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13 juillet 2010

Affaire Bettencourt-Woerth : Courroye, « le nœud du truc »

Cité dans les enregistrements et proche du Président, le procureur de Nanterre refuse de se dessaisir de l'affaire.

Philippe Courroye à la préfecture de
Nanterre, en décembre 2009 (Charles Platiau/Reuters)

« Vous croyez que ce serait indépendant de dire “ce serait bien qu'on change de juge”, qu'on en mette un autre ? Ce n'est pas ma conception de l'indépendance de la justice. » Quelques mots ont suffi à Nicolas Sarkozy pour balayer la polémique, lundi soir sur France 2, autour de Philippe Courroye, le procureur de la République de Nanterre en charge de l'affaire Bettencourt-Woerth. Et d'ajouter :

« Il est renommé de par son travail au pôle anticorruption. Il a envoyé devant la justice des personnalités de droite. »

Ancien juge d'instruction au pôle financier de Paris, il s'est en effet forgé une réputation de « monsieur Propre » en instruisant de nombreuses affaires, dont celles de Charles Pasqua ou encore Pierre Bédier. Mais son indépendance a commencé à être remise en cause en 2007, année où il est nommé (contre l'avis du Conseil supérieur de la magistrature) au parquet de Nanterre, dans le sulfureux département des Hauts-de-Seine.

Car l'intéressé ne cache pas son amitié pour Nicolas Sarkozy, qu'il se targue d'avoir connu bien avant qu'il soit Président et même ministre. Le chef de l'Etat qui l'a d'ailleurs décoré en personne, le faisant officier de l'ordre du Mérite en avril 2009.

« Il a cherché à faire pression sur un magistrat »

Le climat à Nanterre s'en trouve délétère. Encore au mois de janvier dernier, lors de l'audience solennelle de rentrée au tribunal, plusieurs dizaines de magistrats du siège et d'avocats boycottent son discours, quittant en robe la salle, pour ne revenir qu'à la fin de son allocution.

Le procureur, qui dépend de sa hiérarchie, à savoir le ministère de la Justice, avait critiqué le travail d'Isabelle Prévost-Desprez, la présidente de la chambre financière du tribunal de grande instance de Nanterre. Les magistrats du siège, soucieux de leur indépendance, avaient alors rédigé cette motion en signe de protestation :

« Par son action personnelle, en dénonçant des faits inexacts ou des faits non vérifiés résultant de rumeurs, M. Courroye a en réalité cherché à faire pression sur un magistrat […] et à travers lui sur l'ensemble des magistrats du siège qui seraient tentés de prendre des décisions non conformes aux attentes supposées du pouvoir politique. »

« Courroye de transmission »

Là n'est pas cependant le seul élément gênant. Cette proximité alléguée avec le « pouvoir politique » actuel se double, dans l'affaire Woerth-Bettencourt, de la mention de son nom dans les enregistrements réalisés par le maître d'hôtel de Liliane Bettencourt et révélés par Mediapart puis Le Point. Le 12 juin 2009, une conversation est captée entre la milliardaire, son avocat Fabrice Goguel et le gestionnaire de sa fortune, Patrice de Maistre :

Fabrice Goguel : « Je sors du bureau du procureur de la République. […] Il voudrait faire juger l'affaire par l'expert. Pour lui, en fait, l'expertise est une façon de ne pas avoir de décision à prendre lui-même. Donc, il est déçu que vous n'acceptiez pas l'expertise. » […]

Patrice de Maistre : « C'est Courroye qui est le nœud du truc. C'est pas Sarkozy, c'est Courroye. »

Liliane Bettencourt : « Il est gêné aux entournures. »

Fabrice Goguel : « Courroye aussi est très gêné. Il a très peur de devoir prendre une décision. Il pense qu'il y a des risques. C'est pour ça qu'il aurait préféré l'expertise, qui lui aurait évité le risque. »

Les attaques n'ont eu de cesse de s'amplifier depuis, à l'encontre de celui que ses détracteurs surnomment « Courroye de transmission », selon Le Point. Des syndicats de magistrats et de politiques de tous bords demandent la nomination d'un « juge d'instruction indépendant », voire carrément un « dépaysement » du dossier. A l'image de l'ancienne magistrate Eva Joly, qui accuse dans une interview accordée fin juin à Rue89 :

« Le procureur de Nanterre ou le procureur de Paris [Jean-Claude Marin, ndlr] ne font pas leur boulot, qui est d'appliquer la loi, de faire en sorte que les crimes et délits portés à leur connaissance fassent l'objet d'enquêtes et de renvois devant le tribunal pour être jugés. Ils confondent leur rôle avec celui de serviteurs personnels du président de la République, ce qui est évidemment gravissime. Et ça tient à leur nomination. »

« Je n'ai pas à me justifier ni à me défendre »

Mais rien n'y fait, le procureur refuse de se dessaisir de l'affaire, qu'il entend garder sous son contrôle. Il argue qu'il a déjà ouvert trois enquêtes préliminaires. Et les critiques l'« indiffèrent », a-t-il expliqué lundi dans Le Monde :

« J'y suis habitué. Je n'ai pas à me justifier ni à me défendre. Mon travail actuel et antérieur est ma seule réponse. […] En l'état, il n'y a aucune raison technique, juridique ou procédurale pour ouvrir une information judiciaire. […]

Voudrait-on dire que lorsque des enquêteurs travaillent sous l'autorité du procureur ils font du tri sélectif lors des perquisitions, qu'ils sont frappés de surdité et de cécité lors des auditions qu'ils conduisent ? »

Ce n'est en tout cas pas Nicolas Sarkozy qui le dit. Lui qui avait pour projet, avant de devoir le reporter, de supprimer purement et simplement la fonction de juge d'instruction.

Photo : Philippe Courroye, procureur de la République de Nanterre, lors de l'inauguration du nouveau bureau d'accueil des étrangers à la préfecture de Nanterre, en décembre 2009 (Charles Platiau/Reuters)

                   

 

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