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7 août 2011

Le club des nonagénaires débordés

Le Point  le 28/07/2011 à 12:45

Figures de l'histoire et de la pensée, Edgar Morin et Stéphane Hessel courent le monde et remuent les foules, à plus de 90 ans...

Le club des nonagénaires débordés

Edgar Morin et Stéphane Hessel ont 183 ans à eux deux. © Khanh-Renaud/square

Cela commençait à devenir vexant : mettre la main sur deux nonagénaires n'aurait pas dû être difficile. Mais ceux-là, il a fallu se donner du mal pour les rattraper. Stéphane Hessel et Edgar Morin sont deux spécimens d'une nouvelle espèce : le vieillard hyperactif et rigolard, toujours entre deux avions, deux conférences, deux dédicaces, deux coups de téléphone à l'autre bout du monde. Ce matin-là, cependant, il y avait un moyen de coincer la paire infernale. Ils s'étaient tous deux déplacés au musée Jean-Moulin, à Montparnasse, afin d'honorer de leur présence un plateau de télé matinal.

Cravate bleue impeccable et costume gris, Stéphane Hessel, 93 ans, garde la mise du diplomate altier qu'il a été, même lorsque, dans un élan rimbaldien, il se prend à réciter Sensation, du poète de Charleville. "Par les soirs bleus d'été/ J'irai dans les sentiers/ Picoté par les blés, fouler l'herbe menue..." Diction scandée, mémoire intacte, il sidère ses interlocuteurs, qui contemplent ce grand menhir qui fut résistant, déporté, corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l'homme, infatigable militant depuis de cette cause, jusqu'à ce best-seller désormais planétaire : Indignez-vous ! Un extraterrestre.

En face, Edgar Morin, 90 ans, chemise de cow-boy à carreaux sous la veste marine en lin, foulard autour du cou, tient plus de l'éternel étudiant, volubile et ardent débatteur. Un étudiant plutôt calé : sociologue et philosophe mondialement connu, docteur honoris causa d'une bonne douzaine d'universités, toujours en vadrouille, notamment au Brésil et dans les pays arabes, Morin en impose. Et lui aussi, ancien résistant, est un morceau d'histoire vivant.

Deux rock stars d'un genre nouveau, demandées partout et remplissant les salles. Hessel en aurait presque assez. Assez qu'on le sollicite depuis des mois maintenant pour porter la bonne parole, comme il le fit le 17 mai 2009, en présence de Raymond Aubrac, autre figure nonagénaire de la Résistance, sur le plateau des Glières, haut lieu de la lutte contre l'occupant allemand. "Nous avons gueulé devant 3 000 personnes", raconte-t-il. La fondatrice de la maison d'édition Indigène, Sylvie Crossman, qui se trouvait dans l'assistance, l'invite dans la foulée à rédiger un petit manifeste. Ce sera Indignez-vous !, un best-seller planétaire, vendu 3 euros. Il en est parti depuis lors environ 3 millions d'exemplaires en Europe, le livre a été traduit dans une trentaine de langues. "C'est devenu un slogan qu'on met à toutes les sauces", observe l'auteur. Et comme la sauce n'est jamais aussi bonne sans son ami et complice, Edgar Morin ne cesse de l'accompagner. Depuis, à Dijon comme à Avignon, ils font équipe et se donnent la réplique. Les voilà presque en tournée. Des rock stars, on vous dit...

Hessel-Morin, un livre à quatre mains

Si l'on qualifie les sexagénaires des Rolling Stones d'"inoxydables", que dire de ces deux-là ? "J'ai la chance d'avoir un corps qui tient à peu près debout et une mémoire qui fonctionne", note Stéphane Hessel, qui ne s'impose pas de régime alimentaire strict, tout juste une certaine sobriété et l'habitude de se lever tôt. Comme pour Edgar Morin, qui adore la nourriture méditerranéenne, mais confesse boire du vin et ne jamais refuser une bonne andouillette AAAAA. Les excès lui sont pourtant défendus depuis qu'à 40 ans une grave hépatite l'obligea à la modération. Aucun élixir de jouvence pour garder la forme, juste "de temps en temps de la gelée royale".

Inutile, de toute façon, de chercher bien loin le secret de leur vitalité hors norme. Il saute aux yeux : c'est le rire. À tout bout de champ, les nonagénaires se marrent.

Rire de quoi ? D'être là, déjà. Deux "survivants", comme le dit Hessel. Et depuis l'origine, d'ailleurs. Edgar Morin faillit mourir étranglé à la naissance par son cordon ombilical. "J'ai passé dix minutes dans le royaume des morts dont je n'ai aucun souvenir", dit-il. Stéphane Hessel connaît son premier coup du sort à huit ans. Ayant sauté du tramway sans faire attention boulevard Saint-Michel, à Paris, il se retrouve sous une voiture. Sa mère, qui assiste à la scène, pousse un cri d'effroi. "Je suis passé entre les quatre roues." Le gamin se relève, une légère blessure à la tête. Sa mère le récupère. "Tout va bien, maman", la rassure-t-il, certain qu'après cette aventure il est ce que les Allemands appellent un "champignon de bonheur" pour désigner un chanceux.

Des frayeurs, il y en a eu d'autres. Pendant la guerre, surtout. Hessel, membre du Bureau central de renseignements et d'action, a échappé de peu à la mort et survécu aux camps de Buchenwald - où il fut condamné à la pendaison - et de Dora. Hessel considère que "survivre à une situation périlleuse vous donne la responsabilité" de témoigner.

Morin fut, lui, lieutenant des Forces françaises combattantes. Mais loin d'eux l'idée de prendre la pose de l'ancien combattant. Ils préfèrent ausculter l'époque contemporaine. Partout où ils sont invités à se produire, en duettistes, ils font un tabac. Mondialisation, pollution, spéculation, paupérisation... Le monde peut être changé, pensent les deux éternels optimistes. Devant leur succès d'audience, les éditions Fayard ont compris le bénéfice qu'il y aurait à prolonger par un livre à quatre mains le dialogue engagé. Ils y travaillent. L'ouvrage devrait voir le jour à l'automne. Et c'est reparti...

REGARDEZ : Stéphane Hessel garde intacte sa capacité d'indignation et le fait savoir en toutes occasions

 

 

 

Denis Demonpion
°°°°°

Quelques commentaires en ligne sur cet article

Résistants et endurants

 

Raymond Aubrac, 97 ans le 31 juillet.

Dernier témoin vivant de la réunion de Caluire, au cours de laquelle lui-même et Jean Moulin furent arrêtés, le 21 juin 1943, par la Gestapo, il revient de loin. " J'aurais dû mourir en 1943, au moment de mon évasion. J'ai sauté un peu trop tôt du fourgon cellulaire et j'ai reçu une balle dans la joue. Je suis en sursis depuis lors. " Deux ou trois fois par semaine, il va à la rencontre des scolaires. " Les profs m'utilisent comme un vieux témoin pour rompre la monotonie de leurs cours. Une grande partie des élèves ne se sentent pas d'avenir. L'optimisme, c'est peut-être une des choses qui manquent à notre société ", constate-t-il, l'oeil en alerte, tirant sur sa bouffarde, un " sport " qu'il pratique depuis l'âge de 18 ans.

 

Jean-Louis Crémieux-Brilhac, 94 ans.

Résistant de la première heure, lui aussi essaie de faire comprendre aux étudiants les vertus du " courage civique ", eux qui vivent en paix depuis bientôt soixante-dix ans. Sous son costume de conseiller d'Etat, on a peine à imaginer l'odyssée qui fut la sienne. Sous les bombardements des Stuka, pendant la défense de la Marne : " J'étais sorti cinq mois plus tôt de Saint-Cyr, on ne nous avait pas dit qu'il y avait des avions qui attaquaient en piqué. J'ai eu la plus grande frousse de ma vie. " Et lors de son évasion dans l'Allemagne nazie : " J'étais dans la salle d'attente d'une gare, une escouade est passée pour contrôler les papiers. J'ai tendu mon billet, mais le type ne s'est pas arrêté. " Ce fringant historien, adepte de la natation et de la marche, se souvient encore de l'" angoisse " qui l'avait alors saisi à la gorge.

Daniel Cordier, 91 ans le 10 août. Parachuté à 20 ans dans le maquis, avant de devenir le secrétaire particulier de Jean Moulin, Daniel Cordier fourmille de projets. Les voyages le passionnent. " Je suis tout près de faire un nouveau tour du monde et je m'y prépare. " Et d'écrire encore, après le vif succès de ses Mémoires de guerre, " Alias Caracalla " (Gallimard). Le 17 juin, veille de la célébration de l'appel de De Gaulle à la Résistance, Cordier a invité ses camarades de la France libre à déjeuner chez Laurent, un rituel annuel : François Jacob, le président des Compagnons, Yves Guéna, ancien ministre de De Gaulle et ex-président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Raymond Aubrac, Stéphane Hessel... " On n'évoque pas le passé. On parle de la situation actuelle ". Pour refaire le monde, passé 90 ans.

 

Et l'amour dans tout ça ?

 

Stéphane Hessel s'est marié deux fois. " Ma première épouse, morte d'un cancer il y a vingtcinq ans, était beaucoup plus intelligente que moi, elle avait une plus grande lucidité ", note-t-il. Celle qui partage aujourd'hui ses jours est fondamentale pour sa joie de vivre. Edgar Morin a connu trois mariages. " Il y a peut-être eu aussi deux ou trois autres amours importantes. J'adore la femme dans les femmes que j'ai aimées ", confie Morin, qui dit éprouver encore de l'amour pour quelqu'un.

Chiffres : 3 millions

 

C'est le nombre approximatif d'exemplaires vendus en Europe d'" Indignez-vous ! " par Stéphane Hessel.

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