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10 juin 2011

Aurélie Trouvé (ATTAC, candidate à la présidence du FMI)

Aurélie Trouvé : «Notre modèle de consommation alimentaire n’est pas soutenable»

liberation.fr, Recueilli par Philippe Btochen,  le 25 septembre 2009

«Notre modèle de consommation alimentaire n’est pas soutenable»

Aurélie Trouvé, docteur en économie et ingénieur agronome, est enseignante-chercheuse à l’Agrosup Dijon et copréside la branche française d’Attac. Elle réagit aux déclarations de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) selon laquelle il y aura 2,3 milliards de bouches de plus à nourrir en 2050 – soit 9 milliards d’être humains – et qu’en conséquence une hausse de 70% de la production agricole est nécessaire.

Les chiffres fournis par la FAO vous étonnent-ils ?

Pour l’augmentation de la production agricole de 70%, non, il n’y a rien d’étonnant s’il n’y a pas de prise de conscience et de transformation de notre mode de consommation alimentaire, notamment dans les pays du Nord.

Pour des néophytes de la question il est difficile de comprendre qu’une augmentation de la population mondiale d’environ un tiers nécessite d’augmenter la production agricole de 70% pour pouvoir nourrir tout le monde.

Dans les pays du Sud, notamment en Asie et en Afrique, il y aura une augmentation des besoins pour des raisons démographiques et aussi parce qu’on assiste actuellement à une transformation du modèle alimentaire. Il tend notamment à imiter les pays du nord, notamment en ce qui concerne l’alimentation carnée. Et il ne faut pas oublier que pour produire une kilocalorie animale, il faut plusieurs plusieurs kilocalories végétales. C’est une des explications de la disproportion entre l’augmentation des besoins alimentaires de 70% et la hausse de la population qui n’est que d’un tiers.

Une telle augmentation de la production agricole en si peu d’années vous semble-t-elle possible ?

C’est une question qui fait couler beaucoup de salive et d’encre parmi les agronomes et les scientifiques. Cela doit surtout amener à une prise de conscience, parce qu’aujourd’hui le modèle de consommation alimentaire des pays du nord est non soutenable à une échelle mondiale. Si toute la population planétaire se nourissait comme un habitant des Etats-Unis, on ne pourrait nourrir que 2 milliards d’être humains au lieu des 6 qui peuplent actuellement la Terre.

Parmi les enjeux, il y a donc une question culturelle liée à la mondialisation, mais aussi des raisons politiques. Non ?

Evidemment, et ces raisons politiques ont induit des choix. Aujourd’hui, la plupart de l’alimentation animale vient d’Amérique à des prix qui sont artificiellement très bas. Parce que cette alimentation provient de très grandes exploitations qui produisent massivement et qui, pour beaucoup, ont des coûts sociaux et environnementaux très faibles. Notre alimentation très carnée s’appuie aussi sur une production qui induit un accaparement de plus en plus important des terres dans ces pays et concurrence directement l’agriculture vivrière. Au Brésil, il y a ainsi des millions de paysans sans terre.

L’UE est-t-elle aussi responsable de cette situation ?

En Europe, on a misdes droits de douane proches de zéro sur la question de l’alimentation animale. L’UE a donc avantagé l’importation alors que l’on aurait pu avoir une production locale liée à l’herbe. Plus globalement, l’UE a développé une logique exportatrice, à l’opposé d’une logique d’autonomie alimentaire et de relocalisation des activités. Résultat: nous ne sommes pas autosuffisants sur le plan alimentaire, puisque nous importons plus que nous n’exportons, malgré des conditions agronomiques très favorables.

Que préconisez-vous ?

Il faut réinterroger profondément la libéralisation des marchés qui est le dogme actuel des négociations internationales. Cette libéralisation des marchés est orchestrée par le FMI, la Banque mondiale et l’OMC depuis les années 80. Elle est toujours en marche et est soutenue par les pays les plus puissants.

La crise alimentaire mondiale nous a montré que cette libéralisation des marchés était destructrice pour l’agriculture vivrière, notamment des pays du sud, et qu’elle induit une très forte volatilité des prix qui fragilise les petites exploitations et sélectionne les plus compétitives. Ces petites exploitations paysannes, ultra majoritaires, sont directement concurrencées par l’agriculture industrielle des pays du Nord et l’agriculture ultra compétitive des grandes exploitations du Sud qui commettent des dégâts humains et environnementaux considérables.
Pensez-vous qu’on puisse encore changer de modèle économique et politique agricole ?

Je pense surtout que c’est nécessaire et que nous n’avons pas d’autre choix. Un exemple instructif: pour l’année 2009, nous sommes en train d’exploser les chiffres de la faim dans le monde. Aujourd’hui, c’est davantage une question d’inégalités mondiales que de quantité, davantage un problème de juste répartition et de règles alimentaires.

Faut-il, comme pour le climat, agir dès à présent ?

L’agriculture a une place dans la crise climatique : elle est à la fois victime (les régions qui souffrent déjà de la faim seront les plus touchées par le réchauffement, les régions tropicales et subtropicales vont voir leur potentiel agricole touché) et responsable (essentiellement le modèle agricole intensif et industriel des pays du nord). N’oublions pas par ailleurs que l’agriculture intensive est dépendante des ressources fossiles, qui sont en cours d’épuisement.
En Asie et ailleurs, on a vu des stagnations des rendements agricoles, stagnations imputées au modèle intensif: à savoir, l’épuisement des sols et des ressources hydriques, la résistance aux maladies et aux ravageurs (animaux nuisibles aux cultures)… De même, sur les cultures OGM en Argentine, on a vu des retournements de rendements…

Y a-t-il quand même de quoi garder un peu d’espoir ou tout est d’ores et déjà foutu, surtout pour les pays du Sud ?

Ce qui est certain, c’est qu’il va y avoir une tension de plus en plus forte sur les terres. Si on ne change pas de mode de développement et de consommation, on va avoir besoin de terres à l’extérieur pour les besoins alimentaires et aussi pour la production d’agrocarburants par des grandes entreprises privées et les pays.

Mais si je suis une chercheuse engagée, c’est que j’ai de l’espoir, tout en sachant qu’il n’y a pas d’autre choix que de changer de modèle de développement et aussi les politiques qui les régulent. Il ne faut oublier qu’actuellement, trois quarts des personnes qui sont sous-nutries dans le monde sont des paysans.

Alors, quel modèle adopter ?

Des centaines d’experts en agronomie de l’IAASTD, un organisme qui, pour faire vite, peut-être comparé au Giec pour le climat, mettent en avant l’agro-écologie, les connaissances indigènes, le lien de la production et des connaissances agricoles avec le fonctionnement des écosystèmes.

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