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14 août 2011

L’irrésistible ascension du procureur Marin


| Par Michel Deléan      dans MEDIAPART

Jean-Claude Marin a donc été nommé le 27 juillet au poste le plus élevé du parquet, celui de procureur général près la Cour de cassation, comme l'annonçait Mediapart dès le 10 juin (lire ici).

Son installation officielle aura lieu le 16 septembre, l'intérim au sommet du parquet – après le départ en retraite de Jean-Louis Nadal le 30 juin – étant assuré par Cécile Petit, premier avocat général à la Cour de cassation.

Prestigieux, le poste de procureur général près la Cour de cassation était, jusqu'à un passé récent, considéré comme essentiellement symbolique. On n'y exerce, en effet, aucune autorité hiérarchique directe sur les procureurs des tribunaux de France. En revanche, dans ses nouvelles fonctions, Jean-Claude Marin aura – notamment – pour tâche de chapeauter le ministère public à la Cour de justice de la République (CJR). Or cette mission est devenue de la plus haute importance, depuis que les cas des ex-ministres Eric Woerth et Christine Lagarde ont successivement été soumis, ces derniers mois, à la CJR – cela pour partie grâce à la détermination de Jean-Louis Nadal. 

 

Jean-Claude Marin Jean-Claude Marin

L'avancée des dossiers Woerth/Compiègne et Lagarde/Tapie sera observée à la loupe dans les mois qui viennent – le sujet anime déjà les discussions dans le monde judiciaire.

Sur le plan fonctionnel, le procureur général de la Cour de cassation n'a pas barre sur la commission d'instruction de la CJR, qui est composée de magistrats du siège entièrement indépendants. Mais il n'est pas pour autant un simple spectateur de la procédure, loin de là : il peut rédiger des réquisitions de non-lieu, discuter le motif des poursuites ou le poids des charges, et temporiser au besoin. Ultérieurement, il peut aussi demander une relaxe devant la formation de jugement.

Les spéculations vont bon train. D'autant que ce même procureur général aurait également un rôle crucial, si d'aventure d'autres dossiers dangereux pour la Sarkozye devaient être adressés à la Cour de justice dans un futur proche, par exemple dans les affaires Karachi ou Takieddine.

Pour le pouvoir politique, on l'a compris, il fallait absolument nommer un homme de confiance au sommet de la pyramide judiciaire. Est-ce un hasard ? Des rumeurs malveillantes ont parcouru le microcosme parisien pendant les semaines ayant précédé la promotion de Jean-Claude Marin, selon lesquelles l'alors procureur de Paris aurait prétendument rencontré la ministre de l'Economie à Bercy, cela peu après qu'elle eut été mise en cause dans le réquisitoire adressé le 10 mai à la CJR par Jean-Louis Nadal dans l'affaire Tapie/Crédit lyonnais. Ces assertions malveillantes étaient discrètement colportées par certains collègues et néanmoins concurrents du procureur Marin. Des jaloux.

«C'est hallucinant ! », réagit Jean-Claude Marin, contacté par Mediapart. « J'ai moi aussi entendu dire que j'aurais déjeuné avec madame Lagarde, ce qui est faux, et aussi que j'aurais fait une campagne de déjeuners politiques. Or mes déjeuners sont trop rares pour que je les réserve à d'autres qu'à mes amis », assure le magistrat.

La bienveillance du pouvoir

Il reste que Jean-Claude Marin a bien reçu l'onction du pouvoir exécutif, puis celle du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). « Cet avis n'est pas une surprise », commentait le 19 juillet Matthieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature (SM, minoritaire), après l'avis favorable à la promotion de Jean-Claude Marin rendu par le CSM.

 

Matthieu Bonduelle Matthieu Bonduelle
Matthieu Bonduelle ajoutait ceci : « Je constate, comme tous les observateurs du monde judiciaire, que le procureur Jean-Claude Marin n'a jamais pris une décision embarrassante pour le pouvoir.»

L'intéressé s'agace de ces critiques. « Je ne sais pas quelles sont les décisions que j'aurais prises qui auraient plu au pouvoir », répond le procureur. « Je prends toujours mes responsabilités, et je me détermine moi-même. J'ajoute, en passant, que beaucoup de gens du Syndicat de la magistrature m'ont adressé des petits mots très sympathiques après ma nomination... »

Pourtant, constate le bureau du SM, à quelques mois de l'élection présidentielle c'est bien un magistrat proche du pouvoir qui vient d'être nommé au sommet du parquet.

Comment Nicolas Sarkozy et sa garde rapprochée pourraient-ils ne pas attendre de ce haut magistrat – au moins implicitement – qu'il veille sur les affaires sensibles, et qu'il donne son point de vue sur les nominations dans la hiérarchie ? Le procureur général près la Cour de cassation préside en effet la « formation parquet » du CSM, qui donne son avis sur les nominations des procureurs.

« Sur tous ces sujets, on n'a aucune raison d'être optimiste au vu de son parcours », lâche-t-on au Syndicat. Prototype du procureur inféodé au pouvoir exécutif, aux yeux de la gauche judiciaire au moins, Jean-Claude Marin est régulièrement éreinté par le SM (lire ici).

 

Une carrière marquée du sceau des « affaires »

L'accession de Jean-Claude Marin (62 ans depuis le 7 août) au sommet de la pyramide « parquetière » est l'aboutissement logique d'une carrière de hiérarque efficace et prudent. C'est aussi le résultat d'une ambition tendue tout entière vers cet objectif. C'est « un apparatchik », lâchent les mauvaises langues. Un « procureur malin », selon d'autres. Il est vrai que la course aux postes, à l'avancement et aux médailles peut tourner à l'obsession dans le petit monde des magistrats.

Fin juriste, faisant preuve d'un réel sens politique, c'est-à-dire sachant tenir compte des rapports de force, Jean-Claude Marin arrive toujours à habiller ses décisions sous un raisonnement juridique très élaboré. Attentif aux élus et aux acteurs économiques, soucieux de son image dans la presse, l'homme sait également se montrer courtois, et non dénué d'humour.

Jean-Claude Marin a débuté sa carrière en 1977, comme substitut au tribunal de Pontoise (Val-d'Oise), où il va passer huit ans, et se lier d'amitiés avec des magistrats plutôt marqués à droite, comme Alain Marsaud. On parle alors de la « bande de Pontoise ». Depuis lors, Jean-Claude Marin a été décrit comme un homme de réseaux, proche du RPR et des francs-maçons notamment. Il dément poliment.

Aujourd'hui, on sait au moins qu'il fait partie d'un « club des fines gueules » dont les agapes réunissent, outre Alain Marsaud (ancien magistrat devenu député RPR puis pantoufleur dans le privé), Michel Charasse (sénateur ex-PS), Jean Miot (homme de presse), Philippe Briand (député UMP) et Jean-Pierre Bechter (élu UMP et homme de confiance de Serge Dassault) (lire ici l'article de L'Express).

« Et alors, c'est assez œcuménique, non ? Nous déjeunons une fois par an, et on paye l'addition à tour de rôle », répond Jean-Claude Marin sur un ton amusé.

« C'est quelqu'un qui a compris l'intérêt des dîners en ville », témoigne un homme du sérail. Pour autant, le procureur Marin se défend d'avoir jamais appartenu à un parti, un syndicat ou une obédience. Il a, en outre, su éviter le mélange des genres trop voyant, comme la fréquentation de grands patrons et d'avocats d'affaires qui a discrédité son collègue de Nanterre, Philippe Courroye, avant même l'affaire Bettencourt (lire ici).

Linéaire, l'ascension de Jean-Claude Marin s'est construite sur sa spécialisation en matière économique et financière. « Avant les années 1990, l'“éco-fi” était considérée comme une matière ingrate, qui n'était pas à la mode. Lui s'y est investi jusqu'à devenir incontournable », témoigne un collègue de la même génération.

A partir de 1988, Jean-Claude Marin s'est fait la main à la section financière du parquet de Paris, qu'il a dirigée à une époque où les dossiers politico-financiers fleurissaient. C'était l'âge d'or des « affaires ». Jean-Claude Marin ne rechignait alors pas à porter le fer contre des hommes ayant servi François Mitterrand, comme Samir Traboulsi, Max Théret, ou encore Bernard Tapie (voir ici une interview télévisée de M. Marin sur le site de l'INA).

Il est ensuite devenu l'incontournable procureur adjoint chargé de la division économique et financière du parquet de Paris, participant notamment à la création du pôle financier de la rue des Italiens, inauguré en 1999 sur fond d'affaire Elf. Il y a défendu le travail de l'emblématique juge d'instruction Eva Joly. Une autre époque.

 

Le crépuscule des juges

Un premier tournant se produit à l'aube des années 2000 avec les affaires DSK/Mnef et Robert Hue/Gifco : deux fiascos judiciaires qui vont sonner l'hallali des juges d'instruction, et préfigurer une raréfaction progressive des « affaires », phénomène dans lequel Jean-Claude Marin va jouer un rôle déterminant. Surtout après la réélection de Jacques Chirac en 2002.

Après un crochet par la Cour de cassation, puis une promotion Place Vendôme, comme directeur des affaires criminelles et des grâces (sous Dominique Perben), Jean-Claude Marin devient procureur de la République de Paris en 2004, un an avant la présidentielle. Il occupe un poste stratégique, où l'on avance chaque jour sur un champ de mines, mais où affluent les affaires croustillantes, les occasions de se faire un nom dans les médias, ou de se faire bien voir du pouvoir en gardant certains secrets.

Si l'on veut éteindre le feu des affaires, il faut toutefois veiller à respecter certaines formes. Nommé procureur de Paris en 1995, Gabriel Bestard avait décidé de classer sans suite plusieurs affaires gênantes (l'appartement du fils Juppé et celui du fils Tiberi, notamment) (lire ici) en l'espace de quelques heures à peine, gagnant du même coup le surnom peu flatteur de « Monsieur classement ».

Ses successeurs ont retenu la leçon. Sous la gauche, Jean-Pierre Dintillac avait, au contraire, pour pratique d'ouvrir des informations judiciaires et de confier les dossiers aux juges d'instruction. Jean-Claude Marin, à la suite d'Yves Bot, trouvera une autre voie.

Tacticien hors pair, assez bon communicant, Jean-Claude Marin a réussi à se maintenir près de sept ans au poste périlleux de procureur à Paris, un record de longévité. De fait, il est maintenant considéré comme un procureur très fiable par le pouvoir en place, après quelques grincements dus à sa réputation de chiraquien.

« Il est puissant avec les faibles, et faible avec les puissants », sifflent ses contempteurs. Au Palais de justice de Paris, les comparutions immédiates, les réquisitions de mandats de dépôt et de peines planchers pleuvent dru pour les petits délinquants, comme le veut la politique sécuritaire du moment. En revanche, des avocats d'affaires et leurs éminents clients apprécient le doigté et la discrétion du procureur Marin. Même si beaucoup d'autres, moins en vue, qu'ils soient plaignants, avocats, policiers ou magistrats, moquent durement la mansuétude dont il fait preuve pour le seul establishment.

Il est vrai que le procureur s'est souvent montré très précautionneux dans les dossiers sensibles. Les affaires Jacques Chirac, Jean Tiberi, Jacques Dominati, Christian Poncelet, notamment. Virtuose de la procédure, Jean-Claude Marin a réussi à faire traîner en longueur certaines enquêtes préliminaires pourtant menaçantes (affaires visant l'ex-président du Sénat, Christian Poncelet, billets d'avion offerts aux époux Chirac par la compagnie Euralair...) avant de finir par les classer sans suite.

La chronique judiciaire retient aussi que le parquet du procureur Marin a attendu plus qu'il n'était nécessaire pour rédiger certains réquisitoires dans des affaires sensibles (faux électeurs du Ve arrondissement de Paris, notamment). Sans oublier la fameuse raison d'Etat régulièrement opposée aux plaignants dans les dossiers très lourds comme Karachi, Tibhirine, ou les « biens mal acquis ».

Autant de critiques que Jean-Claude Marin réfute point par point. Chacune de ces décisions controversées peut donner lieu à un petit cours de droit de sa part. Exemple : « On a dit n'importe quoi sur l'affaire des biens mal acquis », assure-t-il. « Les médias oublient simplement qu'il existe des règles sur l'immunité des chefs d'Etat, et que cela interdit toute poursuite contre eux », entend-il rappeler. Un argument qui ne convainc pas les associations Sherpa et Transparence international.

En d'autres occasions, celles qui font les affaires de l'exécutif, le procureur Marin prend beaucoup moins de gants, comme l'a montré le dossier de Tarnac, où il a soutenu des qualifications pénales visant des faits de terrorisme qui laissent plus d'un juriste dubitatif (voir ici la vidéo de sa conférence de presse sur l'affaire Tarnac).

  

La volte-face de l’affaire Clearstream

Autre procès qui lui est intenté : Jean-Claude Marin a défendu les juges d'instruction lorsqu'ils étaient à la mode, avant de devenir l'un de leurs adversaires les plus déterminés. Pesant soigneusement chaque mot, le procureur affecte de distinguer les bons juges d'instruction de ceux qui laisseraient leurs dossiers traîner plusieurs années, et parfois se conclure par une relaxe à l'audience, synonyme de gâchis et de polémique. Lui entend gérer les dossiers en privilégiant rigueur et efficacité, explique-t-il.

Toujours est-il que, sous sa houlette, le parquet de Paris a été précurseur, ces dernières années, dans la politique pénale consistant à multiplier les enquêtes préliminaires. Ces enquêtes sont secrètes et discrétionnaires, et restent soumises au bon vouloir du procureur. Un choix qui offre le double avantage de limiter les fuites vers les médias (les parties n'ont pas accès au dossier), et d'assécher les cabinets de ces juges d'instruction qui ont le grand tort d'être entièrement indépendants, voire incontrôlables.

Une fois le robinet fermé, les juges deviennent progressivement inutiles. La moindre de leurs erreurs est d'ailleurs montée en épingle, le paroxysme étant atteint avec l'affaire d'Outreau, naufrage collectif de l'institution judiciaire qui a servi de prétexte à Nicolas Sarkozy pour demander la suppression pure et simple de la fonction de juge d'instruction. Une annonce non suivie d'effet, la tâche étant considérable.

Cette politique-là, Jean-Claude Marin l'assume sans complexe. Il soutient fermement que l'on peut se passer de juges d'instruction si le parquet monte en puissance, avec l'avantage de travailler en équipe (lire ici son entretien à Mediapart). L'indépendance d'esprit revendiquée importe moins que l'indépendance manifestée dans les actes, lui a répondu de façon cinglante l'avocat général Philippe Bilger sur son blog (lire ici).

Marin, indépendant? « Il a été balladurien sous Balladur, chiraquien sous Chirac, et sarkozyste sous Sarkozy », raillent les mauvais esprits du Palais. En tout cas, Jean-Claude Marin n'a jamais été proche de Nicolas Sarkozy, à la différence d'Yves Bot ou de Philippe Courroye, deux hommes successivement nommés à Nanterre, dans le fief des Hauts-de-Seine, auxquels le président de la République a manifesté publiquement sa sympathie.

Après 2007, et malgré sa réputation chiraquienne, d'habiles contorsions en subtils louvoiements, Jean-Claude Marin a réussi à devenir sarko-compatible. L'exemple le plus frappant de cette mue est fourni par le réquisitoire contre Dominique de Villepin. Alors que le procureur avait longtemps dit et répété qu'il n'y avait rien contre l'ex-Premier ministre dans le dossier Clearstream, il a fini par changer d'avis et a demandé sa condamnation (lire ici).

Une pirouette procédurale qui constituait également un signal politique, et a « montré symboliquement que Sarkozy pouvait compter sur lui. Mais il a dû y avoir beaucoup d'autres signaux plus discrets », décrypte un connaisseur.

Jean-Claude Marin, lui, se défend vaillamment d'avoir vendu son âme au diable. Il l'assure, c'est lui qui a décidé de partir en vacances dans sa maison du Quercy avec l'épais dossier Clearstream, pour le lire tout entier et se forger son opinion, en son âme et conscience. Il n'aurait reçu aucune pression. C'est ensuite dans un souci de cohérence, et pour prendre ses responsabilités, explique-t-il, qu'il a choisi de venir soutenir lui-même ses réquisitions à l'audience. Le récit laisse Villepin et ses avocats de marbre.

L'affaire Julien Dray, avec une gestion « spécial VIP » de l'enquête préliminaire, qui a paru subir les aléas du vent politique – d'abord menaçante, puis finalement classée par le procureur avec un simple rappel à la loi –, a également suscité des critiques. Il y fait face.

Courtois, Jean-Claude Marin prend toujours soin d'écouter attentivement ses interlocuteurs, et de se concerter avec ses adjoints lors de réunions à l'ambiance plutôt cordiale. C'est lui qui décide in fine, mais les apparences sont sauves. Le procureur prend également soin de ne pas trop placardiser les magistrats qui ont le cœur à gauche, ce que certains lui reconnaissent bien volontiers.

Il n'en demeure pas moins un redoutable manœuvrier et un fin politique, qui excelle à trouver le raisonnement juridique et l'argument de droit qui conviennent aux circonstances du moment. D'où une flopée de plaisanteries plus ou moins fines qui parcourent le petit monde judiciaire, sur le compte de ce procureur « insubmersible », « sous-marin de la droite », « qui a le sens du vent » et « le pied marin ».

La promotion de Jean-Claude Marin ouvre, par ailleurs, une grande partie de chaises musicales dans la haute magistrature, dont l'enjeu principal – pour le pouvoir – est de contrôler les affaires sensibles, en nommant des hommes sûrs aux postes stratégiques dont celui de procureur à Paris (lire ici).

Parvenu au sommet du parquet, Jean-Claude Marin se sait évidemment observé. Face aux critiques et aux soupçons, il se refuse à entrer dans le jeu des petites phrases. Lui demande-t-on s'il sera le procureur général du pouvoir ? Il répond ceci : « Je serai le procureur général de la Cour de cassation, c'est déjà beaucoup. »

 

 

 

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