulière. Elle qui met fin à la première grande fronde des motards. Elle entre en contact avec les responsables, juge certaines de leurs revendications fondées, persuade Mitterrand de les recevoir. De même pour le conflit des internes des hôpitaux, qui s'éternisait avec des syndicats faibles, une coordination forte mais mal organisée, des structures hospitalières figées. Elle identifie les bons interlocuteurs chez les contestataires comme dans l'administration et parvient à nouer les fils de la négociation. Sans jamais apparaître en première ligne. Bianco résume : «Elle avait déjà du caractère, des convictions, elle savait travailler en équipe. Elle possédait en plus cette qualité très personnelle : comprendre ce qui se passait en profondeur dans la société.»
Ségolène fait rapidement partie de ces conseillers peu nombreux qui ont un accès direct au président. Elle lui adresse presque chaque jour une note sur les problèmes qui concernent la vie quotidienne des Français. Elle l'observe. A son contact, elle apprend. Notamment qu'il faut toujours rester libre, ne jamais plier, ne jamais renoncer. Et que la politique, c'est d'abord l'élection, l'onction du suffrage universel. Le 21 mai 1988, le dernier jour du dépôt des candidatures aux législatives, elle assiste à la cérémonie d'investiture de Mitterrand dans les grands salons de l'Elysée, où se presse le tout-Etat. Depuis quelques semaines, elle cherche en vain une circonscription. Elle glisse à son amie Laurence Soudet : «Je voudrais me présenter, il faut que j'en parle au président.» Cette dernière lui dit : «Vas-y, c'est le moment!» Mitterrand approche. Ségolène s'avance, un peu intimidée : «Monsieur le président, je voudrais être candidate.» Mitterrand, à voix basse : «Venez après la cérémonie.» Et il poursuit son chemin, visiblement agacé d'une telle démarche à un tel moment. Mais il demande peu après à Louis Mermaz de trouver une circonscription. Ce sera la 2e des Deux-Sèvres. Le président prévient Ségolène :«Vous serez battue, mais ce sera un premier pas pour vous implanter et vous pourrez gagner la prochaine fois.»
La jeune conseillère part le soir même. Sans espoir de retour : elle savait, comme tous les collaborateurs du président, que si elle était battue elle ne retrouverait pas ses fonctions à l'Elysée. En quelques jours, Ségolène Royal parcourt 3 000 kilomètres dans les douze cantons de sa circonscription, où elle faitcampagne sous le parrainage de Mitterrand. Le 12 juin, elle est élue avec 552 voix d'avance sur un notable de droite solidement implanté. A chaud, elle commente : «Pour un parachutage, l'atterrissage est réussi.»
Le président, admiratif, est ravi. Il suit désormais le parcours de Ségolène, approuve la manière dont elle refuse d'appartenir à un courant du PS, dont elle se bat pour défendre le Marais poitevin. Il lui permet d'obtenir d'importants crédits pour sa circonscription. Quand, en 1992, Brice Lalonde veut quitter le ministère de l'Environnement, Mitterrand appelle Ségolène : «Je ne voyais que vous!» Bérégovoy est, à Matignon, plus que jamais sous le charme. Son collaborateur, Olivier Rousselle, se souvient : «Les projets de loi de Ségolène jouissaient d'une quasi-priorité. Elle gagnait presque tous les arbitrages contre les autres ministres. Quand j'émettais une réserve sur elle, il me disait : «Vous n'y comprenez rien. Regardez-la : quelle prestance! Quel regard! Elle a quelque chose en plus. Elle ira très loin».»
Béré avait vu juste. Quinze ans plus tard, elle s'est imposée. Les trois hommes dont elle dépendait à l'Elysée ont été à son côté lors de la compétition interne du PS. Bianco était son porte-parole, Attali la conseillait, Sautter la soutenait. Les deux anciens Premiers ministres qu'elle a écartés de la course à l'investiture socialiste - Jospin n'a pas pu revenir dans le jeu et Fabius a été étrillé - avaient été improprement appelés « les fils de Mitterrand ». Et si, à sa manière, elle était un peu la fille de ce président dont elle a dit un jour qu'il était «l'homme qu'elle a aimé le plus au monde!»...
   
(1) « Madame Royal », par Daniel Bernard, Edition Jacob-Duvernet.  

    Robert Schneider
Le Nouvel Observateur

Source: blog "pour une nouvelle gauche avec SR"
 

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