Une filière nationale "lait équitable" , l'APLI et Ségolène Royal
L’APLI, Ségolène Royal et la Région Poitou-Charentes construisent une filière « lait équitable » nationale, alors que les syndicats majoritaires et le ministre de l’Agriculture gesticulent
Une fois de plus, la filière lait s’embrase et les producteurs de lait, étranglés, crient leur ras-le-bol.
Un accord avait été signé le 3 juin 2009 entre les industriels du secteur et la FNPL, branche laitière de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA, majoritaire dans le secteur laitier), elle-même proche des Jeunes Agriculteurs (JA). Elle a joué jusqu’à il y a peu son rôle de partenaire de l’accord, se désolidarisant de la « grève du lait » de septembre 2009, qui s’est soldée par des épandages spectaculaires, et qui avait été menée par l’Association des Producteurs de lait indépendant (APLI).
"Grève du lait" : rassemblement en Basse-Normandie, octobre 2010 : "Le lait, la vie, EMB/APLI, le lait équitable"
L’APLI, créée en décembre 2008, revendique 12 000 producteurs de laits représentant 20% de la production française.
L'ultimatum du 12 août 2010 lancé par les syndicats majoritaires
Le 4 août 2010 cependant, la FNSEA, la FNPL et les JA ont lancé un ultimatum aux industriels, suite à l’échec de la réunion de juin 2010 des partenaires de l’accord du 3 juin 2009, censée fixer les prix du lait pour le 3ème trimestre 2010. Les industriels ont jusqu’au 12 août pour revenir à la table des négociations.
Pourtant, cette fois, la situation est bien différente de celle connue jusqu’au début de l’année 2010. La conjoncture n’a plus rien à voir avec la crise de 2009, où la demande était en chute libre, et où le prix du lait vendu par le producteur était descendu « jusqu’à moins de 200 € les 1 000 litres » : selon l’INSEE, le prix du lait dans le commerce a augmenté de 3% sur un mois et de 12,4% sur un an.
De ce fait, les syndicats majoritaires de la profession demandent une revalorisation à 341 € les 1 000 litres, comme prévu par l’accord du 3 juin 2009, selon les propos rapportés par La Voix du Nord. Lactalis ne propose jusqu’à présent que 313,68 €.
Les agriculteurs estiment par ailleurs que leur équilibre financier s’établirait à environ 340 € les 1 000 litres de lait. Un agriculteur de Sempy, Pas-de-Calais, estime qu’il a perdu en 2009 60 € par tonne de lait sur sa production de 300 000 litres (300 tonnes), soit au total 18 000 € en moins.
Mais selon les agriculteurs cités par LaNouvelleRepublique.fr, même la remontée du prix au 3ème trimestre au point d’équilibre, à 340 € les 1 000 litres, ne permettra pas d’équilibrer les comptes pour l’année 2010 : on devrait arriver à atteindre 300 € seulement, continuant à creuser les pertes, l’endettement des agriculteurs et entraînant de nouvelles disparitions d’exploitations laitières.
Un avenir sombre pour les producteurs de laits de la FNSEA, de la FNPL et des JA
Les producteurs de lait réclament une augmentation des prix à 341 € la tonne (AFP/Mychèle Daniau)
De fait, l’avenir est sombre pour les agriculteurs de la FNSEA, de la FNPL et des JA. Selon François Purseigle, sociologue:
- l’action est menée pour le moment par les seuls syndicats majoritaires, soucieux de « ne pas laisser de marge à
l’APLI », et qui passent, pour ce faire, d’un statut de partenaire de l’accord du 3 juin 2009 à un statut de syndicat revendicatif.
- Elle est limitée : mur de briques de lait dans les préfectures et sous-préfectures du Nord-Pas-de-Calais (Arras, Boulogne-sur-Mer, Montreuil-sur-Mer), information des clients des grandes surfaces et dialogue avec les directions de ces magasins, apposition d’autocollants sur les produits faits à partir de lait « non équitable ». Les trois principaux producteurs de produits laitiers, crémiers, et fromagers, Bel, Lactalis et Bongrain, sont visés. Mais aucune action précise n’est encore prévue par la FNSEA, la FNPL, et les JA en cas d’échec de l’ultimatum du 12 août.
Parallèlement, les industriels campent sur leurs positions, arguant de la non-compétitivité des prix du lait français, notamment en comparaison de leurs équivalents allemands :
« La question est de savoir combien de temps on va continuer à surpayer le lait, notamment par rapport à l’Allemagne », souligne le porte-parole de Lactalis, Luc Morelon, qui estime la différence à « 40 euros par tonne ».
Ce à quoi les agriculteurs rétorquent que la situation outre-Rhin n’est pas comparable. Dans Le Bien Public, le responsable de la FRSEA Bretagne, Pascal Clément, explique ainsi que les producteurs laitiers allemands « bénéficient d’un accompagnement de leur gouvernement au travers de régimes fiscaux et sociaux privilégiés », ce qui n’est pas le cas en France.
D’autre part, selon plusieurs responsables syndicaux de Bretagne et des pays de la Loire, « concernant les règles de paiement de la qualité, les exigences sont supérieures en France », les produits français sont « mieux valorisés, avec des fromages à pâte molle, l’emmenthal, les yaourts fermentés, … », ce qui jette une pierre dans le camps des 3 grands industriels, Lactalis (Président, Bridel, la Laitière), Bongrain (Le Vieux Pané, Fol Epi, Elle et Vire, Cœur de lion) et Bel (Leerdammer, Babybel, La Vache qui rit). Selon ces responsables syndicaux, cette valorisation des produits français « est supérieure de 8% à celle de l’Allemagne ».
Bruno Le Maire, ministre de l'Agriculture
Bruno Le Maire, ministre de l’Agriculture, est intervenu le 4 août sur RTL pour apporter son soutien aux agriculteurs : « Les prix remontent, je souhaite que les producteurs soient correctement rémunérés. Ils ne le sont pas aujourd’hui. ». Son entourage annonce un plan de développement de la filière laitière pour la rentrée, et la Commission européenne doit rendre public un paquet législatif à l’automne avec des mesures spécifiques au secteur du lait.
Reste qu’en période de disette budgétaire et en absence de volonté politique, M. Le Maire devrait se cantonner à des déclarations d’intentions, où à un saupoudrage d’aides, là où une refonte de l’organisation du secteur est nécessaire ; et que la Commission européenne, de tendance libérale, et ne traitant le secteur laitier que comme la partie d’un tout, ne va pas plus faire avancer la nécessaire réorganisation du secteur. Et que d’ici là, le problème du 3ème trimestre 2010 sera enterré, et qu’un certain nombre d’exploitations aura disparu.
La Région Poitou-Charentes et Henri Emmanuelli contre-attaquent
Henri Emmanuelli, député du Parti socialiste et président du Conseil général des Landes, a « déploré » le 5 août l’échec des négociations entre les producteurs de lait et les industriels, et jugé « pas acceptable » que le ministre de l’Agriculture « se contente de souhaiter l’aboutissement des discussions », selon Sud Ouest.
La Région Poitou-Charentes, présidée par Ségolène Royal, a été plus critique, selon LaNouvelleRépublique.fr du 6 août :
« En Poitou-Charentes, la cogestion entre le gouvernement, la FNSEA et le président de l’association centrale des laiteries, Jean-Pierre Raffarin, est à l’origine de la disparition de plus de la moitié des producteurs en 15 ans.
Les éleveurs laitiers et leurs familles subissent depuis près de deux ans les conséquences de cette crise et paient l’incapacité du gouvernement à apporter des solutions concrètes, notamment un prix rémunérateur pour les producteurs. »
La région ajoute que la disparition des petits producteurs « s’est faite au détriment de la qualité des produits, de leur lien au terroir et à l’identité laitière régionale ».
La filière "Lait équitable Poitou-Charentes"
La Région Poitou-Charentes, sous l’impulsion de sa présidente, Ségolène Royal, a annoncé après les élections régionales de 2010 la création d’une filière « Lait équitable Poitou-Charentes », avec pour objectif de garantir « un revenu décent pour tous les acteurs de la filière, notamment pour les producteurs », d’assurer « le maintien du potentiel de production agricole et industriel régional ainsi qu’une alimentation saine, accessible au plus grand nombre ». L’organisation de la filière s’appuie sur :
-« la création d’un office régional du lait »,
-« la création de coopératives laitières », « dans la démarche « lait équitable Poitou-Charentes » assurant une juste rémunération des producteurs ainsi que la production d’un lait de très bonne qualité »,
-« le développement d’une filière « lait équitable » nationale »,
-« la maîtrise de la production laitière »(maintien de « quotas laitiers »),
-« la régionalisation des aides du premier pilier de la PAC, comme l’ont fait de nombreux pays européens » : ce dernier point est une revendication récurrente de Ségolène Royal, qui estime à juste titre que les aides européennes doivent être administrées au plus près des besoins, c’est-à-dire au niveau des régions, et non du pouvoir central parisien, comme c’est le cas en France, ce qui entraîne une gestion inadaptée de ces aides.
L'APLI construit une "filière lait équitable nationale", souhaitée par Ségolène Royal
Dans cette lutte pour la création « d’une filière « lait équitable » nationale », seul l’Association des Producteurs de Lait Indépendants, l’APLI, a répondu présente. De même que seule la Région Poitou-charentes a décidé d’appuyer le développement d’une telle filière par l‘APLI. L’APLI revendique 12 000 producteurs de lait et représente 20% de la production française. Elle fait parti du European Milk Board (EMB), qui souhaite le développement du lait équitable au niveau européen. L’EMB a des membres dans 14 pays européens (Union Européenne, Croatie et Suisse) et représente environ 100 000 producteurs de lait.
Pascal Massol, président de l'APLI
L’APLI et son président Pascal Massol ont accordé un entretien à LaNouvelleRepublique.fr. M. Massol établit y des constats sur la situation actuelle et explique les objectifs de l’APLI :
« Dans toutes les régions au sud de la Loire, le lait pourrait être consommé sur place. Or aujourd’hui, le lait fait en moyenne 8 000 kilomètres pour arriver au consommateur. (…)
Aujourd’hui nous sommes insuffisamment payés et le consommateur paye un produit trop cher. Nous voulons démontrer, par notre action, qu’on peut nous payer le lait 400 € la tonne alors qu’il n’est qu’à 310 actuellement. La crise dure depuis un an et demi et il y a 1 000 fermes laitières qui ferment chaque mois en France.
Si l’on prend du recul, il faut montrer qu’on est capable de faire preuve d’entraide et d’organisation pour discuter d’égal à égal avec les industriels. Sinon le rapport de force qui est toujours en notre défaveur ne nous permet pas d’avancer. »
Avec un prix du lait de 400 € la tonne (les 1 000 litres), les exploitations laitières pourraient enfin faire plus qu’équilibrer leurs comptes, touchant une juste rémunération de leur travail après des années très difficiles et dans un contexte d’augmentation des coûts. Ce n’est pas impossible : le litre de lait est vendu un peu moins d’1 € le litre dans le commerce, le prix payé au producteur serait de 40 centimes, laissant aux intermédiaires 60 centimes pour couvrir leurs coûts et faire des bénéfices.
Et M. Massol d’ajouter à l’attention des syndicats majoritaires (FNPL, FNSEA, JA) :
« Ce n’est pas cette mascarade sans nom, d’aller dans les supermarchés coller des étiquettes sur des produits d’industriels qui changera les choses. La filière laitière est riche, ce sont les producteurs qui sont pauvres, mais c’est uniquement parce qu’elle s’est mal défendue. C’est tout. »
La campagne d'étiquetage en cours dans les grandes surfaces (FNSEA/JA/FNPL) : "une mascarade sans nom" déplore M. Massol
En mai dernier, l’APLI a déposé les statuts d’un Office du lait national allant dans le sens de l’organisation de la filière « lait équitable » souhaité par la Région Poitou-Charentes. Le lait équitable devrait être commercialisé à partir de la fin de l’année, en Poitou-Charentes, seule région à avoir signé un partenariat avec l’APLI. M. Massol espère ensuite pouvoir distribuer son lait équitable « un peu partout en France à travers notamment la grande distribution ». Parmi ses autres projets, un partenariat avec Pierre Priollet, qui a lancé une confédération pour créer des épiceries de proximité en ville afin de vendre du lait, et des fruits et des légumes « équitables ». « Des sortes d’Amap mais en plus dynamiques et plus puissantes », conclut M. Massol.
L'European Milk Board (EMB), dont est membre l'APLI, agit au niveau européen
Réunion de l'EMB à Bruxelles en février 2008
L’EMB, dont l’APLI est membre, poursuit les mêmes buts au niveau européen. Son siège est à Hamm, en Westphalie (Allemagne). La base de sa stratégie est le « regroupement des producteurs laitiers sous une enseigne pour affronter le secteur des laiteries et les commerces alimentaires de détail en position de force ». Comme Ségolène Royal, l’EMB prône la maîtrise de la production laitière : « mise en place d’une régulation souple des volumes afin d’adapter les volumes de ait à la demande du marché ».
Ainsi, les opérations symboliques des syndicats majoritaires des producteurs de lait en France – FNPL, FNSEA, JA – et le discours du ministre de l’agriculture ne doivent pas faire illusion : la sortie de crise, qui passe par la création et le développement d’une filière « lait équitable » nationale, ne peuvent se faire qu’avec l’APLI, qui, malgré son jeune âge (moins de 2 ans) entame la construction de l’édifice, Ségolène Royal et la Région Poitou-Charentes posant en la première pierre.
Une fois de plus, Ségolène Royal, présidente de la Région Poitou-Charentes, innove et est en avance sur son temps : qui la suivra ? Pour le moment, les autres régions, dans la torpeur de l’été, ne se sont pas exprimées…