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25 juin 2011

http://www.mediapart.fr/journal/international/280511/les-cables-wikileaks-devoilent-un-defile-francais-lambassade-americaine?pag

Sur MEDIAPART associé à WIKILEAKS

 

Où Sarkozy a-t-il annoncé en premier sa candidature à la présidentielle, dès août 2005? Devant qui les divers candidats à la primaire socialiste, en 2006, sont-ils venus montrer leurs beaux atours, tout en débinant au passage ceux de leurs concurrents ? A l'ambassade des Etats-Unis en France, bien sûr. Personnalités de droite et de gauche ne sont pas les seules à se confier ainsi très librement aux diplomates américains: la plupart des élites du pouvoir parisien semblent avoir pris cette habitude sans s'interroger un instant sur ce qu'elle signifiait comme proximité discutable avec une puissance étrangère, fût-elle l'un des alliés de la France.

C'est l'un des enseignements tirés d'une lecture approfondie des câbles diplomatiques américains révélés par Wikileaks, dont Mediapart est partenaire. Sur les quelque 4.700 câbles qui concernent directement la France, une petite centaine (95 pour être exact) ont été sélectionnés par Mediapart qui s'étalent de 2004 à 2010. Leur contenu jette une lumière crue tant sur la perception américaine de la France que sur l'évidente attirance (se sentent-ils flattés ou bien se croient-ils chez eux?) qu'exerce l'ambassade américaine à Paris sur les responsables français. Par responsables, nous entendons hommes politiques (53 câbles) mais aussi grands patrons, écrivains, sondeurs, journalistes, avocats, etc.

Plusieurs mois ont en effet passé depuis la «bombe Wikileaks», ces 250.000 câbles diplomatiques de l'administration américaine donnés par le site à une dizaine de journaux et sites internet. Après ces premières semaines et leur flot de révélations de plus ou moins grande importance, Mediapart a décidé de se lancer dans une tout autre lecture, plus approfondie, plus systématique, des dépêches.  

De fait, c'est un quasi-inventaire à la Prévert, la poésie en moins. L'ambassade des Etats-Unis « constitue aujourd’hui l’une des plus grandes ambassades américaines au monde avec plus de cinquante agences fédérales et départements représentés sur l’ensemble du territoire français », selon le site de l'ambassade. Sur la période qui nous occupe, entre 2004 et 2010, trois ambassadeurs se sont succédé: Howard H. Leach (2000-2005), Craig R. Stapleton (2005-2009) et Charles Rivkin (depuis le 1er juin 2009). Ils sont la plupart du temps présents lors de la rencontre.

Les déclarations des uns et des autres ne sont pas toujours ce qui importe. Du moins, les commentaires qu'elles suscitent, situés la plupart du temps en fin de chaque câble, importent tout autant. Ces commentaires dressent le portrait de la France et évidemment plus particulièrement de nos politiques tels que vus par l'administration. Ou plutôt tels que veut les voir l'ambassade. Car on ne peut être certain que les visiteurs ne disent pas un peu, parfois, ce que leur interlocuteur veut entendre. Ou inversement, que ce qui est retranscrit et envoyé à la maison mère n'est pas, de temps à autre, ce que le secrétariat d'Etat américain attend.

Ont été écartées de notre décompte les visites d'un ministre dans le cadre de ses fonctions (organisation d'un sommet, préparation d'une visite d'Etat, etc.) ou les visites des membres de cabinet, conseillers, envoyés... En revanche, lorsqu'un ministre est reçu ès qualités mais que la conversation était tout sauf diplomatique, nous l'avons gardée. Exemple : Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, qui vient dire son admiration de George W. Bush.

Un autre fait remarquable est que la diplomatie américaine semble s'intéresser au moins autant aux petites phrases, aux petits jeux politiques internes, qu'aux grands dossiers internationaux. A moins, encore une fois, que ce ne soit une habitude toute française de parler plus de politique politicienne que de projets effectifs. L'absence de point de comparaison – disposer par exemple d'une quantité aussi importante de câbles diplomatiques de l'ambassade de France aux Etats-Unis – reste évidemment un écueil. A combler.

Enfin, il faut bien garder à l'esprit que pour abondante qu'elle soit, cette correspondance diplomatique est de fait expurgée des échanges sans doute les plus intéressants: les câbles classés top-secret. D'ailleurs, dans la centaine de câbles qui nous occupent aujourd'hui, la grande majorité ne sont même pas classés «Secret» (16 « Unclassified », 65 « Confidential » pour seulement 16 «Secret »).

Entre 2005 et 2007, les relations franco-américaines remontent péniblement la pente après la crise irakienne de 2003. Quasiment tous les politiques qui défilent à l'ambassade tiennent à faire savoir que même s'ils étaient opposés à l'intervention en Irak, ils ne se seraient jamais opposés publiquement, comme l'ont fait Villepin et Chirac, aux Etats-Unis (c'est le cas de DSK, de Royal, de Charette, par exemple). Les contacts se renouent et l'approche de la présidentielle semble dans les yeux des Américains ouvrir la porte au renouveau. Du coup, l'ambassade est particulièrement attentive aux forces en présence: l'état de la gauche, celui de la droite. 

Après la claque de 2002, le PS se met progressivement en ordre de bataille, interne autant qu'externe, à partir de 2005. L'ambassade est aux premières loges. 

Fin juin 2005, François Hollande, premier secrétaire du PS, accueille le « cercle des ambassadeurs » (un groupe informel d'ambassadeurs occidentaux). « Alors que sa remarque liminaire n'était pas remarquable, note l'ambassadeur américain, Hollande s'est montré plus visionnaire dans ses réponses aux questions. » Revenant sur l'échec du « oui » au référendum sur le traité européen, Hollande explique que Laurent Fabius n'était pas pour le « non » en raison d'une vision européenne, mais pour « motifs ultérieurs », en clair, sa candidature en 2007. Prédictions d'Hollande pour 2007: Chirac ne sera pas candidat, Sarkozy va quitter le gouvernement avant de se présenter, et le PS sera uni. « Au final, note l'ambassadeur, Hollande a redit que le vainqueur sera le candidat qui offrira la promesse de changement la plus crédible. (Paradoxalement, sa présentation ne donne pas vraiment cette impression.) » Puis il ajoute: « Hollande ne se projette pas comme un leader portant un programme d'action clair. (…) Sa vision du PS montre des socialistes à la dérive. »

 

 

En novembre 2005, l'ancien premier ministre Lionel Jospin est à son tour accueilli. Précisons qu'à cette date, les Etats-Unis ne peuvent être certains que Jospin restera «le retiré de la vie politique de 2002». En témoigne ce commentaire de l'ambassadeur à l'issue de la rencontre: « Jospin vient de publier un livre, ce qui montre que même s'il n'est pas en train de préparer activement son retour au premier plan, il prend garde de ne pas se fermer les portes. »

En janvier 2006, un autre observateur intérieur, Hubert Védrine, se trouve à l'ambassade. L'ancien ministre des affaires étrangères ne mâche pas ses mots sur Ségolène Royal : « C'est une personne désagréable et lâche, dont la vision politique est un mélange de radicalisme économique et de réaction sociale. »

 

Un mois plus tard, cette dernière a l'occasion de faire mentir ses détracteurs. Elle explique que le cœur de sa campagne, c'est d'« avoir le courage de faire confiance aux électeurs ». « Vous ne gagnez pas une élection sur un bilan ou un programme, mais sur les attentes générées par le candidat », ajoute la candidate. Mais l'ambassadeur ne semble pas convaincu: « Royal parle en termes très généraux, voire vagues, de ce qui fait d'elle une candidate à la présidentielle. » Et le fait que Royal se dise proche des Américains avec, comme argument, qu'elle regarde «Desperate Housewives» n'aide pas à inverser la tendance. « Il ne faudrait pas traduire ses bonnes dispositions avec la culture américaine par un soutien à notre politique, intérieure comme extérieure. Elle n'a fait que quelques voyages touristiques aux Etats-Unis », note, perfide, l'ambassadeur.

En mai 2006, c'est au tour de Dominique Strauss-Kahn de montrer ses atours. Le candidat à la primaire commence par enfoncer sa rivale: Royal, décrite comme « fragile mais au sens féminin du terme », est certes en tête dans les sondages, mais c'est « une hallucination collective », assène-t-il, estimant qu'elle remportera peut-être la primaire mais qu'elle n'a aucune chance contre Sarkozy. Quant à François Hollande, c'est un « bon tacticien, mauvais stratège ». Mais la prestation de DSK sur ses propres compétences laisse sceptique. « L'impression laissée par DSK, c'est que, alors qu'il peut être un candidat capable et très qualifié pour les socialistes, il manque du feu qui le propulserait vers la victoire. Il fait partie de ces gens plus à même de gouverner que de faire campagne, et partant, ne gouvernent jamais. »

En ce même mois de mai 2006, un autre candidat potentiel aux primaires socialistes est reçu. Laurent Fabius convainc encore moins que DSK. Le commentaire de l'ambassadeur est sans appel: « Fabius était décevant, il est venu clairement comme un politicien du passé, et ce malgré son tain hâlé, et son air relaxé et encore jeune. Toutes les personnes présentes ont été frappées par ses vieilles recettes pour faire sortir la France de l'ornière et ses références au passé plutôt que ses solutions pour l'avenir. Il était étrange d'entendre l'adversaire le plus influent de la constitution européenne prétendre qu'il y était opposé parce qu'il aime l'Europe et entendre son appel à ce que le PS fasse de l'Europe un élément central de la campagne présidentielle était peu convaincant (peut-être un signe de mauvaise conscience). Fabius a semblé dédaigner Ségolène Royal pour son dynamisme et son sens commun, alors qu'il estime ces qualités nécessaires et qu'il ne les possède pas. En résumé, il est venu comme quelqu'un qui ne croit plus à ce qu'il dit, et même à sa propre candidature.» Lire le câble intégral.

Hollande, accompagné de Pierre Moscovici, revient en juin 2006 parler des primaires. Cette fois le premier secrétaire est « optimiste et très actif » sur l'état du PS. Tout en notant que Royal est à ce jour la grande favorite, « Hollande prend soin de laisser filtrer qu'il se tient lui aussi prêt à reprendre le flambeau comme candidat de l'unité du parti, mais seulement s'il lui apparaît qu'il peut remporter la primaire ».

Peut-être Jacques Attali a-t-il eu vent de la piètre prestation de Ségolène Royal, toujours est-il qu'en décembre 2006 (lire le câble intégral) l'écrivain, présenté comme « proche depuis longtemps de Royal », est à son tour reçu par Stapleton. Attali n'est pas forcément tendre avec Royal et en particulier sur son incompétence en politique étrangère. Il convient avec l'ambassade qu'un voyage aux Etats-Unis lui ferait le plus grand bien. « Elle a peu d'expérience, mais elle apprend vite », explique-t-il. Il se vante par ailleurs d'avoir poussé Royal : « Il y a 7 ans j'ai eu l'idée que Royal pourrait se présenter à la présidentielle. Je lui ai écrit et elle ne m'a pas cru. Puis, petit à petit, elle a commencé à se faire à cette idée. »

 

 

Attali revient mi-février 2007, cette fois-ci présenté comme proche de Royal et de Sarkozy. Et pour cause, il le dit lui-même: il échange régulièrement des SMS avec la candidate PS et a « presque tous les matins » Nicolas Sarkozy au téléphone.

 

Au cœur de la cuisine politique française, l'élection de 2007

La campagne à droite est d'ailleurs suivie tout aussi attentivement: deux ans avant la présidentielle, les déchirements au sein de l'UMP entre sarkozystes et chiraquiens occupent la correspondance américaine. En 2005, c'est d'abord sur le cas Chirac que se focalisent les câbles. En témoigne une dépêche du 27 janvier 2005 (lire le câble intégral) au titre évocateur: « Immunité pour Chirac: ballon d'essai ou initiative surzélée?». Tout part du sénateur UMP Patrice Gélard qui dépose une proposition visant à faire de Chirac un sénateur à vie, et donc lui permettant de bénéficier d'une immunité. Bernard Accoyer vient donc rassurer les Américains: en substance, non, la France n'est pas une République bananière, Chirac est un « battant » et « ce n'est pas son genre » de se faire faire une immunité sur mesure. Dont acte pour l'ambassade, qui note tout de même dans son commentaire: « L'éphémère idée de Gélard semble être une initiative isolée, même si les partisans de Chirac ont suivi attentivement les réactions judiciaires et publiques. »

Le futur judiciaire et politique de l'actuel président donne lieu à d'autres échanges, ainsi le 3 février 2005 Brice Hortefeux et Bernard Accoyer, encore lui, sont invités à donner leur point de vue. Un point de vue évidemment différent. Chirac va-t-il se représenter en 2007? « C'est dans son caractère », répond Accoyer qui précise tout de même ne pas être un chiraquien du premier cercle alors qu'il est un « bon ami de Nicolas Sarkozy ». Brice Hortefeux n'a évidemment pas la même lecture. Pour lui, « Chirac ne peut pas prendre le risque d'être défait » en 2007, même si sa rivalité avec Sarkozy va le pousser à se battre.

 

Enfin, en juin 2006, Françoise de Panafieu dresse un « sobre portrait de Chirac » et affirme qu'il est de plus en plus « isolé », à propos de la rivalité Sarkozy-Villepin, alors à son comble dans le cadre de l'affaire Clearstream: « Un gouvernement à deux têtes, Villepin et Sarkozy, qui se détestent » est de moins en moins tenable. Mais Panafieu a choisi son camp: « à deux doigts de l'adulation de Nicolas Sarkozy », dixit l'ambassadeur, elle confirme: « quand je suis découragée, je vais voir Nicolas et prend un shoot de conviction et de détermination ».

Car de leur côté, Sarkozy et ses proches avancent leurs pions. Dès août 2005, alors ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy confirme à l'ambassadeur qu'il sera candidat en 2007. Lors de cette entrevue, déjà évoquée par la presse (Le Monde), il dit son « admiration » de Bush. « La France a besoin de ce qui a été fait par Reagan aux Etats-Unis, Thatcher en Grande-Bretagne et Gonzales en Espagne. »

Le style de la présidence Sarkozy ? C'est François Fillon qui le donne et l'on pourra voir que le futur premier ministre savait dès le 20 décembre 2005 (lire le câble intégral) à quoi s'en tenir. Notant l'instabilité de la Ve République, l'alors simple conseiller politique de Nicolas Sarkozy affirme que la France a « besoin d'aller vers un système présidentiel, où le président prendrait un rôle actif en expliquant aux citoyens les actions menées par son gouvernement ». Une refonte du code du travail et de la représentativité syndicale, l'autonomie des universités, le passage du « couple franco-germanique » au « ménage à trois France-Allemagne-Grande-Bretagne », tout y est ou presque.

En juin 2006, Jean-Pierre Raffarin vient à son tour parler du candidat non encore officiel, ou plutôt, en faire la promotion. Pour résumer, Sarkozy peut être décrit comme « ce que les Français voudraient être, plutôt que ce qu'ils sont ». Pour l'ancien premier ministre, il ne fait pas de doute que Villepin n'est pas l'homme de la situation: « la mauvaise personne, avec la mauvaise expérience, qui fait le mauvais travail au mauvais moment ».

Plus anecdotique mais savoureuse, cette explication de Jacques Attali quand on l'interroge sur le fait que, malgré les rumeurs, le ministre de l'intérieur ne semble pas décidé à quitter son ministère pour se consacrer pour de bon à la campagne: « Sa femme Cécilia ne veut pas quitter les ors de la place Beauvau, sauf pour rejoindre ceux du palais de l'Elysée. »

A la mi-mars 2007, nous ne sommes plus qu'à quelques semaines du premier tour. Le camp Sarkozy est de plus en plus confiant. Renaud Donnedieu de Vabres : « Si c'est Royal au second tour, nous avons gagné.» La droite craint plus, explique le ministre de la culture, un Bayrou au second tour. Car le candidat centriste est bel et bien la surprise de cette campagne, à tel point que Bruno Erhard, un de ses proches, parle de « Bayroumania ».

Dès février 2006, l'ambassade avait invité le leader centriste et n'en était pas sortie bien convaincue. « Bien que précis dans son diagnostic de la société française, Bayrou était bien moins perspicace à se présenter lui-même comme un meneur capable de faire avancer la France », note l'ambassadeur. Bayrou, qui qualifie la campagne de « sauvage », la presse et le public se sentant le droit de « détruire » un candidat, est lui-même assez acerbe quand il s'agit de Ségolène Royal: elle n'a selon lui « aucune influence politique », n'a aucun « avis valable » et sa candidature n'a pas plus de consistance que les photos qui l'illustrent.

Il n'empêche, François Bayrou est bien au centre de l'attention quelques semaines avant le premier tour. Un câble daté du 16 mars 2007 porte un titre évocateur: « Royal et Sarkozy en plein doute sur la façon de contrer Bayrou, alors que Le Pen s'accroche ». Un doute qui concerne plus particulièrement Royal, puisque la candidate, selon l'ambassade, « ne parvient toujours pas à convaincre les électeurs de gauche qu'elle a ce qu'il faut pour être présidente ». Mais elle semble n'avoir cure des doutes qui gagnent le PS. Roland Cayrol raconte à l'ambassadeur: « Mon fils voit Ségolène tous les jours. Il est en charge des vidéos postées sur son site internet. Il me raconte qu'il n'a jamais vu quelqu'un d'aussi imperturbablement confiante. » « Les prochaines semaines diront si Royal était dans l'illusion », conclut l'ambassadeur.

 

 

Prendre de la hauteur avec les vieux sages: VGE, Barre, Rocard, Delors

 

Craig Roberts Stapleton
Craig Roberts Stapleton© DoS

Les échanges avec les acteurs de premier plan ne suffisent pas toujours à bien cerner les tenants et les aboutissants de la politique intérieure française, l'ambassade fait donc, parfois, appel aux «vieux sages», aux retirés (plus ou moins) de la politique. A cet égard, Valéry Giscard d'Estaing fait figure d'habitué. En février 2005, l'ancien président de la République est invité à déjeuner. Les sujets du moment sont balayés: les relations franco-américaines deux ans après la crise irakienne, le référendum sur la Constitution européenne à venir, l'état de la scène politique française. Sur le référendum, pourtant, VGE n'est pas des plus visionnaires. Il prévoit un «oui» à 53% tout en précisant, c'est vrai, espérer que la politique intérieure ne vienne pas interférer sur le choix des Français. Raté. Raté aussi son pronostic pour la présidentielle de 2007. Pour Giscard, et Chirac et Sarkozy se présenteront.

Rebelote en octobre. Le même Giscard revient évoquer quasiment les mêmes sujets. Tout en élargissant, cette fois-ci, le spectre de son intervention et s'adonner à, selon le câble (lire en intégralité ici), « une magistrale présentation de l'histoire de France et de la scène politique actuelle », donnant les « fondamentaux pour comprendre la France », et livrant au passage une petite anecdote sur de Gaulle. L'ambassadeur de conclure au sortir de son déjeuner: « Clairement, Giscard se réjouit de l'opportunité de donner son avis sur la scène politique intérieure et son contexte, particulièrement auprès de l'ambassadeur d'un pays qu'il admire et à qui il prête une prééminence sur les affaires internationales. » Dans un autre compte rendu, Giscard ne manquera pas de souligner à quel point le rôle de Lafayette (« un membre parvenu de la basse aristocratie ») dans l'indépendance américaine est exagéré, alors que cette même indépendance a surtout été rendue possible par l'action de la France en général, et celle d'un vice-amiral en particulier. Le vice-amiral d'Estaing...

Histoire toujours avec Jacques Delors, invité par l'ambassadeur à parler de l'avenir de l'Europe en décembre 2005, soit quelques mois après le «non» au référendum. Un «non» que Delors ne semble pas avoir digéré. L'ancien président de la Commission européenne s'en prend à la « prédilection française de mettre la théorie avant la pratique, souvent avec des résultats désastreux », ces Français qui pensent que « leur seul rejet de la constitution réduirait le texte à néant ». « Quelle prétention! », s'exclame-t-il avant d'estimer que la France est dans « une situation particulière: les Français sont à la fois traumatisés par leur rôle de plus en plus amoindri dans le monde et arrogants sur leur capacité à offrir des valeurs positives au monde ».

Mais outre ces analyses, les vieilles gloires de la politique aiment aussi à se livrer à la pique toute politicienne.

 

Giscard encore, cette fois-ci en mars 2006. A propos de Jack Lang, candidat potentiel, à cette époque, à la primaire socialiste: « Il n’apparaît pas seulement être, car de fait il l'est, un second couteau, et certainement pas un homme d'Etat.» A propos de Sarkozy, l'ancien président note « la difficulté de percevoir Sarkozy comme un personnage de dimension historique », ajoutant que, d'après lui, il n'ira pas plus loin qu'un mandat en cas d'élection.

Côté flingage, Michel Rocard n'est pas en reste. A deux reprises, en octobre 2005 et en juillet 2006, il ne mâche pas ses mots contre le candidat quasi officiel de la droite: Sarkozy, « limite raciste », « n'est pas Le Pen, mais il est un danger pour l'équilibre de la République en ce qui concerne les droits humains » et il « mène une politique détestable, particulièrement dans le domaine des droits de l'homme, pour lesquels il représente un danger ». Villepin ne trouve pas plus grâce aux yeux de Rocard: « Villepin s'identifie à Napoléon, alors qu'il est plus, en réalité, le personnage de Cyrano de Bergerac. » Ségolène Royal n'est pas en reste, qui « inquiète » Rocard, notamment « sur son manque de connaissance des questions internationales et économiques ».

Tandis que Raymond Barre, reçu en février 2006, y va de la pique... qui date un peu: « Mitterrand n'était pas plus socialiste que je ne suis pape. »

 

Un œil sur la politique étrangère

Même si la campagne en France s'annonce franco-française, l'ambassade a à cœur de percer ce que pourrait être la diplomatie du prochain (ou de la prochaine) président(e), et plus généralement, d'assurer un suivi des grands dossiers.

Quitte à, parfois, en rester à un constat d'incompréhension et dire assister à un discours du meilleur gaullisme des années 1960. Ainsi, Jean-Louis Debré, en septembre 2005, accuse carrément les Américains de marcher sur les platebandes de l'Europe, et en particulier de la France, évidemment, en Afrique et sur les rivages de la Méditerranée. Quand l'ambassadeur lui demande de s'expliquer, il dénonce l'agressivité économique des entreprises américaines. Pour les Américains, cette obsession de l'économie comme indice de l'influence internationale d'un pays est « frappante ».

Dans l'esprit d'en finir avec la doctrine gaulliste, les Américains tentent d'ailleurs de « sensibiliser » les partis au rôle et au fonctionnement de l'Otan. Fin mai 2006, l'ambassadeur US pour l'OTAN, Victoria Nuland convoque à cet effet Pierre Moscovici (PS).

 

Les Etats-Unis n'ont cependant pas de quoi s'inquiéter avec Nicolas Sarkozy, qui, tout à sa campagne de rupture, en fait beaucoup sur le rapprochement. Dès mars 2005, Hervé de Charette, qui vient de prendre la tête des relations internationales à l'UMP, tient à faire savoir à quel point son parti veut travailler avec les Américains. Envoyé à l'ambassade « sur ordre de Sarkozy », comme le note Howard Leach (lire le câble intégral), Charette se montre carrément enthousiaste. Les récentes actions des Etats-Unis au Liban, en Irak, au Proche-Orient, en Egypte, sont « applaudies ». « Charette affirme que ces convergences de vue ont conduit l'UMP à conclure qu'il devrait organiser une relation utile avec les Etats-Unis », poursuit le compte-rendu, qui indique que Charette ne pense pas seulement aux républicains mais aussi aux démocrates, et même aux personnalités américaines de passage à Paris. Quant à la crise suscitée par la guerre d'Irak, Charette « ne pointe qu'une seule et même direction: Chirac, qui“a pris une voie qui n'a pas rendu les choses faciles”». Cette visite est une « initiative remarquable », se félicite l'ambassadeur, un « geste sans précédent dans les mémoires ». En février 2007, Michel Barnier, lui aussi aux relations internationales pour l'UMP, vient dire peu ou prou la même chose.

Mais la gauche n'est pas en reste quand il s'agit de donner des gages aux Américains. En témoigne la visite de l'ancien ministre de la défense Alain Richard, en mars 2006, qui « complimente l'expertise américaine, disant: “sur tous les sujets, vous avez les meilleurs experts – même sur l'Irak” ». Tandis que Monique Saliou, conseillère pour les affaires européennes de Ségolène Royal, peine, elle, à convaincre l'ambassadeur sur l'expertise de sa candidate: un discours « conventionnel ». De leur côté, Hollande et Moscovici (juin 2006) tentent de ménager la chèvre et le chou: l'approche d'un président de gauche ne sera « ni celle de Blair ni celle de Chirac ».

 

Il est vrai que les responsables socialistes ont des gages à apporter aux Américains depuis la campagne pour le référendum européen de 2005. Les Etats-Unis ont en effet fort peu apprécié la campagne socialiste pour le « oui ». Dans leur argumentaire, les socialistes expliquaient en substance qu'il fallait voter « oui » pour faire face aux Etats-Unis. Des ténors du PS en ont fait les frais en février 2005 (lire le câble intégral). François Hollande, Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn et Hubert Védrine sont invités à s'expliquer. Hollande finit par accepter de bien préciser en public que l'Union européenne ne saurait se construire contre son allié américain et même de « revoir le slogan » sans pour autant promettre de le modifier.

Sur les autres grands dossiers internationaux (Proche-Orient, Afghanistan, Irak), l'ambassade est plus sur le registre de l'écoute (pour informer le département d'Etat). Ainsi, quand Aymeri de Montesquiou propose au cours d'une conversation le 20 novembre 2006 à l'ambassade une rencontre avec Hind Al-Khoury, représentante générale de l'OLP à Paris, celui-ci demande l'autorisation à Washington, tout en jugeant plus approprié d'organiser des rencontres avec des personnels de second rang. Son objectif : en savoir plus sur les relations palestino-françaises (notamment les négociations sur le soldat Shalit) et avoir « une meilleure visibilité de l'attitude française par rapport aux Palestiniens et à Israël ».

L'attitude française au Moyen-Orient en général intéresse les Américains. En juillet 2009, l'ambassade reçoit les sénateurs Jean François-Poncet (UMP) et Monique Cerisier-ben-Guiga (PS), tout juste rentrés d'une tournée dans la région. « Leurs vues diffèrent de celles du gouvernement français, précise d'emblée le câble, mais leur influence peut servir dans la défense des intérêts américains. » Les deux sénateurs se révèlent d'ailleurs sur la ligne américaine concernant le risque d'un Iran nucléarisé, ou la situation au Proche-Orient. L'ambassadeur conclut: « Nous continuerons de dialoguer avec ces leaders d'opinion pour faire progresser nos intérêts dans la région.»

Autre grand dossier: l'Afghanistan. Où l'on voit que, parfois, des interlocuteurs assez improbables renseignent les Américains. Le câble du 19 février 2009, envoyé par le consulat de Strasbourg, classé confidentiel, est ainsi titré: « Points de vue des Français de l'Est sur la guerre en Afghanistan ». Il s'agit du compte-rendu de cinq mois d'entretiens avec les maires des villes de Strasbourg, Mulhouse, Colmar et Metz, ainsi que d'autres « officiels locaux et régionaux ». L'idée de ces entretiens, mais ce n'est pas dit dans le câble, est très certainement née après la mort de dix soldats français en Afghanistan, en août 2008.

Sur l'Irak, le vrai grand contentieux franco-américain du XXIe siècle, les Américains, au vu de leur correspondance, peuvent être rassurés. En substance, et à gauche comme à droite, chacun de leurs interlocuteurs a à cœur de se désolidariser du duo Chirac-Villepin. Ceux qui étaient pour l'intervention viennent souligner l'erreur historique du président, bien sûr, mais ceux qui étaient contre s'attachent à montrer qu'une opposition aussi frontale n'était pas la bonne solution.

Et l'ambassadeur ne peut s'empêcher d'exulter quand un Français vient quasiment valider la thèse américaine. Le 14 janvier 2005, le journaliste Georges Malbrunot, de retour à Paris depuis quelques semaines après avoir passé quatre mois de captivité en Irak en compagnie de son confrère Christian Chesnot, raconte en détail sa captivité, l'état d'esprit de ses geôliers, et surtout, raconte comment cette période a profondément modifié sa vision de la guerre en Irak. Dans un sens qui va évidemment en faveur des Américains: « Au début de leur captivité, Malbrunot et Chesnot croyaient que leurs ravisseurs cherchaient uniquement à combattre l'occupation (américaine, ndlr). (…) Pourtant, ils se rendirent rapidement compte que l'Armée islamique d'Irak soutenait principalement la cause salafiste et autres préceptes de l'islam radical. » Et l'ambassadeur de commenter en fin de câble: « Beaucoup en France partagent la croyance initiale de Malbrunot (…) La découverte par Malbrunot, qu'au contraire, il était sur la “Planète Ben Laden” (titre du livre de l'ex-otage, ndlr), était une surprise. Ce pourrait aussi être une surprise pour cette France qui réagit souvent différemment selon que l'islam radical est à sa porte ou ailleurs dans le monde. (…) Le livre de Malbrunot ne changera sans doute pas l'intransigeance de la France par rapport à l'Irak mais cela pourrait démontrer à ses lecteurs les intérêts en jeu et les risques pesant sur la France. » Lire le câble intégral.

 

 

L'obsession terroriste

Si les Américains appuient tellement sur les propos de Malbrunot, c'est aussi parce qu'il répond à une véritable obsession américaine pour le terrorisme, obsession due, on s'en doute, aux attentats du 11 septembre 2001. Là encore, le niveau de secret des câbles diffusés par Wikileaks – rappelons que les « Top Secret » ne figurent pas dans la fournée – fait que nous n'avons pas toute la correspondance. Les échanges d'informations entre les différents services de renseignements français et américains nous en diraient sans doute plus sur le sujet. Toutefois, une dizaine de câbles estampillés « Secret » donnent un panorama des sujets à l'ordre du jour sur la dernière décennie. Ici, ce sont les juges d'instruction en charge de ces questions qui sont à l'honneur: des visiteurs bavards et réguliers.

Par exemple, l'enquête des juges Jean-Louis Bruguière et Jean-François Ricard, ouverte en 2004, sur l'envoi de jihadistes français en Irak fait l'objet d'un suivi attentif. D'abord il y a Bruguière, donc, qui annonce lors d'un déjeuner l'arrestation de membres présumés d'une première cellule le jour même, la presse ne sera au courant que deux jours plus tard. Et puis il y a Ricard, « à protéger strictement », précise le câble, qui donne des détails. Les deux vont informer régulièrement l'ambassade américaine, jusqu'en mars 2006, des développements de leurs investigations.

Le même processus est suivi pour le dossier des ex-détenus français de Guantanamo. Bruguière et Ricard vont constamment échanger avec les Américains sur le sujet. Une fois de plus, les Américains seront au courant de la volonté des deux juges de mettre en examen deux anciens détenus avant même que la décision ne leur soit signifiée. Dès novembre 2005, les deux juges arrivent à la conclusion qu'il ne s'agit pas de « gros poissons ». L'avenir judiciaire intéresse l'ambassade, mais, entre les lignes, on comprend que l'essentiel est que l'existence même de Guantanamo ne soit pas au centre des procès à venir.

De son côté, Ricard fanfaronne parfois. En mai 2005, il explique que « les preuves contre Djamel Beghal et ses complices, accusés de préparer un attentat contre l'ambassade US, ne seraient pas normalement suffisantes pour les renvoyer devant la justice, mais que la réputation du pôle antiterroriste a pesé ».

 

Ricard va plus loin dans la proximité lorsqu'en juin 2006, il vient donner son analyse de l'enquête menée par les juges Sophie Clément et Nathalie Frydman concernant, cette fois, l'enquête pour arrestation arbitraire et traitement inhumain déposée par d'anciens détenus. « Ricard nous a dit que cette enquête pouvait potentiellement être un problème », dit le câble (lire l'intégralité ici). Les deux juges (Clément et Frydman) « ne sont pas des plus favorables aux Américains », précise-t-il, ajoutant qu'elles ont la réputation de « maîtriser les médias et d'être ambitieuses ».

Ricard reviendra faire le point sur le dossier en mars 2006 (le procès étant prévu en mai), rencontre au cours de laquelle l'ambassade notera: « Les deux juges d'investigation sont parvenus à écarter la question de Guantanamo (en tant que camp illégal) hors du dossier. » Lors de ce même entretien, Ricard annonce qu'il rejoint le ministère de la défense. Interrogé sur son remplacement, il le juge compliqué car, explique-t-il un brin fanfaron, « la spécificité d'un juge antiterroriste est qu'il parvient à avoir accès à tout le travail des services de renseignement, même ce qui ne peut pas rentrer ensuite dans une enquête judiciaire ».

En mars 2005, un autre juge anti-terroriste vient parler d'un tout autre sujet. Gilbert Thiel est en effet chargé des dossiers corse, breton et des « groupes terroristes révolutionnaires », une « expression attrape-tout pour des groupes militants aux sympathies anti-capitalistes et anti-establishement », note l'ambassade. Interrogé sur la loi Perben II, entrée en vigueur en 2004, Gilbert Thiel commence par se féliciter des avancées obtenues sur le plan de la surveillance électronique, qui dispose à présent d'un vrai cadre légal. « Avant Perben II, des individus des services de sécurité conduisaient des surveillances électroniques tout en sachant que c'était illégal, des actions qui ne sont plus nécessaires », selon Thiel.

Sur la Corse, Thiel affirme que les réseaux séparatistes sont de plus en plus « fragmentés et deviennent des réseaux de clans familiaux pour lesquels les motivations séparatistes ne sont plus au premier plan ». Enfin, sur les « révolutionnaires anti-capitalistes européens », le juge explique: « Le but de ces militants est de rétablir l'aura des groupes similaires des années 60 comme Action Directe ou les Brigades Rouges: action (du gouvernement) – provocation (par ces groupes) – répression (par le gouvernement, qui amènerait théoriquement à la révolution). » Lire le câble en intégralité.

 

Immigration, islam, banlieues : la drôle d'équation

Le terrorisme reste essentiellement aux yeux des Américains le fait des islamistes. Par un raccourci douteux, que l'on a vu aussi bien sur CNN ou Fox News à cette époque, les Américains vont ainsi longuement s'intéresser à l'état de l'islam en France, en particulier après les émeutes en banlieue de 2005, consécutives à la mort de Bouna et Zyed à Clichy-sous-Bois.

Une série de câbles, tout au long de l'année 2006, est consacrée à cette jeunesse française, « musulmane », vivant dans les banlieues. Stigmatisation ? Plutôt vision communautariste des émeutes. Dès début novembre 2005, le juge anti-terroriste Jean-François Ricard (un habitué de l'ambassade, nous l'avons vu) vient donner son point de vue sur la situation. En substance : l'analyse socio-économique de la révolte répond à une « vieille vision gauchiste ». Alors que pour lui ces émeutes sont avant tout dues à trois facteurs: l'abandon de zones entières du territoire par l'Etat, le repli communautaire de cette jeunesse et la place des gangs dans ces quartiers (couplée à un regain d'islamisme). Dans un contexte post-11 Septembre, l'expression fait mouche auprès des autorités américaines. Dès le mois de février 2006, la publication des caricatures de Mahomet et les manifestations qui s'ensuivent en France semblent donner raison à la vision américaine. Viennent ensuite plusieurs rencontres orientées essentiellement sur l'intégration et l'historique de l'immigration en France.

Mohammed Bechari, président du FNMF (Fédération nationale des musulmans de France, une des composantes du CFCM), explique ainsi qu'il y a un fossé entre les jeunes Français descendants d'immigrants musulmans et leurs parents, et dit approuver le modèle américain de discrimination positive. Ahmed Gouffi (lire le câble intégral), de Clichy-la-Garenne, regrette que les membres du CFCM soient des représentants d'une première génération de migrants, dans lesquels les jeunes ne se reconnaissent pas. Le maire des Mureaux, François Garay (PS), pense que la France a échoué dans l'intégration des jeunes d'origine immigrée en ne leur offrant pas des « moments initiatiques cruciaux qui servaient autrefois à inculquer les valeurs de la République ».

Azouz Begag, ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances, dresse un long historique de l'intégration des communautés musulmanes et dit tout le bien qu'il pense des Etats-Unis. L'ambassadeur est emballé puisqu'il indique à la fin de la dépêche qu'un dialogue est d'ores et déjà engagé entre l'ambassade et le ministère. On trouve également parmi les interlocuteurs Mehdi Zerhouni, membre d'une influente famille franco-algérienne (qui compte également Yazid Zerhouni, ministre intérieur algérien), ou Abderhammane Ghoul, président du Conseil régional du culte musulman de la région PACA.

Le CFCM, cette organisation étatique du culte mise en place par Nicolas Sarkozy, intéresse d'ailleurs les Américains. Et particulièrement ses divisions internes. Ainsi, Mohamed Bechari revient à l'ambassade quelques mois après sa première visite, mais cette fois-ci en tant que membre écarté du CFCM. Il accuse le Conseil de faire partie de la machine pré-électorale mise en place par le candidat Sarkozy mais l'ambassadeur n'est pas dupe: « Les divisions au sein du CFCM ces dernières années sont au moins autant dues à des conflits de personnes et des compétitions entre organisations dominées par différents groupes ethniques que par des différences idéologiques (…) Alors que Bechari affirme que l'islam officiel représenté selon lui par le CFCM n'est pas à même de s'adresser aux musulmans de France, il en aurait sans doute été autrement s'il avait été désigné pour le diriger. »

 

 

Sur l'islam, on notera également l'analyse de François Bayrou, relatée ainsi: « Bayrou s'est demandé si les valeurs de l'islam et celles de l'Europe étaient compatibles, spéculant que des sociétés islamiques ont placé la conformité religieuse, comme représentée dans le Coran, au-dessus des aspirations de gens ordinaires. Il dit craindre que l'abîme entre ceux qui mettent l'homme d'abord et ceux qui mettent Dieu au-dessus de tout soit infranchissable. »

 

Les patrons à l'ambassade

Le climat des affaires intéresse également l'ambassade américaine. Et les patrons sont au rendez-vous.

En janvier 2005 (25538) Thierry Desmaret, PDG de Total, vient parler de la politique énergétique « agressive » de la Chine, des activités de son groupe en Iran, en Irak, au Venezuela notamment.

 

Un mois plus tard, Arnaud Lagardère, PDG du groupe du même nom, disserte sur EADS-Airbus, les médias et son ami Chirac, pour lequel il n'est d'ailleurs pas tendre. Sur la candidature des Jeux olympiques de 2012: « Chirac rate tout ce dans quoi il est impliqué »; sur son projet de CNN à la française – qui deviendra France-24 : « ridicule »; sur le remplacement de Camus, protégé de Lagardère, par Forgeard, protégé de Chirac, à la co-présidence d'EADS: une « erreur »; et enfin, sur la visite récente de Chirac en Chine: un « désastre » sur le plan économique. Lire le câble intégral.

Fraîchement élue à la tête du Medef en juillet 2005, Laurence Parisot se rend quelques mois après à l'ambassade pour parler de Villepin (qui ne travaille « pas trop mal » mais qui « rame » un peu), des politiques de droite et de gauche (qui ont « peur » des syndicats) et bien sûr des relations avec les Etats-Unis, laissées selon elle à l'abandon par son prédécesseur, Ernest-Antoine Seillière, au moment de la crise sur l'Irak.

En octobre de la même année, Jean-Claude Spinetta, PDG d'Air France, est à son tour chez l'ambassadeur. Au menu de ce petit-déjeuner : la sécurité et la libéralisation du secteur. Côté sécurité, tout en se plaignant des mesures drastiques post-11 Septembre imposées par les Américains, Spinetta se porte volontaire pour tester le nouveau système de surveillance des passagers. Sur ce dernier point, « Air France sera l'un de nos meilleurs alliés en Europe », se félicite l'ambassade.

Enfin, en décembre, Baudoin Prot, PDG de BNP et Bruno Roger, président de la Banque Lazard, viennent dire à quel point la France a du mal à lancer les réformes structurelles – dont elle a besoin selon eux –, mais aussi l'importance de la prochaine présidentielle pour l'avenir économique de la France. Pour Prot, c'est clair : « Sarkozy offre le meilleur espoir de changement. »

Baudoin Prot sera de nouveau invité en septembre 2009, pour faire le point sur la crise financière, un an après la chute de Lehman Brothers (225142). Il se trouve cette fois-ci en compagnie de Henri de Castries, PDG d'Axa, de Georges Pauget, PDG du Crédit agricole, et Gérard Worms, banquier à Rothschild. La conclusion de l'ambassade est limpide : « Leur préoccupation paraît alignée sur celle des Etats-Unis qui veulent donner au G20 de Londres la priorité au retour de la croissance plutôt qu'à la vision européenne centrée sur la régulation » des marchés. 

La crise financière permet d'ailleurs aux Etats-Unis d'assister à un cours magistral de cuisine politique française. En octobre 2008, Roger Karoutchi, chargé des relations avec le Parlement, explique comment Sarkozy parvient à « tordre le bras » des parlementaires pour faire passer plus vite les réformes (lire le câble intégral). « Les Français disent qu'ils ne sont pas sûrs que le président Sarkozy puisse les sauver, mais dans cet océan de mauvaises nouvelles, au moins, il fait quelque chose », affirme Karoutchi, qui ajoute que même le député PS Pierre Moscovici l'a approché en privé pour lui dire « que le président tient bon la barre dans le tumulte ». Quant à « tordre le bras » des députés, c'est chose aisée, pour Karoutchi, puisqu'il suffit de dire « aux députés que le président suit les débats et les votes de près et qu'il n'a pas besoin “d'un autre mal de tête” » pour que les choses se fassent, rapporte le câble. CQFD.

 

 

Ambassade lobbyiste et cible de lobbying

Comme on pouvait s'y attendre, le rôle de la représentation américaine en France consiste aussi à suivre d'assez près d'autres dossiers jugés stratégiques par la Maison Blanche. Les biotechnologies, et en particulier les OGM, occupent ainsi une petite centaine de câbles (nous y reviendrons dans un prochain article). On retiendra tout de même le compte-rendu d'un dialogue avec le sénateur UMP Jean-François Le Grand, en février 2008 (lire le câble intégral). Le Grand fait partie du groupe de travail chargé du Grenelle de l'environnement et se montre particulièrement sceptique sur les organismes génétiquement modifiés (il se livrera d'ailleurs quelques mois après sa visite à l'ambassade à une charge en règle contre ses camarades de l'UMP jugés trop proches de groupes de pression, et finira par quitter l'UMP en avril 2011 à cause des propos de Claude Guéant). L'échange avec l'ambassade est courtois, mais on voit bien entre les lignes les désaccords. Ainsi, quand Le Grand qualifie les anti-OGM de « clowns », le câble ajoute : « Cela sous-estime, selon notre point de vue, l'impact que ces activistes ont sur l'agriculture biotechnologique en France et en Europe. » Ce sont d'ailleurs bien ces activistes que cible l'ambassade: « Leur monopole dans les médias, qui traitent leurs destructions comme une noble défense de l'agriculture traditionnelle, contribue à créer un environnement extrêmement complexe pour un dialogue rationnel. »

Toujours sur le front de l'agriculture, les Etats-Unis suivent également de près l'évolution de la Politique agricole commune (PAC). Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA (agricole), vient ainsi parler de l'avancement des négociations de Doha, et plus particulièrement, évidemment, du volet agriculture de l'accord en cours de négociation (nous sommes en décembre 2005). L'analyse de l'ambassade semble plutôt juste: les négociations avancent dans un sens plutôt favorable à la PAC, et donc aux agriculteurs français, mais ceux-ci « restent offensifs pour maintenir la pression sur le gouvernement ».

Autre dossier bien suivi: internet et les droits d'auteur. La taxe Google imaginée par le rapport Zelnick mobilise particulièrement l'ambassade. Défendue par Sarkozy lors de ses vœux au monde de la culture en janvier 2010, la fameuse taxe, note le câble (lire en intégralité ici), ne prend ses exemples que sur des « sites américains ». Branle-bas de combat. Notant que « la réaction de Google est évidemment circonspecte », l'ambassade écrit: « Nous attendons la marche à suivre sur la réponse à apporter à ces propositions, qui reviennent à taxer principalement des compagnies américaines pour subvenir aux besoins de l'industrie littéraire, cinématographique et musicale (et pas aux artistes et créateurs soi-disant touchés par le piratage). » Dans la présentation de l'auteur du rapport, Patrick Zelnick, le rédacteur ne manque pas de rappeler qu'il s'agit « du producteur de la première dame française ». De fait, la taxe Google n'a toujours pas vu le jour.

 

Judith Miller
Judith Miller

Les relations sont parfois tendues, même avec des « amis de l'Amérique ». Le 6 juillet 2005, Judith Miller, journaliste au New York Times, est placée en détention aux Etats-Unis dans l'affaire Valerie Plame. Le 11 juillet, les députés Pierre Lellouche (UMP) et François Loncle (PS) demandent à être reçus par l'ambassadeur le lendemain pour protester de cette « atteinte au respect du secret des sources ». Mais quelques heures avant la visite, ils diffusent un communiqué dans lequel ils annoncent la visite et convoquent la presse devant l'ambassade. Colère des officiels américains. Du coup, c'est le responsable de l'information, et non l'ambassadeur, qui va recevoir les deux députés. Commentaire de l'ambassadeur, à la fin de son câble: « Les ambitions politiques (de Pierre Lellouche, ndlr) – il se prépare à concourir pour remporter la primaire UMP en vue de la municipale à Paris – semblent avoir obscurci son sens du fair-play. » Autre exemple: deux syndicalistes, Philippe Selva pour la CGT et Michèle Simonnin pour FO, viennent plaider en faveur du Venezuela d'Hugo Chavez en 2004, accusant les Etats-Unis d'ingérence. Le commentaire de l'ambassade est cinglant: « Si les visiteurs étaient contents d'avoir eu la chance d'exprimer leurs préoccupations, l'ampleur de leurs idées erronées était frappante. »

Parfois, les demandes françaises sont moins avouables. En témoignent les visites d'Alain Madelin (septembre 2005, lire en intégralité) et de Bernard Kouchner (octobre 2006, lire en intégralité). Le premier vient demander le soutien des Etats-Unis pour sa candidature à la présidence de l'OCDE. Assurant avoir déjà le soutien officiel de Chirac, il affirme que « seul un soutien des Américains pourrait donner à sa candidature le poids dont il a besoin pour l'emporter ». Tout en notant que Madelin est l'une des rares figures politiques françaises à avoir soutenu publiquement la guerre en Irak, l'ambassadeur ne veut pas se mouiller: « L'ambassade de Paris ne défend pas cette candidature » même si le fait que Madelin se veuille « l'avocat des réformes demandées par les Etats-Unis pourrait justifier ce soutien ». Las, c'est finalement Angel Gurria qui deviendra le secrétaire général de l'organisation.

L'histoire se répète, ou presque, avec Bernard Kouchner, qui vise, lui, le poste de directeur général de l'Organisation mondiale de la santé. Ses prétentions sont moindres: il demande juste le soutien des Américains pour figurer dans la short-list établie dans quelques semaines, arguant de ce qu'il pourrait « mettre fin au bunker bureaucratique que constitue l'organisation ». Encore raté. Kouchner ne figurera même pas dans la short-list publiée le 6 novembre.

 

 

Enfin, et pour l'anecdote, en juin 2006, Patrick Poivre d'Arvor tente d'obtenir une interview de Bush à la veille du G8, par l'entremise de l'ambassadeur. Celui-ci lui apporte un soutien enthousiaste. L'interview de Bush par PPDA aura finalement lieu en novembre 2007.

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