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29 mars 2011

La centrale de Fukushima Daiichi était une bombe à retardement

 

Que se passe-t-il vraiment à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi ? Alors que Tepco multiplie les annonces rassurantes, toute une série de signaux alarmants contredisent l'optimisme affiché par l'exploitant: hausse de température sur deux réacteurs, dégagements de fumée, niveau de radiations très élevé sur le site qui empêche les travailleurs d'effectuer les opérations prévues. Sur le réacteur n°2, un débit de dose très élevé de 500 millisieverts a empêché les techniciens de remplacer une pompe afin de restaurer le système de refroidissement.

Les réacteurs sont actuellement toujours refroidis par des injections d'eau de mer, ce qui entraîne des dépôts de sel corrosifs. Mais il n'a toujours pas été possible de reconstituer une réserve d'eau douce, et le raccordement d'une ligne haute tension n'a jusqu'ici pas changé significativement la situation. Tepco n'indique pas comment elle compte faire fonctionner des équipements arrosés depuis plusieurs jours, qui risquent d'être mis en court-circuit sitôt connectés.

Mardi, l'AIEA, l'Agence internationale de l'énergie atomique, s'est inquiétée de la pénurie d'informations en provenance de l'exploitant et de l'autorité de sûreté japonaise. «Nous continuons de voir des radiations sortir du site, et la question est de savoir exactement d'où elles proviennent», a déclaré James Lyons, un dirigeant de l'AIEA, cité par Reuters, lors d'une conférence à Vienne. Un autre représentant de l'AIEA, Graham Andrew a précisé que l'Agence n'avait pas d'information sur « l'intégrité du confinement du réacteur n°1 », alors que la température de la cuve a dépassé la limite de 302 °C prévue par le constructeur, atteignant brièvement 400 °C.

La communication de Tepco rassure d'autant moins que la firme a un long passé de dissimulation et de fraude concernant les questions de sûreté. En 2002, un scandale retentissant a provoqué la démission des principaux dirigeants de Tepco après que l'on eut découvert que l'entreprise avait falsifié des rapports d'inspection pour dissimuler diverses défaillances sur les réacteurs (voir notre article « les mensonges de Tepco »). Or, cet épisode, déjà assez édifiant, n'était pas un cas isolé. L'histoire de l'ingénieur Mitsuhiko Tanaka, révélée par l'agence Bloomberg, fournit une autre illustration de la conception très particulière de la sûreté qui prévaut dans certaines entreprises du secteur nucléaire japonais.

En 1974, Tanaka supervise la construction de la cuve du futur réacteur n°4 de la centrale de Fukushima Daiichi. Cette cuve est fabriquée par Hitachi et son coût est estimé à 250 millions de dollars. Or, au cours de la dernière étape du processus de fabrication, d'une durée de deux ans et demi, une erreur technique provoque un gauchissement de la paroi de la cuve. Cette malfaçon aurait dû, si l'exigence de sûreté avait prévalu, conduire à sacrifier la cuve défectueuse.

Au lieu de cela, Tanaka se vit demander par son patron de la refaçonner, de manière à masquer le défaut. Il effectua une douzaine de visites nocturnes à un centre IBM près d'Hiroshima afin d'utiliser un super-ordinateur pour faire les calculs nécessaires à son opération de camouflage. « J'ai fait économiser des milliards de yens à la société... Je me sentais un héros », raconte Tanaka, qui aurait reçu un bonus de 3 millions de yens en récompense de son action.

Par la suite, l'ingénieur a eu des remords et, après l'accident de Tchernobyl, il a quitté l'industrie nucléaire. En 1988, Tanaka a signalé le problème de la cuve de Fukushima au ministre du commerce japonais, avant de raconter l'histoire dans un livre intitulé Pourquoi le nucléaire est dangereux. D'après le porte-parole de Hitachi, la société japonaise a eu une discussion avec Tanaka en 1988, mais a conclu que la cuve défectueuse ne posait pas de problème de sécurité. On ne sait pas si l'autorité de sûreté japonaise a mené une enquête à la suite des révélations de l'ingénieur. Quant à Tepco, la société n'a pas de commentaire... Il se trouve qu'au moment du tremblement de terre du 11 mars, le réacteur n°4 était à l'arrêt. «Ce réacteur n°4 était une véritable bombe à retardement, observeTanaka. Qui sait ce qui se serait produit s'il avait été en service au moment du séisme ?»  

Si l'affaire du réacteur n°4 est ancienne, l'histoire de Tepco montre la répétition régulière d'épisodes similaires. L'affaire des rapports falsifiés qui ont fait scandale en 2002 concernait une trentaine d'incidents survenus dans les années 1980-90. Un dirigeant de la firme, Hiroyuki Kuroda, a rédigé en 2004 un rapport intitulé « La leçon du scandale nucléaire de Tepco ». Cette leçon a été scrupuleusement écrite et tout aussi scrupuleusement ignorée, comme l'illustre le témoignage, cité par Bloomberg, de l'expert indépendant Mycle Schneider, en visite à Fukushima en 2005, devant une assemblée de notables et d'experts locaux :

« J'ai averti Eisaku Sato, gouverneur de Fukushima à l'époque, du danger qu'il y avait à laisser du combustible usé s'accumuler dans les piscines de refroidissement sur les sites des centrales nucléaires (il y a deux centrales dans la préfecture, Fukushima Daiichi et Daini). Il sembla être le seul à m'écouter. Mais il était clair qu'il y avait là d'autres personnes qui savaient mieux que tout le monde et dont l'arrogance est caractéristique de l'industrie nucléaire. »

Rappelons que les piscines de quatre réacteurs de la centrale, qui contiennent de grandes quantités de combustible, ont nécessité des arrosages massifs depuis une semaine, et continuent d'être un élément de risque important. De longue date, les agents de Tepco ont stocké à Fukushima Daiichi plus d'uranium que la quantité prévue au moment de la conception de la centrale.

Un tsunami maximum de 5,7 mètres

Plus récemment, Tepco a présenté, lors d'un symposium tenu en novembre 2010 à l'Institut de technologie de Niigata, un document intitulé «Evaluation des tsunami pour les centrales nucléaires au Japon». Il s'agit d'une étude démontrant la parfaite sécurité des centrales nucléaires nippones grâce à une méthode de simulation hautement scientifique qui conduit à estimer la hauteur maximale d'une vague de tsunami à Fukushima, et par conséquent celle des murs de protection. La hauteur limite trouvée par les experts est 5,7 mètres. Celle observée dans la réalité, le 11 mars, était 14 mètres... soit plus du double de la prévision des experts. 

Certes, l'erreur est humaine, mais quand elle se répète systématiquement, il ne s'agit plus vraiment d'erreur. Dès 2006, le sismologue Ishibashi Katsuhiko avait averti le gouvernement et les experts nucléaires que les centrales japonaises étaient trop vulnérables aux séismes. Personne ne l'a écouté et certainement pas les ingénieurs de Tepco qui ont laissé en service une centrale mal protégée, avec des équipements trop anciens.

Un mois avant la catastrophe du 11 mars, les autorités nucléaires japonaises ont renouvelé pour dix ans l'autorisation de fonctionnement du réacteur n°1 de Fukushima Daiichi. Or, cette autorisation a été accordée malgré la présence de défauts sur les générateurs de secours. Ceux-là mêmes qui sont tombés en panne au moment du tsunami.

Mitsuhiko Tanaka, l'ingénieur qui avait maquillé le défaut de la cuve en 1974, a déclaré au New York Times : «Il était temps de remplacer ce réacteur. Le tsunami aurait de toute façon causé de gros dégâts. Mais les tuyaux, la mécanique, les ordinateurs, l'ensemble des réacteurs sont vieux, et cela n'a pas aidé. » Cerise sur le gâteau – si l'on ose dire –, Tepco a admis n'avoir pas inspecté certains équipements liés aux systèmes de refroidissement, lesquels font cruellement défaut aujourd'hui.

Rien ne démontre aujourd'hui que la survenue de la catastrophe ait changé les habitudes et les modes de raisonnement des ingénieurs de Tepco. L'entreprise japonaise persiste à mettre l'accent sur le raccordement électrique de ses réacteurs, et à affirmer qu'elle va remettre en service les circuits de refroidissement, alors que selon toute probabilité il est trop tard pour le faire. Elle continue à ne pas divulguer d'informations précises sur l'état exact de la centrale et tente toujours de faire croire qu'elle maîtrise la situation, alors que les signes de rejets massifs se multiplient à l'extérieur.

Depuis mercredi, les habitants de Tokyo, à 250 kilomètres de la centrale, ne peuvent plus faire boire l'eau du robinet à leurs bébés, en raison de la présence d'iode radioactif. Chaque jour, les habitants de la région de Fukushima découvrent de nouvelles conséquences de l'accident, de nouvelles preuves du fait qu'ils ont vécu pendant des décennies avec une bombe à retardement à la porte de chez eux.


Un tsunami maximum de 5,7 mètres

Plus récemment, Tepco a présenté, lors d'un symposium tenu en novembre 2010 à l'Institut de technologie de Niigata, un document intitulé «Evaluation des tsunami pour les centrales nucléaires au Japon». Il s'agit d'une étude démontrant la parfaite sécurité des centrales nucléaires nippones grâce à une méthode de simulation hautement scientifique qui conduit à estimer la hauteur maximale d'une vague de tsunami à Fukushima, et par conséquent celle des murs de protection. La hauteur limite trouvée par les experts est 5,7 mètres. Celle observée dans la réalité, le 11 mars, était 14 mètres... soit plus du double de la prévision des experts. 

Certes, l'erreur est humaine, mais quand elle se répète systématiquement, il ne s'agit plus vraiment d'erreur. Dès 2006, le sismologue Ishibashi Katsuhiko avait averti le gouvernement et les experts nucléaires que les centrales japonaises étaient trop vulnérables aux séismes. Personne ne l'a écouté et certainement pas les ingénieurs de Tepco qui ont laissé en service une centrale mal protégée, avec des équipements trop anciens.

Un mois avant la catastrophe du 11 mars, les autorités nucléaires japonaises ont renouvelé pour dix ans l'autorisation de fonctionnement du réacteur n°1 de Fukushima Daiichi. Or, cette autorisation a été accordée malgré la présence de défauts sur les générateurs de secours. Ceux-là mêmes qui sont tombés en panne au moment du tsunami.

Mitsuhiko Tanaka, l'ingénieur qui avait maquillé le défaut de la cuve en 1974, a déclaré au New York Times : «Il était temps de remplacer ce réacteur. Le tsunami aurait de toute façon causé de gros dégâts. Mais les tuyaux, la mécanique, les ordinateurs, l'ensemble des réacteurs sont vieux, et cela n'a pas aidé. » Cerise sur le gâteau – si l'on ose dire –, Tepco a admis n'avoir pas inspecté certains équipements liés aux systèmes de refroidissement, lesquels font cruellement défaut aujourd'hui.

Rien ne démontre aujourd'hui que la survenue de la catastrophe ait changé les habitudes et les modes de raisonnement des ingénieurs de Tepco. L'entreprise japonaise persiste à mettre l'accent sur le raccordement électrique de ses réacteurs, et à affirmer qu'elle va remettre en service les circuits de refroidissement, alors que selon toute probabilité il est trop tard pour le faire. Elle continue à ne pas divulguer d'informations précises sur l'état exact de la centrale et tente toujours de faire croire qu'elle maîtrise la situation, alors que les signes de rejets massifs se multiplient à l'extérieur.

Depuis mercredi, les habitants de Tokyo, à 250 kilomètres de la centrale, ne peuvent plus faire boire l'eau du robinet à leurs bébés, en raison de la présence d'iode radioactif. Chaque jour, les habitants de la région de Fukushima découvrent de nouvelles conséquences de l'accident, de nouvelles preuves du fait qu'ils ont vécu pendant des décennies avec une bombe à retardement à la porte de chez eux.

 

 

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