Le roman politique de 2012 : à la recherche d'octobre rouge
Source : La Tribune.fr - 28/01/2011
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Samedi 5 novembre La nuit tombait sur le tarmac désert. Les pales des hélicoptères
stationnés devant les hangars ressemblaient à des sabres géants,
abandonnés par leurs samouraïs. Dans la tour de contrôle de la base
aérienne 107 de Villacoublay, les officiers de permanence suivaient sur
les écrans la flèche de l'Airbus du chef de l'État, qui devait se poser à
Roissy. Une télévision allumée rediffusait pour la cinquième ou sixième fois
la conférence de presse finale du sommet européen. On voyait Nicolas
Sarkozy, personnage sombre et muet - le son était coupé - agiter les
mains face aux journalistes. Les échanges radio s'intensifièrent lorsque
le commandant de bord de l'avion présidentiel signifia aux contrôleurs
civils et militaires la sortie du train d'atterrissage et la présence
sur les pistes de l'aéroport Charles-de-Gaulle d'un brouillard en
formation. Un des pilotes du Gaël (l'escadron dédié au transport des
personnalités politiques) fit son entrée dans la salle : « D'ici une
heure, on n'y verra plus rien, une vraie purée de pois. Où sont les
autres ? » Le Falcon 900 transportant plusieurs ministres, eux aussi de
retour de Bruxelles, était signalé en approche, comme l'Airbus quelques
minutes plus tôt. Mais il devait se poser à Villacoublay. Les hommes du
soutien opérationnel jaillirent hors des hangars tandis que des
projecteurs puissants commencèrent à balayer la piste grisâtre dans
l'obscurité. Soudain, un des contrôleurs poussa un cri étranglé : « J'ai
perdu le contact radar. » Ses collègues, incrédules, scrutèrent l'écran
où de petits points verts se juxtaposaient. En quelques minutes,
l'incroyable s'était produit. Impossible d'entrer en contact avec le
petit avion, qui semblait s'être volatilisé. Aussitôt prévenu, le
commandant de la base 107 réunit tous les militaires présents et leur
ordonna de garder le silence. Puis il se décida à appeler l'Élysée. Dimanche 6 novembre En presque cinq ans de mandat, Nicolas Sarkozy avait pris l'habitude
de ces journées routinières qui tournent brutalement au cauchemar. Il ne
s'était jamais autant ennuyé à un sommet européen et le retour vers
Paris avait été divin. Il avait embarqué Christine Lagarde dans son
avion parce qu'elle le faisait rire. Et donc ils avaient bien ri, aux
dépens notamment de la chancelière Angela Merkel. À son retour à l'Élysée, il avait vu avec plaisir que son fils Louis,
de passage à Paris, l'attendait sagement dans son bureau. Mais le
bonheur avait été éphémère. Les portes s'étaient ouvertes sur un Claude
Guéant livide, qui avait annoncé que l'avion de ses ministres avait
cessé d'être une réalité sur les écrans radars. Nicolas Sarkozy sentait monter la migraine. Sitôt connu le drame, des
dispositions avaient été prises pour « sécuriser » la famille du chef
de l'État. Le plan Vigipirate avait été élevé au niveau écarlate.
François Fillon et Alain Juppé avaient rejoint Nicolas Sarkozy à
l'Élysée pour la première d'une longue série de réunions de crise. Le «
black-out » pour la presse était total. Le sommet du G20 avait lieu dans quinze jours à Cannes. D'ici là, il y
avait des Conseils des ministres. Les absents allaient être remarqués, à
commencer par la ministre des Affaires étrangères. Nicolas Sarkozy se
massa doucement les tempes. Il lui faudrait parler sous peu. Une
intervention solennelle à la télévision. Pas moins. Mais pour dire quoi ?
Qu'un avion rempli de ministres avait disparu, sans qu'on sache s'il
avait explosé - on n'avait retrouvé aucun débris dans le périmètre
fouillé avec minutie par des centaines de militaires et gendarmes - ou
s'il avait été détourné - mais vers où, bon sang ? Le président regarda par la fenêtre le parc de l'Élysée où
s'immobilisait une Laguna gris métal. Ségolène Royal sortit de la
voiture. « Elle ne va jamais me croire », se dit Nicolas Sarkozy... Lundi 7 novembre Depuis qu'un communiqué de l'Élysée avait annoncé à l'aube
l'évaporation de l'aéronef ministériel, puis la récupération de ses
passagers dans le sud de l'Espagne, la planète politique et médiatique
était en surchauffe. « Un avion ne disparaît pas comme ça dans le ciel
français. Surtout un avion officiel », avait asséné sur France Inter
l'ancien chef d'état-major des armées de François Mitterrand, Jacques
Lanxade. « Ils auraient dû tous s'évaporer dans l'atmosphère », avait lâché
Marine Le Pen. « Mais il n'est pas trop tard. Monsieur Sarkozy aussi
devrait jouer la fille de l'air. Après tout, ça nous rappelle un peu le
général de Gaulle s'envolant pour Baden-Baden en plein Mai 68 ! » Assis à son bureau, François Fillon était épuisé. En face de lui,
Dominique de Villepin attendait. Le Premier ministre et son prédécesseur
avaient eu des contacts plutôt rugueux ces dernières années. Mais le
fait que Bruno Le Maire, ancien directeur de cabinet de Dominique de
Villepin, ait fait partie des ministres brièvement manquants avait fait
tomber les barrières. Le téléphone qui reliait de jour comme de nuit Matignon à l'Élysée
vibra sur son support. François Fillon décrocha. Il tendit le combiné à
Dominique de Villepin, qui inclina sa silhouette longiligne. L'échange
dura quelques minutes. « Bien entendu », répondit l'ancien chef de
gouvernement de Jacques Chirac, avant de raccrocher. Dominique de Villepin se tourna vers François Fillon : « C'est tout
simplement une histoire de cornecul ! Pourquoi diable enlever nos
ministres si c'est pour les lâcher ensuite en pleine pampa andalouse ? »
« Il semble qu'il y ait eu méprise, toussota le Premier ministre, ils
pensaient que c'était l'avion du président. » « Oui, mais alors, ils
auraient dû se servir de leurs prisonniers comme d'une monnaie d'échange
», rétorqua Dominique de Villepin. « Il semble qu'il y ait eu des
désaccords au sein du groupe », précisa François Fillon. Son interlocuteur plissa les yeux : « Ce n'est pas un de vos coups
fourrés, j'espère ! Vous n'espérez pas acheter ma solidarité en
inventant je ne sais quelle épopée avec Le Maire ? » « Non, s'indigna le
Premier ministre, mais c'est vrai que tout ça montre le côté dérisoire
de nos joutes politiciennes. C'est vrai, pendant vingt-quatre heures,
tout le monde a joué le jeu, majorité, opposition, francs-tireurs,
électrons libres, tout le monde était soudé. » « Oui, eh bien, ne rêvez
pas trop, sourit Dominique de Villepin, la partie ne fait que
commencer... » À suivre.