Stéphane Hessel appelle à porter Lula à la tête de l'ONU
pour Le Monde.fr | 28.09.11 | 10h26 • Mis à jour le 28.09.11 | 12h04
Correspondant, New-York - "Il paraît qu'il y avait deux pleines pages sur le livre dans Le Monde. Pas trop mauvaises, j'espère"… Deviendrait-il un peu cabot ? Stéphane Hessel était, mardi 27 septembre, en soirée, l'hôte de la Maison française de l'université de Columbia, venu honorer la sortie de son opuscule aux Etats-Unis, traduit sous le titre Le temps de l'indignation.
A peine descendu d'avion, comme insensible au décalage horaire, il est frais comme un gardon. Le verbe haut, l'anglais solide, le clin d'œil appuyé à chacune de ses observations ironiques, il est là pour répondre aux questions de Nikil Saval, le rédacteur en chef du trimestriel intellectuel hyperbranché n+1. L'avant-veille, la police new-yorkaise est intervenue brutalement contre quelques centaines d'"indignés" américains qui entendent "Occuper Wall Street" – c'est le nom de leur mouvement –, mais campaient jusque-là pacifiquement dans un square des alentours.
Quelques centaines, cela semble bien peu, comparé aux manifestations et aux mobilisations récentes en Grèce, en Espagne ou en France, notent la plupart des fans conquis d'avance. Tous semblent obnubilés par cette interrogation existentielle qui reviendra à plusieurs reprises dans la bouche du modérateur ou du public : comment explique-t-il que, dans une détérioration si dévastatrice des conditions de vie qui affectent tant d'entre eux, les Américains modernes s'indignent si peu, comparés aux Européens ? Hessel regrette que Barack Obama, après avoir fait lever tant d'espoir, n'ait finalement "pas été au bout" de ses engagements. "Il n'a pas cherché à mobiliser l'opinion pour surmonter les obstacles qu'il n'a pas pu résoudre par la négociation. L'audace de l'espoir, ce n'est pas le consensus." Applaudissements nourris.
CHOISIR L'ÉCOLOGIE ET "RÉFORMER LES NATIONS UNIES !"
Sa hantise ? Que les jeunes, par désarroi ou dépit, se détournent de la politique. "La démocratie, c'est pousser à la fin des privilèges. Je crains que la jeune génération ne croie plus qu'on puisse y aboutir par des élections." Une telle évolution serait, selon lui, "très dangereuse". Hessel admet que le monde est aujourd'hui plus complexe qu'il n'apparaissait il y a presque soixante-dix ans aux idéalistes sortis de la lutte victorieuse contre le nazisme. Les jeunes ont désormais plus de mal à se projeter vers des "buts bien identifiés". Lorsque, avec d'autres, il a participé à la rédaction de la Charte des droits de l'homme des Nations unies, y inclure la santé, l'éducation, était apparu comme une évidence aussi impérative que la liberté. En fait, si l'on ne veut ni tourner le dos à l'action politique ni récuser les institutions, que reste-t-il ? Choisir l'écologie et "réformer les Nations unies ! Car l'ONU a failli dans ses deux missions : apporter la paix et protéger les droits de l'homme." Quant à l'homme qui saurait restaurer son aura et ses principes : Ban Ki-moon, dit-il, n'est pas un mauvais diplomate, mais pour la "vision", il repassera. Non, un seul homme pourrait mener à bien cette tâche titanesque : l'ex-président brésilien Lula !
Effet garanti : la salle applaudit à tout rompre. On est à New York, très loin de Washington et du département d'Etat.
Sylvain Cypel