Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Visiteurs
Depuis la création 1 378 927
Newsletter
21 octobre 2011

Jeunesse et milieux populaires, grands absents de la primaire

4 commentaires

Par JULIEN AUDEMARD Doctorant en sciences politiques, université de Montpellier-I, DAVID GOUARD Doctorant en sciences politiques, université de Montpellier-I

Des électeurs à Paris, au deuxième tour de la primaire. (Photo Julien Mignot. Eté 80)
 

A bien des égards, la primaire socialiste constitue un événement politique majeur. Il s’agissait d’une première dans la vie politique française, où demeure encore une réticence à l’idée de confier à d’autres qu’aux membres des bureaux nationaux ou aux militants la tâche de choisir les candidats à la magistrature suprême. Cette primaire élargie représentait donc un pari osé. La mobilisation électorale a montré que celui-ci a été réussi. Près de 3 millions de personnes se sont ainsi déplacées dans les bureaux de vote mis à leur disposition par le Parti socialiste. Certains soulignent que cette mobilisation n’a concerné en réalité qu’un peu plus de 6% du corps électoral français. D’un autre côté, la tentation est grande de brandir ce chiffre comme la preuve ultime du succès de l’opération, tant ce type de scrutin fait figure d’exception.

 

Un premier portrait de la base électorale

Ces résultats se prêtent donc à merveille à la spéculation quant à l’ampleur de la mobilisation suscitée par le PS. Reste à s’interroger sur la nature de cette mobilisation. D’un point de vue sociologique, cette élection s’apparente à un «laboratoire d’analyse» pour comprendre qui sont les électeurs de la primaire. L’événement offre ainsi l’occasion de dresser un premier portrait des bases électorales du Parti socialiste à six mois de l’élection présidentielle. Il était difficile de passer à côté de cette opportunité, notamment à Montpellier, une ville où le PS bénéficie d’un ancrage territorial fort depuis plus de trente ans. Les dimanches 9 et 16 octobre, nous étions donc placés à la sortie de deux bureaux de vote où nous avons distribué des questionnaires aux électeurs ayant déposé leur bulletin dans l’urne. Ces deux bureaux, situés dans des quartiers à forte mixité sociale (Assas et Croix-d’Argent), comptent traditionnellement parmi ceux où la participation électorale est la plus élevée dans la ville et où le vote socialiste est le plus important. Les résultats du premier tour n’ont pas démenti ces régularités. Le scrutin y a enregistré des taux de participation très élevés (en moyenne 12,5% sur les deux tours), bien au-dessus de la moyenne nationale, mais également au-dessus du taux montpelliérain, déjà très important (10% environ). Ces deux bureaux, au-delà du contexte local, apparaissent donc comme les témoins d’une mobilisation portée avant tout par les principales villes françaises de gauche.Les résultats que nous avons obtenus sont d’autant plus généralisables que les taux de participation à notre enquête sur ces deux bureaux sont très élevés, puisqu’ils atteignent en moyenne 75%.

 

Une population à l'écart des scrutins

L’analyse des électorats de ces deux bureaux montre qu’en dépit d’une mobilisation somme toute importante, certaines franges de la population sont restées à l’écart des scrutins. En un sens, cette primaire ne fait que confirmer les logiques censitaires à l’œuvre pour la majorité des élections depuis près de trente ans. Au bureau de vote de l’école maternelle Mozart, la participation a essentiellement été le fait des populations les plus diplômées. Au premier tour, 75% des votants étaient diplômés de l’enseignement supérieur et 70% occupaient un poste de cadre ou de profession intermédiaire. Pourtant, un tiers de l’espace couvert par ce bureau de vote est composé d’habitats sociaux et de milieux populaires. Ces derniers ont donc été largement absents des urnes. Au bureau Aliénor-d’Aquitaine, dans le quartier de la Croix-d’Argent, les ouvriers et les employés ont rassemblé à peine 20% des bulletins. Au second tour, ces taux n’ont été modifiés qu’à la marge. La cartographie de la participation électorale à Montpellier confirme à quel point la mobilisation a pu être inégale selon les milieux sociaux. Ainsi, le 9 octobre, dans les trois bureaux de vote d’un quartier de grands ensembles comme la Paillade les taux de participation ont été trois fois moins importants que dans nos bureaux de vote témoins.

Le fait que cet écart se soit réduit au second tour ne change rien à la prégnance du phénomène. Les milieux populaires ne sont pas les seuls à s’être faiblement mobilisés pour cette primaire. Il en va de même pour les jeunes. Dans les deux bureaux que nous avons étudiés, la proportion de votants de 18-25 ans était deux fois moins importante que ce qu’elle représente sur les listes électorales. Pour les plus de 60 ans, au contraire, on a observé une sur-représentation. Dans ce contexte, l’électeur type est un cadre quinquagénaire. Il vote déjà régulièrement et traditionnellement en faveur de la gauche et du PS. Il ne faudrait donc pas se méprendre sur l’interprétation à donner aux résultats de cette primaire. Non seulement les 2,7 millions de votants ne sont bien entendu pas représentatifs de la population française, mais surtout ils ne sont pas représentatifs de ce que l’on dit être - mais de manière de plus en plus incertaine - l’électorat de gauche.

 

Le Parti socialiste semble négliger tout travail de terrain

Au vu de ce que montrent les enquêtes de sociologie électorale menées depuis une vingtaine d’années, on assiste à un déplacement du centre de gravité du noyau dur de la gauche socialiste vers les couches moyennes, intellectuelles et urbaines. La gauche, et le Parti socialiste en particulier, ne parvient guère à contrarier les effets induits des inégalités de politisation qui tiennent à l’écart des urnes les milieux les plus en retrait du champ politique. Plus qu’une sorte de fatalisme sociologique, faut-il y voir la marque d’un certain désintérêt du PS pour ces franges de l’électorat ? La thématique des quartiers populaires a en effet été largement absente de la campagne de la primaire. De même, depuis quelques années déjà, le Parti socialiste semble négliger tout travail de terrain auprès de ces mêmes milieux. Dans un contexte de crise économique, sociale et politique, c’est pourtant à ce prix que la gauche peut reconquérir les populations les plus en retrait de la vie politique. A cet égard, que le vote de dimanche ait consacré François Hollande plutôt que Martine Aubry importe finalement peu pour la mobilisation des électeurs les plus politisés, ceux-là même qui sont venus voter lors de cette primaire. En revanche, l’élection n’a absolument pas levé cette énigme pour les milieux populaires et les jeunes, même si le second tour a donné quelques motifs d’espoir pour la conquête de ces électorats décisifs. A tout juste six mois de l’élection présidentielle où, on le sait, ce sera infiniment plus de 6% du corps électoral français qui votera. C’est l’immense défi à relever pour le PS et ses alliés.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Derniers commentaires
Archives
Publicité