La Porsche et le candidat
Que l'on ne s'y trompe pas, l'émoi créé sur Internet par la photo de Dominique Strauss-Kahn à côté d'une Porsche ne relève pas de la tactique des clans qui s'affrontent et veulent peindre une image négative de l'adversaire. Elle risque d'être un lapsus révélateur. Par son écho, elle a circulé à l'instar des rumeurs, parce qu'elle met le doigt sur le talon d'Achille du candidat socialiste, et révèle sa faiblesse symbolique. Or ce talon d'Achille étant bien connu de ses supporteurs et ses conseils, tout aurait dû être fait pour ne pas le réactualiser et surtout pour commencer à l'éradiquer. En France, pays de la révolution, le luxe et le politiquement correct ne font pas bon ménage Toute rumeur se résume à une proposition simple à forte connotation émotionnelle et qui porte en elle une condamnation morale implicite. Que dit la photo en question ? Dominique Strauss-Kahn roule sur l'or. Certes, on sait que le patron du Fonds monétaire international (FMI) est riche, que sa femme, Anne Sinclair, l'est encore plus, néanmoins la pauvreté n'est pas une condition pour entrer en politique. Mais une rumeur doit toujours être analysée dans le contexte politique et social du milieu où elle circule. Or quelle est la situation de la France aujourd'hui ? Celle d'un pays où les solidarités qui ont jusqu'à présent fondé la nation et le modèle français sont cassées : dislocation des solidarités entre générations, entre riches et pauvres, entre ceux qui ont un travail et ceux qui n'en ont plus, entre communautés, entre Français de longue date et Français issus de l'immigration. Que reproche-t-on à Nicolas Sarkozy ? Dès le jour de son accession au pouvoir, de ne s'intéresser qu'aux riches. Maire de Neuilly - symbole de la banlieue riche -, M. Sarkozy aurait dû surenchérir en actes symboliques qui compensent. Hélas, ses premiers actes médiatiques le jour de son élection furent l'enfermement avec ses " amis " au Fouquet's, puis les vacances sur le yacht d'un milliardaire, le bouclier fiscal... Enfin, il est apparu dans ses biographies comme un homme ambitieux qui avait toujours rêvé d'accéder à la présidence... Certes, mais pour quoi faire ? La période Sarkozy a été marquée par des scandales à forte portée symbolique, car ils cassèrent le pacte de solidarité national et heurtèrent la morale républicaine (la nomination de son fils à l'EPAD - Etablissement public pour l'aménagement de la région de la Défense), la légion d'honneur donnée au conseiller fiscal de Mme Bettencourt, l'affaire Lagarde-Tapie...). Au sortir de la crise économique, où les bonus refont surface et les patrons accroissent leurs revenus au vu de tous, la France d'en bas a besoin qu'on l'aime, qu'on lui indique qu'elle sera au coeur de l'attention du futur président. Certains attendent des recettes miracles à force d'avoir tant attendu et voteront Front national, mais la majorité veut de l'attention, de la vraie solidarité et un retour urgent à la moralisation de la vie publique. Symboles du luxe Dominique Strauss-Kahn est certes auréolé du prestige lié au FMI et à la distance, mais c'est aussi sa faiblesse symbolique : il ne penserait qu'en milliards alors que le peuple pense désormais euro par euro dès le 15 du mois. D'où l'émoi créé par la fameuse photo qui a circulé sur le Net ? Qu'apprend-elle qui désole ? Que le candidat socialiste serait entouré de conseils en communication, issus des plus grands groupes économiques et de communication, qui, eux, roulent en Porsche pendant que le peuple, classe moyenne incluse, souffre ! Nous voilà déjà replongés dans le monde de l'ambition politique à l'état pur, dans le calcul et le marketing politique. Foin de solidarité, foin de compassion, les espoirs sont déçus : le candidat serait lointain, trop coupé des réalités, entouré de gens qui, eux-mêmes, le sont. Il est temps que le candidat se déclare enfin intéressé non par le poste, mais par la France et se méfie des symboles du luxe. Jean-Noël Kapferer
Professeur à HEC auteur de " Rumeurs " (Le Seuil) © Le Monde
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