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17 juillet 2011

Le Sénat saisit la justice pour faire taire les sources de Mediapart

| Par Mathilde Mathieu et Michaël Hajdenberg

Les récentes révélations de Mediapart mettent le Sénat en panique. Semaine après semaine, élus et hauts fonctionnaires voient leurs petits secrets s'ébruiter. Alors, mercredi 13 juillet, faute d'avoir pu identifier nos sources, la haute assemblée a déposé plainte pour «vol» de documents et «abus de confiance», «à l'encontre de tous auteurs, co-auteurs et complices». Visés: non pas Mediapart, qui accomplit son devoir d'informer, mais ceux qui ont, depuis l'intérieur de la maison, pris le risque de nous communiquer des copies de notes de frais douteuses ou de salaires mirobolants.

L'objectif des questeurs − qui signent la plainte au nom de cette étrange appellation «l'État-Sénat» − est parfaitement assumé: traquer nos sources, pour les intimider et colmater les fuites en urgence. Le palais du Luxembourg, qui entretient la plus grande opacité sur la gestion de ses deniers publics, peut espérer que le procureur du tribunal de grande instance de Paris ouvrira une enquête préliminaire dans les semaines à venir.

La maison, de fait, a de quoi se montrer fébrile. Depuis trois mois, et dans la perspective du scrutin sénatorial de septembre, Mediapart a commencé la publication d'une série d'enquêtes sur les mœurs et dépenses de l'institution, documents à l'appui.

→  Soucieux d'étayer nos affirmations sur les notes de frais injustifiées du questeur Jean-Marc Pastor, nous avons mis en ligne deux factures de repas réglés par la trésorerie du Palais.

→  Pour illustrer l'explosion des rémunérations au sein du cabinet du président Larcher (+ 26% entre 2007 et 2010), nous avons communiqué les feuilles de paie anonymisées de deux de ses conseillers.

→  Enfin, agacés par les discours officiels sur la prime soi-disant «exceptionnelle» de 3.492 euros versée fin juin aux sénateurs, distribuée en réalité depuis des années en secret, nous avons reproduit les relevés d'indemnités touchées en 2007, 2008 et 2009 par le président de la commission des Finances, Jean Arthuis.

Retrouvez certains documents sous l'onglet “Prolonger” de cet article

Pour «l'État-Sénat», aucune de ces pièces n'aurait dû franchir la grille du palais du Luxembourg. Et les contribuables n'avaient pas de raison, non plus, d'apprendre l'existence d'une enveloppe de 11.600 euros annuels allouée à chacun des trois questeurs pour leurs frais de représentation.

À chaque fois, si nous avons publié ces pièces, c'est que le service communication a refusé, malgré nos relances, de nous livrer le moindre chiffre sur ces dossiers. C'est que les documents budgétaires accessibles aux citoyens (issus des projets de loi de finances annuelles) pèchent par leur indigence, dès qu'il s'agit du Parlement. Pourquoi, d'ailleurs, le Sénat refuse-t-il de se soumettre au contrôle de la Cour des comptes? Quant aux audits internes commandés par Gérard Larcher lors de son arrivée à la présidence (fin 2008), seule une minorité de chiffres triés sur le volet a été transmise aux journalistes. À l'intérieur même de la maison, cette rétention organisée de l'information a fini par ulcérer.

Trois ans de prison pour abus de confiance

Chez ceux qui nous ont aidés, ces derniers mois, il n'y avait aucune préoccupation politicienne, ni calcul partisan. Les documents mis en ligne l'attestent, puisqu'ils ont successivement “touché” un parlementaire UMP (Gérard Larcher), un socialiste (Jean-Marc Pastor) et un centriste (Jean Arthuis).

Surtout, ils ont prouvé leur utilité publique: Jean-Marc Pastor a fini par annoncer le remboursement de ses notes de frais douteuses, «pouvant relever d'une erreur d'appréciation»; Gérard Larcher a soumis l'affaire des salaires de son cabinet au comité de déontologie parlementaire; et les sénateurs ont renoncé, mardi 12 juillet, à leur pseudo-prime «exceptionnelle». Les informateurs de Mediapart ont eu raison d'agir.

En récompense, ces lanceurs d'alerte se retrouvent aujourd'hui visés par une plainte pour des faits d'«abus de confiance» et de «vol», réprimés par les articles 314.1 et 311.1 du code pénal. L'abus de confiance («le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé») est puni de trois ans de prison et 375.000 euros d'amende. Quant aux condamnations pour vol, elles peuvent grimper jusqu'à «trois ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende» (cinq ans et 75.000 euros pour les personnes chargées d'une mission de service public).

Avec ces chiffres, le Sénat veut faire peur, et vite. Car ces derniers jours, Mediapart a envoyé au service communication une série d'interrogations sur le système de retraite des sénateurs, qui font visiblement monter la pression... À ce stade, une fois de plus, elles sont restées sans réponse.

Comme sont restées sans réponse nos questions à Gérard Larcher sur ses intentions vis-à-vis du socialiste Jean-Marc Pastor, qui a diffusé un faux communiqué en son nom. Pour le coup, n'y aurait-il pas matière à porter plainte, pour faux et usage de faux? Entre dignitaires, même de camps opposés, on préfère régler ses comptes en petit comité.

Mais au bout du compte, les méthodes du Sénat s'avèrent détestables. La loi sur «la protection des sources des journalistes» garantissant à Mediapart le droit de ne pas dévoiler l'identité de ses informateurs, les questeurs ont décidé de contourner l'obstacle. La justice ne peut saisir nos ordinateurs? Elle ira fouiller ceux du Sénat! Elle n'a pas le droit d'examiner nos relevés téléphoniques? Elle épluchera ceux du palais du Luxembourg, à la recherche de coups de fil vers nos numéros de portable!

Ce scénario rappelle un épisode de l'affaire Woerth-Bettencourt, datant de l'été 2010: les services du contre-espionnage avaient alors examiné les “fadettes” (factures détaillées de téléphone) d'un conseiller de la ministre de la justice, soupçonné d'avoir “tuyauté” un journaliste du Monde. Le quotidien avait illico déposé plainte pour «violation du secret des sources». Cette fois, ce ne sont plus des espions qui s'agitent en secret, mais des élus du peuple qui sévissent au grand jour.

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Commentaires
J
Ca m'étonnait que quelque chose comme ça ne soit pas encore arrivé à Mediapart.<br /> <br /> C'est sûr, c'est embêtant ces journalistes qui font vraiment leur travail, de vraies enquêtes et qui ne se contentent pas de reproduire des dépêches en brodant sur celles-ci dans ces journaux qui deviennent tous lentement mais sûrement des journaux people où on lit exactement les mêmes articles partout chaque fois qu'une personnalité éternue.
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