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20 mars 2010

Jacques Attali : "Il faut réfléchir à la pertinence du bouclier fiscal"

LE MONDE | 20.03.10

Economiste, écrivain et président de PlaNet Finance, Jacques Attali préside, à la demande de Nicolas Sarkozy la commission pour la libération de la croissance française qui rendra de nouvelles orientations sur la sortie de crise à la mi mai . Il éclaire la situation du pays et celle de Nicolas Sarkozy à la lumière de ce qu'il a vécu auprès de François Mitterrand dont il était conseiller, lors du tournant de la rigueur en 1983.

A mi-mandat, Nicolas Sarkozy a-t-il encore des marges de manœuvre pour réformer ?

Bien sûr ! Il doit continuer à réformer ! Ne plus réformer, ce serait aller au fil de l'eau alors que la situation reste très difficile pour l'économie mondiale. Certes, un président de la République ne peut pas réformer seul. Il doit compter avec le Parlement, l'opinion publique, les acteurs sociaux. Mais il peut encore beaucoup, Et pour cela, il doit accepter d'être provisoirement impopulaire, expliquer les nécessités à long terme de la réforme, comme c'est le cas pour les retraites, la dépendance, et bien d'autres sujets. En 2020, la France peut avoir, comme le reste du monde, une croissance d'un genre nouveau, beaucoup plus durable, de 3 à 4 %, un commerce extérieur excédentaire et un taux de chômage retombé à 4 %.

Comment interprétez-vous le mot de "pause" que le chef de l'Etat a employé dans un entretien au Figaro Magazine juste avant le premier tour des élections régionales ?

Si la pause signifie qu'il faut veiller à ce que les réformes voulues deviennent réalité, le mot est bienvenu. Il ne suffit pas d'accumuler les textes pour réformer. Il faut veiller à ce que les textes soient appliqués, dans les détails. Trop souvent, en France comme ailleurs, moins l'administration a de pouvoir, plus elle fait de circulaires.

Que voulez- vous dire ?

De plus en plus, les politiques croient qu'ils réforment, parce qu'ils parlent de réformes. Et ils en parlent d'autant plus qu'ils n'ont pas les moyens de réformer réellement. Jusqu'au début des années quatre-vingts, le président de la République avait des pouvoirs qu'il n'a plus aujourd'hui : celui de nommer les présidents des plus grandes entreprises et d'orienter leurs stratégies, perdu à cause des privatisations; le pouvoir de mener une politique d'aménagement du territoire, perdu avec la décentralisation ; la politique monétaire, perdue avec l'euro ; la politique militaire et l'arme nucléaire perdues d'une certaine façon avec la disparition de l'Union soviétique ; les pouvoirs sur la conduite générale de l'économie du pays, perdus avec la globalisation et la construction européenne.

La "pause" renvoie à un événement historique précis : mars 1983, le tournant de la rigueur. N'est-ce pas cet épisode que le pays est en train de revivre ?

D'abord une précision. Mars 1983 n'a pas été un "tournant" car la gauche n'a pas, à ce moment, changé de politique. Cela aurait été un tournant si elle était devenue brusquement libérale, en renonçant à toutes les nationalisations et à toutes les réformes sociales, ou si elle avait choisi de faire vivre le pays en autarcie en quittant le système monétaire européen (SME). Le gouvernement d'alors a décidé une pause qui a permis d'assimiler les réformes faites sans les remettre en cause. Et les Français ont fini par le comprendre puisqu'ils ont réélu François Mitterrand en 1988.

Mais à l'époque le mandat présidentiel était de sept ans. Cela laissait largement le temps à un président impopulaire de reconquérir l'opinion.

Oui, le président avait le temps pour lui. C'est pourquoi j'ai toujours été hostile au mandat à cinq ans. C'est une erreur historique.
On peut poursuivre très loin le parallèle avec mars 1983. Période fascinante : voir le Président arriver un lundi matin avec la décision de changer radicalement de politique puis réfléchir quinze jours et accepter de changer d'avis grâce à Pierre Mauroy et à deux ou trois autres personnes, dont Jacques Delors. L'argument qui l'a convaincu, c'est l'Europe. On lui a dit :
"si vous sortez du SME votre idéal de faire l'Europe est mort." Il a accepté la pause et s'est dit : "On ne peut pas être léniniste. On ne peut pas développer le socialisme dans un seul pays ! Alors créons les conditions pour qu'il existe un jour un gouvernement économique en Europe qui peut être un jour, sera socialiste".

Il s'est rallié à la rigueur au nom de l'Europe. Exactement comme Nicolas Sarkozy qui se trouve aujourd'hui pressé par la Commission européenne et par l'Allemagne de réduire les déficits.

Je n'aime pas le mot "rigueur" ; il est trop connoté. La rigueur de quoi ? Pour qui ? L équilibre des finances publiques ce n'est pas l'Europe qui l'impose, c'est le principe de réalité. Et pas spécialement en France ! Chacun le sait dans la gestion de son budget personnel. Il faut être rigoureux. Et aujourd'hui, s'il n'y avait pas l'euro, nous serions tous en Europe dans une crise de changes pire que celle de mars 1983. De plus, la France connaît aujourd'hui, comme tous les autres grands pays, une dette publique qui n'existait pas alors et son taux de croissance potentiel est inférieur à 1% par an par habitant. A ce rythme, il faudrait attendre 2015 pour espérer retrouver le niveau de vie de 2007. A côté, le reste du monde croît en moyenne au rythme de 4% par an. Et la dette continue d'augmenter. Elle peut atteindre en Europe 100 % du PIB. Ce n'est pas raisonnable. Quand on atteint un taux d'endettement de 90% on risque d'affaiblir le potentiel de croissance.

En 1983, il y avait eu des négociations difficiles entre les Français et les Allemands sur la dévaluation. Aujourd'hui le couple franco-allemand est de nouveau dans un bras de fer. N'est-ce pas inquiétant ?

Historiquement, la réunification a créé le danger de voir l'Allemagne ne plus considérer la construction européenne comme l'axe unique de sa politique. Si on peut comprendre les raisons pour lesquelles ce pays, ayant une très faible natalité, choisit d'épargner plus que nous pour financer ses retraites, une concurrence excessive à l'intérieur de l'Europe n'est pas acceptable. De ce point de vue, l'Allemagne est la Chine de l'Europe. Et si tout le monde se conduisait de la même façon, nous entrerions en dépression. Plutôt que de gagner des marchés à l'intérieur, gagnons-en ensemble à l'extérieur. Faisons d'autres Airbus dans d'autres domaines. La France et l'Allemagne doivent s'entendre. Aucun des deux pays n'a d'avenir sans l'autre. Notre union doit être plus forte chaque jour. Et nous devons donc mettre en place de nouveaux instruments de politiques communes. En matière industrielle, scientifique, culturelle.

L'euro est- il menacé ?

Si nous ne parvenons pas à faire en sorte que la monnaie unique soit complétée par un budget commun, géré par un gouvernement unique, sous contrôle d'un Parlement, je crains le pire. A vingt ans, ou même moins, la disparition de l'euro est une menace, alors qu'il est notre meilleur atout dans l'avenir. D'autant plus que les Etats- Unis et la Chine y ont intérêt : les uns pour conserver leur monopole comme monnaie de réserve, qui leur permet de s'endetter, et les autres pour pouvoir partager le pouvoir mondial avec les seuls Américains. L'idée d'un Fonds Monétaire Européen est une autre façon de parler de la nécessité d'un progrès dans la coordination des politiques budgétaires en Europe.

La crise grecque qui ébranle la zone euro peut-elle faire tâche d'huile ?

Bien sûr. Mais les fonds spéculatifs ne l'ont pas, à eux seuls, provoquée. Ils en ont profité. Demain, l'Espagne, le Portugal, la Grande-Bretagne peuvent être à leur tour touchés. Sans pour autant dramatiser : la Grande-Bretagne a connu deux fois dans son histoire des taux d'endettement de 250 %, en 1815 et 1945, sans pour autant cesser d'être une grande puissance.

Et nous ?

La France est un grand pays, puissant et riche. Elle a un potentiel d'avenir considérable, si elle sait consacrer ses emprunts à financer des dépenses d'avenir. Il lui faut donner au reste du monde le sentiment qu'elle est capable de vouloir travailler, innover, créer et ne pas vivre au dessus de ses moyens futurs. La réduction de l'endettement est donc absolument fondamentale.

Les Français sont- ils prêts à de nouveaux efforts ?

Mais ils en font tous les jours, des efforts ! Et la rigueur, pour bien des gens, est déjà là. Le médiateur évalue à plus de dix millions le nombre de Français pour qui les fins de mois se jouent à 50 euros près. C'est considérable.

En 1983 la gauche avait imposé, au nom de la solidarité, un impôt exceptionnel sur les hauts revenus. Faudra-t-il en arriver là ?

Je ne le crois pas. La France est un pays très riche qui a un fort potentiel de croissance. Mais elle n'aime pas l'économie de marché, elle n'a pas confiance dans ses ressorts industriels alors qu'elle est leader dans quinze secteurs, elle se flagelle beaucoup. J'y vois l'effet d'une cohabitation qui a longtemps été un mode de gouvernement paralysant et l'héritage de la présidence précédente peu portée au mouvement Il faut sortir du pessimisme, ne pas présenter les choses de façon punitive. Il existe un chemin pour sortir de la crise : une stratégie fondée sur l'innovation, un accompagnement du changement d'emploi pour renforcer la mobilité et l'adaptabilité. la justice fiscale, un budget juste et efficace. A cet égard Il faut réfléchir à la pertinence du bouclier fiscal et des niches fiscales.

L'amélioration de la compétitivité française suppose-t-elle de changer le financement de la protection sociale ?

Reconnaissons d'abord que nous ne sommes plus au temps de Keynes mais de Schumpeter, qui fait de l'innovation le moteur principal de l'amélioration du niveau et de la qualité de vie. Quant à la protection sociale, il faut la financer par l'impôt et non plus par des cotisations, pour alléger le coût du travail. De plus, il existe d'autres réserves fiscales. Par exemple, il y a quelques années, on a concédé les sociétés d'autoroutes ; en 2030, elles reviendront dans le giron de l'Etat. Je suggère qu'on inscrive dès maintenant que leurs recettes seront affectées au financement des retraites.

La gauche est-elle capable de vous entendre ?

Je ne souhaite pas ici faire de politique. Une évidence nationale s'impose autour des principes de compétitivité, de réduction des déficits et d'amélioration de la situation des plus fragiles. Cela suppose, quelle que soit la majorité politique, un choc de vérité et un choc de légitimité.

Dans les premiers travaux de la Commission, votre proposition de mettre fin au monopole des taxis avait fait date. Or, il en manque toujours à Paris. N'est-ce pas le signe d'un échec ?

Ce n'est qu'une des très nombreuses propositions que nous avons faites, dont les deux tiers sont en cours de mise en œuvre ! Mais il y a une complexité de la société française, qui est une société de rente et pas d'entreprise.

Propos recueillis par Françoise Fressoz et Claire Guélaud

Article paru dans l'édition du 21.03.10.

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