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15 juillet 2010

Ségolène Royal: Réunion de travail en Grèce

Ségolène Royal

Poros, le 13 juillet 2010

Chères amies, chers amis,

 

Quelques nouvelles de Grèce où je participe à une réunion de travail qui rassemble, quatre jours durant, des responsables politiques de premier plan et des chercheurs de haut niveau autour de la question des alternatives progressistes à la crise du système qui n'en finit pas d'ébranler le monde et, tout particulièrement, l'Europe.

J'y ai été conviée par la fondation Papandreou. Il y a ici des participants de tous les continents, venus pour échanger des idées et des expériences. Une des questions majeures versée aux débats : quel rôle pourrait jouer dans le monde qui vient une Europe capable de surmonter ses divisions et de porter un modèle alternatif de développement ?

En complément des sessions plénières, des ateliers sont plus particulièrement consacrés à la Grèce qui, comme vous le savez, a été la première cible de la spéculation des marchés financiers et a dû s'engager, en contre-partie de l'aide qui a fini par lui être apportée par l'Europe et le FMI, dans un effort draconien d'assainissement de ses finances publiques aux conséquences sociales très dures pour le peuple grec.

Nos travaux ont commencé hier lundi par une séance inaugurale consacrée à l'avenir de l'Europe dans la globalisation, au cours de laquelle j'étai invitée à prendre la parole.

Après l'allocution de bienvenue de George Papandreou, Catherine Ashton, qui est depuis novembre 2009 à la tête de la diplomatie européenne en tant que Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a lancé le débat en évoquant ce que sont, de son point de vue, les principaux enjeux d'une affirmation de la voix de l'Europe dans le nouveau monde multipolaire qui émerge.

Ivan Vejvoda, qui dirige la Fondation des Balkans pour la démocratie et a particulièrement travaillé sur les transitions démocratiques dans les pays de l'ex-Europe de l'Est, ainsi que Toomas Hendrik Ilves, Président de la République d'Estonie, nous ont fait part du regard qu'ils portent sur les atouts dont dispose l'Europe pour peser. L'Estonie est un petit pays (1,4 million d'habitants) qui a recouvré son indépendance en 1991, deux ans après la chute du mur de Berlin. Ses performances dans les domaines de l'innovation et des nouvelles technologies de la communication lui ont valu le surnom d'e-stonia. C'est en Estonie qu'a été mis au point le logiciel Skype qui permet de téléphoner gratuitement dans le monde entier, via Internet, et compte aujourd'hui des centaines de millions d'utilisateurs. Le gouvernement estonien est également pionnier de l'administration numérique et du vote électronique. L'Estonie devrait intégrer la zone euro début 2011.

Dans mon intervention, j'ai souligné combien, à mes yeux, l'Europe bousculée par la crise se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins : soit nous nous en tenons à cette « gouvernance par défaut » qu'illustrent les limites du Pacte de Stabilité et cédons à la tentation de divisions accrues (dont a récemment témoigné le temps perdu à faire acte de solidarité avec la Grèce durement attaquée par les spéculateurs), soit nous construisons ensemble un véritable gouvernement économique capable d'anticiper, d'impulser, d'accompagner et de protéger afin de faire de l'Europe notre force commune dans un monde où de nouveaux rapports de forces se dessinent et où la finance doit être remise à sa plce. Pour moi, je l'ai souvent rappelé, les Etats-Unis d'Europe constituent l'horizon politique de l'union renforcée dont nous avons plus que jamais besoin pour rester dans la course et l'orienter dans le bon sens. La tentation du « chacun pour soi » est un mauvais calcul car elle fait le lit des populismes locaux et de notre marginalisation collective.

Il ne faut pas, disait-on en 1929, « gâcher une crise ». Cela signifie qu'il faut agir sur ses causes et y apporter des réponses de nature à prévenir de nouvelles crises. Dans les années 30, comme l'a rappelé Daniel Cohen (voir la rubrique « lu pour vous » sur le site Désirs d'Evenir), les gouvernements européens ont mis en place à contre-temps des politiques de rigueur qui ont plongé leurs pays dans la récession, avec son cortège de conséquences dramatiques sur le plan social et politique (deux ans plus tard, Hitler prenait le pouvoir en Allemagne...).

Aujourd'hui, les plans d'austérité qu'applique un grand nombre de pays européens sous la pression conjuguée des marchés financiers, de Bruxelles et du FMI, relèvent souvent d'une idéologie de l'orthodoxie budgétaire dont on peut craindre qu'elle soit non seulement très coûteuse socialement mais anti-économique.

Bien sûr, la réduction des déficits et la maîtrise des finances publiques sont choses nécessaires. Mais cela suppose qu'on ne se trompe pas de tempo et qu'on ne commence pas par écraser, au prétexte d'une doxa petitement comptable, les chances de reprise dans une Europe où la croissance est aujourd'hui la plus faible du monde.

Or tout se passe comme si, sous l'injonction arrogante des marchés financiers et des agences de notation, on était vite passé de l'autre côté du cheval : après les discours de 2008 sur le retour de l'Etat et les vertus redécouvertes du volontarisme économique, voilà que revient par la fenêtre la vieille rengaine de l'Etat minimal, des services publics budgétivores et d'une austérité particulièrement dure aux plus fragiles. Et cela alors même qu'une des causes des désordres mondiaux, ce sont les inégalités insupportables qui n'ont cessé de se creuser.

Ce devrait être à l'Europe de porter haut et fort un modèle alternatif qui fasse de la performance économique et de la justice sociale un couple indissociable, qui réhabilite le rôle de la puissance publique, qui accélère la croissance verte et la social-écologie, qui définisse les « biens publics » qui doivent être garantis à chacun à l'abri de la marchandisation à outrance, qui promeuve une démocratie plus participative comme condition de l'efficacité des politiques publiques.

Je crois profondément que le monde qui vient a besoin d'une Europe au clair sur ses valeurs, à l'écoute de ses peuples, capable de cohésion et de cohérence dans l'action, porteuse d'une parole forte en accord avec ses actes.

A Poros, où se déroulent nos travaux, c'est un point de vue partagé par beaucoup. Et notamment Joseph Stiglitz, qui intervient aujourd'hui pour tirer les leçons de la globalisation de la crise et tracer quelques pistes pour une action progressiste décidée non seulement à en sortir mais à éviter qu'on y retombe à la première occasion. Il est particulièrement scandalisé par la spéculation qui s'est attaquée aux maillons réputés les plus faibles de la zone euro et par ces lobbys financiers, renfloués sans contre-parties par les pouvoirs publics, qui mordent sans vergogne « la main de leurs sauveurs ». Partisan d'une régulation ferme de la mondialisation, d'une taxe sur les transactions financières (hélas rejetée par le G20 de Toronto) ainsi que d'une séparation des activités bancaires de dépôt et de marché (sujet apparemment tabou en Europe), Joseph Stiglitz craint, lui aussi, que l'obsession de la réduction immédiate des déficits publics ne fasse plonger l'économie. Il trouve l'Europe bien timorée dans ses réponses à la crise.

Cet après-midi, je suis impatiente d'entendre James Fishkin qui est l'inventeur, aux Etats-Unis, des « sondages délibératifs » dont la démarche, à l'opposé des sondages traditionnels, s'apparente à certains égards à celle des Jurys Citoyens que j'ai mis en place en Poitou-Charentes (panels représentatifs de la diversité sociale et surtout temps d'information et de débats permettant à des « profanes » de participer à une « délibération éclairée »). Je me réjouis que la question, à mes yeux essentielle, d'une démocratie plus participative, favorisant l'implication active des citoyens dans les décisions qui les concernent, ait pleinement droit de cité dans cette réunion de travail où il s'agit d'explorer ensemble de nouvelles réponses politiques aux problèmes du monde d'aujourd'hui.

La journée de demain sera principalement consacrée aux questions relatives à la lutte contre le changement climatique, au soutien aux énergies renouvelables et à la croissance verte comme gisements d'emplois d'avenir.

Gerd Leopold, océanographe et responsable de Greenpeace International, Joe Stanislaw, fervent partisan d'une approche globale des questions énergétiques (dans toutes leurs dimensions : locales et internationales, écologiques, économiques, de santé publique, etc.), Dimitri Zenghelis, membre du groupe qui a élaboré le « Rapport Stern » à la demande du gouvernement travailliste britannique et chiffré « le coût de l'inaction » écologique ainsi que Tina Birbili, Ministre grecque de l'Energie, de l'Environnement et du Changement climatique aborderont les enjeux du « droit à une énergie propre » et les choix qui inspirent les politiques volontaristes du gouvernement grec.

Vendredi 15, la séance plénière sera consacrée à un exercice plus prospectif autour de trois scénarios possibles pour l'Europe à l'horizon 2020, dans une perspective d'affirmation de son leadership. Les principaux intervenants seront Mary Kaldor, professeur à la London School of Economics, spécialiste de la mondialisation et partisane d'une politique étrangère mieux intégrée à l'échelle européenne, Cem Ozdemir, co-président des Verts allemands et premier Allemand d'origine turque à avoir été élu député, Alex Rondos, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Grèce et ancien collaborateur de George Papandreou lorsqu'il était Ministre des Affaires étrangères, ainsi que Mark Medish, ancien collaborateur du Président Clinton et aujourd'hui conseiller à la Fondation Carnegie pour la paix internationale.

Voilà, chères amies, chers amis, un aperçu, non exhaustif, du programme de cette réunion de travail qui croise fort utilement les regards de chercheurs et d'acteurs qui ont en commune cette conviction : le monde change et l'action politique doit, elle aussi, changer.

Bien amicalement,

Ségolène Royal

 

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