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18 octobre 2011

Qui se cache derrière François Hollande?

Sur l'EXPRESS

Par Élise Karlin, publié le 18/10/2011 à 15:16, mis à jour à 15:38

Il vient d'être désigné candidat du PS à la présidentielle. François Hollande est un homme beaucoup moins simple qu'il n'y paraît. Proche des gens, et pourtant très solitaire. Portrait intime.

Un hiver comme celui-là, aucun homme ne peut souhaiter le vivre une seconde fois. Décembre 2006. Dans son bureau de Solferino, François Hollande est en quête de lui-même. La politique? Un mois plus tôt, Ségolène Royal a été plébiscitée par les militants socialistes pour les représenter à l'élection présidentielle. Portée par une incroyable ferveur, la victoire dès le premier tour de la candidate du PS a mis un point final aux velléités du premier secrétaire, longtemps persuadé pourtant qu'un front commun aurait pu stopper la résistible ascension de sa compagne. Le voilà condamné, au nom du parti, à mettre la machine au service d'une femme dont il sait le mépris pour l'appareil, aussi profond que sa volonté de s'en affranchir. Lui, le patron, le chef, le premier d'entre eux, n'est plus qu'un pion sur l'échiquier, un soutier, un obligé.

 

La vie privée? A la veille de Noël, les aléas d'une histoire compliquée l'ont séparé de sa famille, de ses enfants - "Je suis seule à crever, et je sais où vous êtes", murmurait Françoise Hardy dans son Message personnel. Entre deux histoires, entre deux amours, entre deux foyers, il lui reste sa mère, présence indéfectible, et ses yeux pour pleurer. Dans le décor sans joie de ce grand bureau froid lui vient la certitude, viscérale, brutale, que de cette extrême solitude il lui faut faire une clef, qu'il lui faut chercher au plus profond de soi la force de continuer - de tout recommencer. L'hiver 2006 est l'une des dates charnières du destin de François Hollande. "Dès lors qu'on n'est pas mort, on est fort", dira-t-il, cinq ans plus tard, devant les caméras de Canal+. L'homme qui vient d'emporter les suffrages du peuple de gauche est un survivant de son propre naufrage. Increvable. Insubmersible.

 

Etrange personnage que ce quinquagénaire à l'éternel sourire, sympathique et chaleureux. Il tutoie facilement, manifeste volontiers de l'empathie - pas le genre à se monter le col et à pointer la distance de sécurité. Un banquet républicain? Il fait le tour de toutes les tables, salue un à un les 200 convives. Un meeting, une réunion publique ? Il peut perdre de longues minutes à papoter, au pied de la tribune. Il est simple d'abord, direct, disponible, d'humeur égale, loin de l'image du politicien dont la morgue, souvent, éloigne le passant. Rien de mondain ni de compassé chez ce député. Avec les journalistes, Hollande est encore en terrain connu. Non seulement il s'intéresse à leur travail, mais encore prend-il plaisir à passer du temps avec eux, à les regarder fonctionner, à comprendre leur façon de penser. Il aime plaisanter, il ne rechigne pas à perdre du temps. Il aime le contact. Il aime les gens. "Ce que j'apprécie chez François, résume son vieux camarade Michel Sapin, c'est qu'il est exactement ce qu'il a l'air d'être. Ce n'est pas un type colérique qui se dissimule derrière un visage avenant."

 

Malgré sa pudeur, sa vie familiale est exposée

Et pourtant. "Jamais vu un type si sympa. En une heure, vous êtes son pote, résume un élu dont il a été proche. Il vous emballe l'affaire avec une stupéfiante dextérité. Vraiment, vous y croyez dur comme fer. Jusqu'au moment où vous vous rendez compte qu'il faut prendre ce qu'il vous donne, mais qu'il ne faut jamais rien attendre de lui. Si vous êtes en demande, tout à coup, il n'y a plus personne! Disparu, le François! Je pense qu'on peut compter sur les doigts d'une main - et encore! - les gens qui valent, à ses yeux, qu'il dévie du chemin qu'il s'est tracé."

 

Il y a les amis d'une heure et les amis d'une vie. Même ceux-là n'échappent pas à la règle : la politique avant les sentiments. Quand Jean-Pierre Jouyet, son "copain de chambrée" de l'école d'officiers de Coëtquidan et camarade de l'ENA, a accepté la proposition de Nicolas Sarkozy d'être secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, François Hollande a eu du mal à cacher son chagrin. Mais il a aussitôt rompu le contact, et les deux hommes ne se sont plus croisés tant qu'a duré l'aventure de l'ouverture. De la même manière, il a perdu le lien avec un proche qui enterrait sa mère et comptait sur sa présence. Mais il n'a pas su voler à son agenda surchargé la demi-journée qui lui aurait permis d'assister à l'enterrement. Il lui est même arrivé, lorsqu'il dirigeait le PS, d'oublier la soirée d'anniversaire de l'un de ses fils et d'aller parler de son engagement à la tête du parti sur une radio du service public, à la grande fureur de Ségolène Royal !

 

Seuls ses enfants, les deux filles et les deux garçons qu'il a eus avec sa première compagne, demeurent malgré tout le point tendre de l'armure, la faille dans cette carapace qui le protège depuis longtemps, quoiqu'il en ait perdu les rondeurs. Toutes ces années, il a transporté sa tribu dans l'espace familial, jonché des miettes de gâteau du goûter. En vacances, du temps des étés à Mougins, il joue les taxis, le cours de tennis de l'un, la leçon de natation de l'autre, toujours le premier à taper dans le ballon pour faire dribbler une ribambelle de gosses. Il est l'âme de ces heures d'insouciance, le coeur de cette pagaille organisée. Plus tard, comme beaucoup de parents séparés, il doit vivre avec la souffrance des enfants, leur colère face à des choix d'adultes, il doit répondre aux accusations de trahisons et aux fureurs d'adolescents. De cette blessure profonde jamais il ne dit un mot - interrogé, il y a quelques mois, sur l'engagement de sa progéniture dans la primaire, il expliquera juste pourquoi il ne souhaitait pas impliquer tel ou tel, soucieux de leur éviter de se trouver en porte-à-faux avec leur mère.

 

De manière assez paradoxale, l'intimité de cet homme si pudique, si secret, dont on sait à peine qu'il ne s'est jamais entendu avec un père autoritaire et qu'il a un frère aîné, est, depuis trente ans, l'une des plus exposées. En 1988, c'est en couple qu'il entre et qu'il s'affiche devant l'Assemblée nationale. A deux reprises, en mai 2001 et en décembre 2004, il pose en famille pour Paris Match. En 2007, leur séparation est une donnée politique à part entière dans la campagne présidentielle. Cette année, c'est encore une grille de lecture privée qui a sous-tendu la campagne de la primaire, dans l'affrontement d'un homme avec son ex-compagne. Et le ralliement de Ségolène Royal à François Hollande est un soulagement personnel aussi important qu'une victoire politique : une ligne de front s'est éteinte. "Ne vous y trompez pas, insiste l'un de ses fidèles, si François l'emporte en 2012 contre Nicolas Sarkozy, il faudra se souvenir du 12 octobre. Parce qu'à partir de ce jour-là c'est un homme public totalement serein dans sa vie privée qui a pris le chemin de la guerre."

 

D'autant que, en artiste du compromis, Hollande est passé maître dans l'esquive des conflits. Tous ceux qui le pratiquent le savent : c'est au ton de son "oui" qu'on peut entendre un "non", jamais prononcé clairement. "Un formidable professionnel de l'embobinage, un spécialiste de l'entourloupe, s'amuse un ancien membre de la direction du PS. Pas de cri, pas de colère, pas de drame - jamais de problèmes, que des solutions !" S'il compte tant d'ennemis dans le parti, c'est d'ailleurs à cause de ce qu'il n'a pas fait, bien plus qu'à cause de ce qu'il a fait : les coups de téléphone qu'il n'a pas passés, le coup de pouce qu'il n'a pas donné, les engagements qu'il n'a pas honorés, les mots qu'il n'a pas prononcés. Hollande ? Un "roublard madré", écrit sur son blog, en septembre dernier, l'ancien socialiste Jean-Luc Mélenchon, qui l'a beaucoup pratiqué. Madré : inventif et retors sous des dehors bonhommes. Le grand prix de camaraderie, et le premier à vous laisser tomber ! "Ce qui est exact, dit l'un de ses amis, c'est que François déteste se laisser coincer. S'il a le sentiment d'être enfermé, il commence à creuser pour sortir."

 

Ce refus d'aucune entrave, Hollande l'a théorisé jusque dans sa chair. Son poids, excessif, l'isolait dans la caricature du notable, rond de corps et d'esprit. Il a changé de peau, perdu des kilos. Il a pris ses marques dans l'anatomie d'un autre homme. Il a achevé sa mue, qui témoigne autant de sa ténacité que de sa volonté d'engager le combat. Au point d'en être obnubilé, quitte à monter chaque matin sur la balance. Un vrai réflexe d'anorexique, tout entier concentré sur le contrôle de son désir - "Ça va beaucoup mieux, j'ai arrêté de me peser !" confiait-il devant une salade, comme on se moque de ses propres lubies, à quelques journalistes, en avril dernier. Sa liberté, c'est aussi son scooter : "Avec ses aspirines, c'est à peu près le seul truc auquel il tienne vraiment, ironise un proche. François est un type qu'il ne sert à rien d'essayer d'accrocher, il vous filera toujours entre les doigts."

 

Solitaire par essence, blindé par expérience

Même lorsqu'il est touché par un propos blessant, le masque ne tombe pas. Et elles n'ont jamais manqué, les méchantes langues ! De "Flamby" à "Culbuto" en passant par "Monsieur petites blagues" et "la fraise des bois", jusqu'au cri du coeur d'Arnaud Montebourg, au printemps 2007 ("Le plus gros défaut de Ségolène Royal ? Son compagnon !"), ou, tout récemment, celui de Laurent Fabius ("Hollande président ? On rêve !"), l'ex-premier secrétaire a fait l'édredon. D'un mot, parfois, plus tard, lorsque l'agacement est passé, il botte en touche. Il y a quelques années, il a reproché à une journaliste, plusieurs semaines après son papier, d'avoir fait une allusion physique qu'il jugeait déplacée. Mais la plupart du temps, il se tait. Au fond, tout ça lui est un peu égal - François Hollande est un animal à sang-froid. La politique, chez lui, ne cède plus un pouce à l'affect. Solitaire par essence, blindé par expérience, il dissimule au plus profond tous ses anciens désarrois, les traces de ses tourments d'enfant, "Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits/Qui compriment le coeur comme un papier qu'on froisse", chères à Baudelaire. Malgré les apparences, lui ne fendra jamais l'armure.

 

 

 

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