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9 août 2011

La grande histoire de la primaire, acte I : Et Mitterrand abattit son deux de trèfle

   Modifié le 08-08-11 à 17:58     par Le Nouvel Observateur 

 

En 1965, c’est un homme seul et discrédité. Pourtant, trois mois avant la présidentielle, il devient le candidat unique de la gauche ! Récit d’une partie de poker. Par François Bazin.

François Mitterrand tient une conférence de presse le 21 septembre 1965  AFP François Mitterrand tient une conférence de presse le 21 septembre 1965 AFP

"Ça m’étonnerait que ma candidature passe inaperçue." Bien vu ! Ce matin-là, une nouvelle vie commence pour François Mitterrand et, pour que ça se sache – et surtout pour que ça marche – l’homme le plus controversé de la gauche française a décidé d’abattre ses cartes. Juste au moment où on ne l’attendait pas. Le jeudi 9 septembre 1965, le général de Gaulle tient, à l’Elysée, une de ses conférences de presse à grand spectacle dont raffole la presse. Dans trois mois, la présidentielle. Pour la première fois de la Ve?République, le chef de l’Etat va être élu au suffrage direct des Français. Qui sera candidat ? C’est bien là le mystère ! Dans la classe politique et médiatique, on croit encore que le Général va raccrocher. Il a bientôt 75 ans. Il a remis la France sur pied. Quel meilleur moment pour tirer sa révérence ?

Le premier des opposants au Général

Ce 9?septembre pourtant, ce n’est pas à l’Elysée que roulent les dés de l’histoire. "Serai-je candidat ? Vous le saurez dans deux mois", a confié le Général, pas gêné pour un sou. A peine a-t-il lâché cette formule que, sur le coup de 16 heures, entre deux dépêches sur les propos présidentiels, tombe une déclaration que François Mitterrand a lui-même dictée à l’AFP. "A moins de trois mois de l’élection présidentielle, les républicains résolus à combattre le pouvoir personnel sont dans l’incertitude. [...] Il n’est pas possible de laisser plus longtemps se prolonger une situation qui fait le jeu du système actuel. J’ai donc décidé de solliciter les suffrages des Françaises et des Français, le 5 décembre prochain." C’est court, c’est simple. Voilà donc François Mitterrand installé dans le rôle qu’il peaufine, dans l’ombre, depuis plusieurs années : celui du premier des opposants au Général. Aujourd’hui, avec le recul du temps, il y a là un air d’évidence. Ce 9 septembre pourtant, rien ne l’est tout à fait. A peine François Mitterrand s’est-il avancé que déjà la presse unanime le décrit comme "le plus mauvais candidat possible". Chez les commentateurs, seul François Mauriac lui garde un vieux fond de tendresse. Cette candidature a donc une apparence : celle d’un rassemblement anti-gaulliste. A chaud, elle a surtout une réalité : celle d’un pari à hauts risques dans une primaire-poker où les champions d’une gauche éclatée cherchent, dans le brouillard, sinon le chemin du succès, du moins celui d’une résistance efficace.

François Mitterrand a joué l’effet de surprise. C’est bien le moins quand, dans ce genre de partie, on n’a qu’un deux de trèfle. Qui l’a vu venir ce jour-là ? Le petit carré de ses fidèles réunis dans un club, la Convention des Institutions républicaines (CIR), a été mis dans la confidence, à l’heure du déjeuner. Chez les politiques, seul Guy Mollet a été mis au parfum, au matin du 9?septembre, lors d’un tête-à-tête, cité Malesherbes. Le patron de la SFIO – l’ancêtre du PS – aurait préféré que François Mitterrand patiente encore un peu. Il a, au fond de la poche, une autre carte qui lui semble autrement plus forte, dans une France qu’il juge profondément conservatrice. Le gardien de la vraie foi socialiste en pince pour l’homme au chapeau rond que chérit la droite des rentiers. Pour succéder au fondateur de la Ve?République dont il pense qu’il ne rempilera pas, Mollet rêve d’une candidature Pinay. Si François Mitterrand veut faire un tour de piste, en rassemblant la gauche au premier tour, tandis que la SFIO se tiendra sagement à l’écart, pourquoi pas ? Et puis d’ailleurs que pèse vraiment Mitterrand ?

Pas grand-chose ! Et si c’était là précisément sa force ? Plus tard, dans "Ma part de vérité", il écrira : "Depuis 1962, j’ai su que je serai candidat. Quand ? Comment ? Je ne pouvais le prévoir. J’étais seul. Je ne disposais de l’appui ni d’un parti, ni d’une Eglise, ni d’une contre-Eglise, ni d’un journal, ni d’un courant d’opinion." Le pire, c’est que tout cela est vrai.

Une primaire qui ne dit pas encore son nom

L’ex-porteur de la francisque, l’ancien ministre de l’Intérieur de la guerre d’Algérie, le héros malheureux du vrai-faux attentat de l’Observatoire, reste un homme à problèmes. Alain Savary, compagnon de la Libération et figure morale de la gauche socialiste, le lui a dit sans détour le matin même de sa candidature. Au PSU, ce laboratoire de l’autre gauche, beaucoup tordent le nez quand on prononce son nom. Dans ces cercles-là, on lui préfère – et de loin – Daniel Mayer, l’héritier de Blum que Mollet a éjecté de la direction de la SFIO à la Libération. Et pourquoi pas Pierre Cot? Et si c’était Jean Vilar ? Ou bien Jean Rostand ? Tous ces noms qui circulent disent un profond embarras. C’est la vraie clé de cette primaire qui ne dit pas encore son nom. Les seuls qui auraient la dimension nécessaire pour renvoyer Mitterrand à ses études sont aux abonnés absents. Depuis le départ, ce dernier sait que là réside sa seule chance de succès. Il n’est pas le meilleur. Pour s’imposer, il lui faut faire la démonstration qu’il est le seul à vouloir vraiment aller au combat.

Depuis le début de l’été, la gauche est dans la panade. Son champion déclaré, Gaston Defferre, le maire de Marseille, a jeté l’éponge. Il a été lancé dans l’arène, dès 1963, à l’initiative de "l’Express". Celui de Jean-Jacques Servan-Schreiber. JJSS a le sens du marketing. Mais il a parfois le flair politique d’un petit pois. Avec lui, "Monsieur X" est allé droit dans le mur. Son projet ? Rassembler dans un même mouvement son parti, la SFIO, et les démocrates-chrétiens du MRP. Le PC ? On le tiendra à l’écart avec la certitude qu’au second tour de la présidentielle il finira bien par se rallier. Le pari est osé. Trop osé. Defferre veut jouer cartes sur table. C’est tout à son honneur mais cela signe vite son échec.

Dans la besace de la gauche, sur cette ligne-là, il y a encore Maurice Faure, le patron du Parti radical. L’homme est fin, intelligent. Il est surtout très cossard. Quand il s’attable devant un foie gras, le député du Lot, conseiller général de Montcuq, confie volontiers que "c’est le jaune" – entendez le gras – qu’il préfère. Cela signe un caractère. Quand il rencontre Mitterrand, le matin même de sa candidature, pour une ultime entrevue, il est clair que le plus décidé des deux n’est pas celui qui a la meilleure main. Et puis, surtout, le député de la Nièvre dit ne nourrir aucune exclusive, notamment à l’égard du Parti communiste – 21,9% des voix aux législatives de 1962, une paille ! "Allez-y, faites-le, votre Front populaire", grince Maurice Faure. La fin d’été 1965 sera pour lui celui du soleil grec !

Mitterrand procède par élimination

Dans cette drôle de primaire où il joue sa seconde carrière, Mitterrand procède par élimination. Pour pouvoir rassembler ce qui est épars, il faut surtout ne rien dire d’explicite. Bref, garder ses cartes masquées pour ne pas montrer leur faiblesse et surtout ne froisser aucun de ses alliés potentiels. Depuis Hossegor où il passe ses vacances, il observe, il écoute, il envoie des émissaires. Une seule fois, il revient à Paris, le 3?août, pour un rendez-vous essentiel. Ah Mendès France ! Si celui-ci avait voulu ! Avec sa réputation, ses réseaux, son passé, sa vertu ! Oui mais voilà, il ne veut pas ! Les institutions de la Ve?République sont, à ses yeux, un mal absolu. Elles sont le fruit d’un coup de force. Elles finiront, c’est sûr, par un Sedan politique. Lui, en tout cas, ne participera jamais à la mascarade d’une élection présidentielle qui renforce le "pouvoir personnel" qu’il prétend exécrer.

PMF est une manière de pape qui dit la règle et le droit. Sans son soutien, rien n’est possible. Mitterrand se contentera d’un nihil obstat. Mendès lui a adressé, ainsi qu’à Daniel Mayer, une lettre dans laquelle il l’assure de son soutien. Sans plus. Les deux hommes le découvriront, un brin surpris, le jour où ils s’expliqueront, en tête à tête ! Lors de ce rendez-vous estival, Mitterrand et Mayer ont fait leurs comptes. Pierre Mendès France a joué placé. Très bien. Mais le député de la Nièvre, lui, n’est pas poursuivi par la haine tenace que voue Mollet à son concurrent. Et puis, surtout, il ne le crie pas sur les toits car tout cela est encore dans les limbes et, dans les jeux compliqués de la gauche, cela pourrait tout faire capoter : il est en contact discret avec la direction du PC qui lui a adressé "un feu orange".

"Mitterrand demain"

Le grand tournant de 1965, il est là ! Mais personne ne le voit encore clairement. Au lendemain de l’annonce de sa candidature, "le Figaro" – d’habitude plus vigilant quand il s’agit du PC – titre imperturbablement sur le désir qu’aurait Mitterrand de rassembler… "les centristes". Tous n’ont pas cette cécité, mais à l’époque beaucoup doutent encore de la viabilité d’une manœuvre qui, de fait, va changer le visage de la gauche française. C’est que le PC de Waldeck Rochet, son nouveau secrétaire général, a compris que, pour revenir dans le jeu politique hexagonal, il n’avait pas le choix. Présenter un candidat à la présidentielle ? C’était prendre le risque de montrer sa faiblesse. Autant donc se cacher derrière un paravent d’occasion. Le PC est tiraillé entre des forces contraires. Lorsqu’il faudra sauter le pas, à la mi-septembre, le vote de son bureau politique se déroulera dans un climat tendu. Comme Mollet, Waldeck Rochet a fini par convaincre ses camarades que l’aventure Mitterrand avait plus d’avantages que de vrais inconvénients. Qui a peur d’un homme seul ? Qui pourrait croire que cette candidature unique, fruit de plus d’habileté que de réelles convictions, allait être un tournant bientôt irrattrapable ?

Alea jacta est. Le 9 septembre 1965, François Mitterrand franchit le Rubicon qui, comme chacun sait, est un tout petit ruisseau. Ce César-là est encore bien pâle et ses soutiens bien modestes. Une semaine plus tard, sur les conseils de Mendès, "l’Obs" change in extremis le titre de sa une. Ce devait être "Mitterrand jamais". Ce sera "Mitterrand demain". Dans les sondages, on le crédite de 11% des voix. "Le plus mauvais candidat", on vous l’avait bien dit ! Quelques semaines plus tard, il se hisse à 16%. Début décembre, il est à 26%. Lors du premier tour, il met le Général en ballottage avec 32%. Quinze jours plus tard, il en obtient 46%. Une autre aventure commence…

François Bazin - Le Nouvel Observateur 

Article paru dans Le Nouvel Observateur le 4 août 2011

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