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15 août 2011

Aubry et Hollande se disputent Delors. Oui mais pourquoi ?

Philippe Cohen - Marianne | Lundi 15 Août 2011 à 05:01

 

Pour riposter à la réunion avec des économistes convoquée par François Hollande, Martine Aubry a invité son père Jacques Delors à une cellule de veille de la crise. La danse du ventre autour de l'héritage Delors ne semble pas un signe de bonne santé politique à Philippe Cohen.

 


Qui est le véritable héritier de la maison Delors ? Sa fille Martine, qui, après avoir souhaité marquer sa différence avec un père hésitant à se porter candidat en 1995, souhaite désormais bénéficier de son aura supposée en l'invitant à participer à la cellule de crise (1) qu'elle a convoquée pour la fin du mois ? Ou bien son rival François Hollande qui ne manque jamais une occasion de rappeler qu'il fut le président des Clubs Témoins, principal réseau de Jacques Delors dans les années 1990 ?
 
Qu'importe. Cet empressement à engranger cette filiation politique montre surtout à quel point les deux prétendants semblent mécomprendre la nature de la crise et le contexte politique dans lequel se situe leur campagne. Première remarque, le nom de Jacques Delors n'évoque pas grand chose aux moins de trente cinq ans si ce n'est quelques lignes dans leur livres d'histoire. Quant aux plus vieux, il faut qu'ils aient la mémoire courte ou une singulière mauvaise foi pour que le nom de Jacques Delors évoque quelque chose de glorieux.

Les évènements récents ne viennent-ils pas de démontrer la fragilité de l'édifice européen, une monnaie sans état ni direction politique ? La crise de la dette publique n'est-elle pas, d'abord, celle de l'incapacité des dirigeants européens à faire accepter à leurs administrés qu'ils ont un destin commun qui les rend solidaires ? Le projet européen s'est brisé sur le concept germanique des PIG'S, (Portugal, Irlande, Grèce et Espagne) stigmatisation vulgaire de peuples supposés trop différents (voire « fainéants ») pour mériter la compassion des « winners » de l'Union que seraient les Allemands et les Hollandais.

N'oublions pas, d'ailleurs, que Jacques Delors a toujours été l'homme de toutes les compromissions avec l'Allemagne qu'il considérait, et ses épigones également, comme un modèle pour la France, sans prendre en compte les différences entre les deux pays, et notamment celle de la démographie qui oblige la France à une politique plus expansionniste (et à des dépenses publiques plus lourdes) pour donner du travail à ses jeunes.

Certes, sitôt rendu son tablier de la Commission européenne, Jacques Delors s'est livré à une critique sévère de l'Union européenne, comme s'il tenait absolument à démontrer que cela fonctionnait bien mieux sous son magistère. Une critique surtout ronchonne, et souvent confuse, à égale distance des fédéralistes, qui ont au moins une certaines cohérence, et des partisans d'une Europe des nations, qui en ont une autre.

Publié voici moins d'un mois, son texte Une vision  claire portait mal son titre tant son contenu refusait de trancher entre différents impératifs; la « ligne Delors » consiste à la fois à garantir les dépôts de particuliers (mais qui menace de les spolier ?), à léser les banques dont le métier est de prendre des risques (mais pas trop), à orienter les politiques économiques vers le retour à l'équilibre budgétaire (mais pas trop vite), et à confier au Fonds de stabilisation européen le soin de refinancer les états défaillants.

Cette dernière suggestion serait peut-être utile si ledit fonds était en capacité de le faire. Mais, plafonné à 450 milliards d'euros et à 250 milliards à court terme, ses moyens sont très insuffisants en regard d'une dette des nations européennes qui dépasse 8 000 milliards d'euros (eh oui : 2 000 pour l'Allemagne, 1600 pour la France, 1800 pour l'Italie, et ... 300 pour la Grèce).. Mieux vaudrait sans doute, à ce niveau, que Jacques Delors se rapproche de son ex-ami Jean-Claude Trichet : seule la Banque centrale européenne dispose de moyens susceptibles d'impressionner les spéculateurs tentés d'investir à la baisse sur les dettes nationales. On devine pourquoi cette idée judicieuse, défendue aujourd'hui par Jean-Pierre Chevènement dans une indifférence générale, ne l'est pas par Jacques Delors : c'est lui-même qui, en rédigeant le projet de Traité de Maastricht, avait, à la demande des Allemands, interdit à ladite BCE de soutenir des pays européens par l'achat de titres d'emprunts nationaux. Entre temps, la BCE a été contrainte de violer le Traité pour faire face à la crise des dettes publiques. Une fois le tabou transgressé, dit en substance Chevènement, pourquoi ne pas aller jusqu'où bout et doter l'Europe de véritables moyens de contrer la finance spéculative ?

Miser sur le parrainage de Jacques Delors face à la crise  est un pari qui manifeste davantage de fidélité que de créativité. Nul doute que le président voit se profiler la campagne présidentielle avec une confiance accrue : tandis que lui sera dans l'action, ses challengers semblent scotchés à un passé qui n'est reluisant que dans leur mémoire. Ils ont laissé Nicolas Sarkozy leur voler Jaurès en 2007, et ils se disputent Mitterrand et Delors en 2011. Ils n'ont pas fini de désespérer leurs électeurs.

Ladite cellule est présidée par Daniel Cohen. Dont on se souvient les prévisions de prospérité avant la crise de 2008 (le même genre de prédiction vaut à son collègue Elie Cohen d'être au JT à chaque crise) et surtout le credo des années 1990 sur « l'économie du savoir et des services » qui a, hélas, convaincu les élites française de laisser fuir l'industrie, dans le même temps qu'il se mettait au service de la Banque Lazard, entre autres pour conseiller la Grèce. Magnifique parcours....
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