TUNISIE: Comment mener à bien la transition?
Un blogueur esquisse quelques pistes d’avenir et dit faire confiance au gouvernement provisoire nommé le 17 janvier, malgré la présence en son sein de ministres de l’ancien régime.
Voici quelques idées et souhaits d’un citoyen tunisien nouvellement libre.
1. Qu’une enquête publique sur le Rassemblement constitutionnel
démocratique [RCD, le parti de Ben Ali] soit réalisée afin de pouvoir
purger le parti.
Mais, avant cela et au plus vite, il faut commencer par notre
gouvernement de transition. Nous devons être sûrs de ces hommes et
femmes, car le peuple tunisien doit avoir confiance en son gouvernement.
Et n’oublions pas que même l’opposition “légale” (puisque légalisée par
Ben Ali pour le servir), à quelques exceptions près, a fricoté avec
l’ancien régime. Donc elle est aussi dangereuse que le RCD. Pour que le
gouvernement actuel soit purgé des brebis galeuses, que cesse la
contestation – à juste titre, surtout que le RCD détient les postes clés
de ce gouvernement – et qu’ils puissent se mettre au travail, il
faudrait un comité de réconciliation nationale (vu le grand nombre
d’adhérents, volontaires ou semi-volontaires, de ce parti, on n’aura pas
le choix) qui permettrait de rétablir le lien de confiance entre nous
et notre gouvernement.
Le RCD, une fois affaibli par ce nettoyage, deviendra un parti comme un
autre. Pourquoi le dissoudre puisqu’il pourrait toujours revenir sous
une autre forme, un autre nom (ce qu’il fera probablement) ? Il faut
simplement le nettoyer après une enquête publique et impartiale, ce qui
l’affaiblira immanquablement. Nous avons un pays à reconstruire et nous
ne pouvons nous permettre d’exclure les RCDistes qui sont propres. Et,
s’ils sont propres et compétents, la Tunisie a besoin d’eux et de leur
expérience, et de leurs réseaux. Par exemple, Kamel Morjane [le ministre
des Affaires étrangères reconduit] est intègre et compétent, et,
surtout, il a ses entrées dans les chancelleries américaine et
européennes, et ces dernières le connaissent bien. Nous aurons besoin
d’un soutien de la part de ces démocraties, tôt ou tard, ne serait-ce
que pour nous protéger de nos voisins immédiats, qui ont intérêt à
détruire notre révolution au plus vite. N’oubliez pas que Kadhafi a déjà
essayé de nous envahir et de renverser le régime de Bourguiba
[en 1974], et, maintenant, une démocratie représenterait une menace très
grave pour lui. Sans oublier les généraux algériens, qui voient cela
d’un très mauvais œil. Nous devons rassurer nos principaux bailleurs de
fonds et nos pourvoyeurs de devises. Une certaine continuité au niveau
des affaires étrangères me semble capitale pour rétablir un climat qui
permettra à notre économie de croître à un rythme suffisant pour
absorber les chômeurs (on devra d’ailleurs la repenser, puisque nos
nombreux diplômés ne trouvent pas de débouchés dans une économie axée
sur le low cost). Cette stabilité aura aussi le mérite de rassurer la
bourgeoisie locale. Peut-être rapatrieront-ils leurs devises et les
investiront-ils au pays ?
2. Etablir au plus vite une Assemblée constituante en vue d’aboutir à un système de type parlementaire.
Plus de “père” de la nation : on est assez grands ! Il faut que toutes
les tendances de la population y soient représentées. Cela veut dire y
inclure les communistes et les islamo-conservateurs, démocrates,
contrairement à ce qui a été fait jusqu’à présent. Pour ces derniers, il
faudra repenser l’article de loi qu’avait instauré Bourguiba et qui
interdit les partis politiques fondés sur la religion. Une contrepartie
pourrait être un Etat laïc à la turque. On pourrait souhaiter garder le
statu quo, mais on s’aliénerait, à mon avis, la frange la plus
conservatrice de la population, qui doit être représentée. Le plus
important dans cette Constitution : un équilibre des pouvoirs, des
garde-fous (y compris de la part de la société civile), et qu’y figurent
les acquis précédents et nouveaux, arrachés grâce à la révolution.
3. Pour plus tard, se prémunir de la corruption par tous les moyens.
Il faut que les Tunisiens, mais aussi le monde, aient confiance en la
Tunisie et en son Etat de droit à venir. Confiance et transparence, qui
découlent de l’Etat de droit, sont capitales pour garantir la pérennité
de notre système financier et de notre système économique. Et
permettront l’investissement local et étranger, moteur de l’emploi.
4. Au sujet du gouvernement provisoire :
Personnellement, je suis pour son maintien (malgré tout ce que j’ai dit
plus haut et bien qu’il soit logique de vouloir sa fin, surtout si l’on
pense que certains ont le sang de nos frères et sœurs sur les mains),
car ma perception de ce gouvernement fait que j’ai confiance en certains
de ses membres réputés intègres, et je suis certain que le tout s’est
fait avec l’approbation de l’armée, qui, ne l’oublions pas, nous a
protégés de la tentative de retour de l’ancien régime. Cela veut dire
que des variables (l’avis des Américains, de l’UE et même des
Israéliens, qui étaient relativement proches de l’ancien régime) ont été
prises en compte et que ce gouvernement est le plus consensuel
possible.
J’ai confiance en Néjib Chebbi [avocat et ancien opposant devenu
ministre du Développement régional], respecté par les avocats et les
juges de ce pays pour son intégrité. Je pense qu’il pourrait mener à
bien la transition, dans son cadre légal, jusqu’aux prochaines
élections. (La Justice est, selon moi, le ministère le plus important
dans ce gouvernement… Ça nous change.) Celles-ci, je pense, n’auront pas
lieu avant six mois, et c’est assez pour affaiblir le RCD et donner une
chance aux autres partis.
On a encore beaucoup de travail devant nous. Je pense que le temps n’est
pas à la manifestation, mais à la réflexion. Pensons à ce que nous
faisons, car, dans le tourbillon de la révolution, tout va très vite.