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23 octobre 2011

Crise de l'euro: pourquoi la France et l'Allemagne se querellent

 

Sur MEDIAPART

Un sommet menacé d'annulation mais qui se tiendra, malgré tout, dimanche, sans aboutir à la moindre conclusion; un second prévu mercredi en fin de journée, restreint aux seuls membres de la zone euro, et qui s'annonce lui aussi très incertain; une situation grecque devenue incontrôlable, qui se double désormais d'une crise politique et sociale; une rencontre entre l'Europe et la Chine, prévue de longue date mercredi en amont du sommet du G20, et annulée par Bruxelles in extremis, faute de pouvoir définir la ligne européenne sur l'euro; des gouvernements qui parlent dans tous les sens; Barack Obama, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy qui multiplient les réunions téléphoniques en se répétant que l'heure est grave... L'Europe nage dans la plus totale confusion. «L'impact à l'extérieur est désastreux» pour l'Union européenne, a reconnu vendredi Jean-Claude Juncker, le premier ministre luxembourgeois.

Au cœur de la discorde, le couple franco-allemand a envahi le devant de la scène, ravalant les autres pays européens au rang de spectateurs. Pendant des mois, Paris et Berlin avaient réussi à cacher les désaccords et leurs divergences de vue, en bâtissant des compromis laborieux et bancals. L'entente de façade qui a prévalu n'a pas tenu à l'épreuve de la réalité. Rien ne s'est réalisé comme prévu. Toutes les mesures se sont écroulées face à la déferlante de la crise financière. Le dispositif adopté lors du sommet européen du 21 juillet, qui était censé offrir enfin le cadre de stabilité financière que la zone euro recherche depuis le début de la crise grecque, est mort avant même d'avoir vu un début d'exécution. Devant ce constat d'échec, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel étalent leurs différends. Ils ne sont plus du tout d'accord sur ce qu'il convient de faire pour sauver la zone euro. Chacun a ses impératifs et son agenda. Retour sur cette querelle qui ébranle toute l'Europe.

  • La Grèce est-elle encore sauvable et à quel prix ?

Un an et demi après le déclenchement de la crise de la dette, la Grèce n'est plus que l'ombre d'elle-même. La potion choc de la «troïka» (Commission européenne, BCE et FMI), à base d'austérité massue, a produit des résultats catastrophiques. Le pays se trouve entraîné dans un cercle vicieux, qui pourrait emporter l'euro. A la récession (-4,5% attendus pour cette année) et au déficit public toujours gigantesque (8,5% du PIB) de la Grèce, s'ajoute désormais une crise politique profonde: le gouvernement socialiste au pouvoir semble plus que jamais coupé de sa population. Si l'on en croit les statistiques de l'agence Bloomberg, les

CDS sur les obligations gecques à cinq ans CDS sur les obligations gecques à cinq ans© bloomberg
CDS de la Grèce, ces titres utilisés comme garanties contre une faillite, valent aujourd'hui zéro. En clair: ce marché a disparu. Le pays est en état de mort clinique financière.

Rendu public vendredi par plusieurs journaux économiques, le rapport de la «troïka» sur l'état de la Grèce est un grand moment d'absurdité. Les experts européens dépêchés sur place pendant des semaines plaident pour le versement à Athènes, au plus vite, d'une sixième tranche d'aide, de 8 milliards d'euros (sur un total chiffré, en mai 2010, à 110 milliards). Ils reconnaissent que toutes les prévisions, de croissance, de rentrées fiscales, de réduction du déficit grâce au programme de privatisations, n'ont pas été tenues, et concluent... qu'il ne faut surtout pas changer de stratégie: «Les conditions d'un succès du programme d'ajustement économique restent les mêmes», lit-on dès la page 4 du rapport (ici).

«La dynamique de la dette, en Grèce, est extrêmement inquiétante», mettent en garde les experts qui, pour la première fois, reconnaissent aussi l'existence d'un «malaise social». Réunis vendredi soir à Bruxelles, les ministres des Finances de la zone euro ont donné leur feu vert au versement des huit milliards. Mais il manque encore l'avis du FMI... Preuve que les discussions sont extrêmement tendues, et les désaccords nombreux, ce rapport de la troïka n'a en effet pas été signé, c'est une première, par le Fonds monétaire international. Ce qui n'a pas manqué d'être interprété comme un signe de désaccord de l'institution de Christine Lagarde avec Bruxelles. Le FMI pourrait donc retarder encore un peu plus ce versement.  

Plus compliqué encore, le texte laisse entendre que le deuxième plan de sauvetage, celui du 21 juillet, pas encore appliqué, est déjà totalement périmé. Cet accord prévoyait une participation «volontaire» du secteur privé, à hauteur de 21%, pour alléger le fardeau grec. L'Allemagne militait pour que la restructuration de la dette grecque soit au moins portée à 50%, un montant finalement accepté vendredi soir par les créanciers privés. Un peu d'air pour Athènes, mais pas tant que cela. Selon les calculs d'UBS, une restructuration de 50% ne se traduirait que par un allégement réel de 21% pour le gouvernement grec. D'ailleurs, les Français n'en voulaient pas, préférant s'en tenir aux règles arrêtées au sommet du 21 juillet. Pour une raison simple: à 50%, on risque de fragiliser un peu plus les banques françaises, et de devoir les recapitaliser.

Dans un entretien vendredi au quotidien Bild, le patron de la Commerzbank, numéro deux bancaire en Allemagne, juge qu'il faudra que la Grèce fasse tout simplement défaut. Cette solution aurait, selon lui, le mérite d'éviter la contagion au reste de l'Europe.
     

    

Risques de contagion accrus

  • La contagion est-elle en train de s'étendre au reste de l'Europe?

Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Tandis que l'Europe a les yeux braqués sur la Grèce, les autres pays européens en crise sont en train de sombrer à leur tour. Le Portugal, qui a bénéficié d'une aide de 78 milliards d'euros au printemps, a avoué qu'il n'était pas dans les clous du plan d'austérité mis au point avec Bruxelles. Le scénario grec se répète mot pour mot. La récession a frappé, le chômage (13,5%) est plus élevé que prévu, les rentrées fiscales moins importantes qu'annoncé. Conséquence attendue: le déficit, qui devait atteindre 5,9% du PIB à la fin de l'année, est à 8,3%. De nouvelles mesures d'austérité ont été prises, passant par la suppression du 13e mois, la réduction des retraites au-dessus de 1.000 euros par mois, l'allongement de la durée du travail dans le secteur privé. Le gouvernement entend économiser 7,5 milliards de plus l'an prochain. Selon les prévisions, l'activité devrait chuter de 2,8% en 2012, après avoir diminué de 1,9%  cette année.

Sans le reconnaître ouvertement, les pays européens se préparent à un deuxième plan de sauvetage portugais. Mais le mal est aussi en train de gagner l'Espagne où, malgré les plans de rigueur, tous les indicateurs (activité, chômage, déficit) sont au rouge. L'ampleur de la crise risque encore de s'accentuer dans les semaines qui viennent: dans le cadre des mesures de rigueur, les allocations chômage ont été limitées à un an et il n'y a aucun filet de sécurité, du type du RSA, comme en France. Au fur et à mesure que les chômeurs vont arriver en fin de droits, la situation sociale risque de devenir périlleuse. Et les banques, elles, continuent à plonger au fur et à mesure qu'il leur faut faire face aux conséquences de la crise immobilière.

Les marchés ont repris leur spéculation, les uns la motivant par le dérapage des comptes publics, les autres par les craintes d'une récession.  Les taux espagnols ont commencé à retendre, tout comme les taux de l'Italie, qui sont repassés au-dessus des 6%. Mais dans ce cas, c'est la chute interminable du gouvernement Berlusconi et l'absence de toute mesure concrète de rigueur, en dépit des effets d'annonce, qui semblent alarmer les financiers. Chaque jour ou presque, de nouvelles dégradations interviennent sur les banques ou sur les deux Etats. La Banque centrale européenne a recommencé discrètement ses achats d'obligations espagnoles et italiennes. De son côté, la Commission européenne a haussé le ton vendredi à l'égard du gouvernement Berlusconi, en lui demandant de respecter ses engagements. «Nous attendons de l'Italie qu'elle réitère ce dimanche de façon claire ses projets d'assainissement budgétaire et de réformes structurelles», a déclaré le commissaire européen aux Affaires économiques Olli Rehn.

  • La France est-elle menacée à son tour?

Jusqu'alors pilier de la stabilité de la zone euro, la France se trouve en position de faiblesse. Pourrait-elle à son tour être contaminée par la crise de l'euro? L'annonce d'un processus de révision de la signature française, et d'une possible remise en cause de son «triple A», note suprême aux yeux des marchés, par l'agence Moody's lundi soir, a bousculé les cartes. Vendredi, Standard & Poor's a déclaré s'interroger à son tour sur la signature française. Mais l'agence Fitch, elle, n'envisage pas d'engager une réflexion sur le sujet. «Nous n'avons aucun projet de déclassement de la France», a déclaré un des responsables de la banque.

Des économistes veulent y voir un signe encourageant. Mais il convient de prendre la déclaration avec prudence. Au moment de la dégradation de la note des Etats-Unis cet été, Standard & Poor's avait publiquement assuré que «la note de la France n'était pas menacée pour les deux ans à venir». Les marchés, en tout cas, ont déjà tranché: l'écart de taux entre les obligations françaises et allemandes, qui servent de référence, n'a jamais été aussi élevé depuis la crise monétaire de 1992. Il s'élevait vendredi à 1,15%. «Les marchés ont acté la perte du triple A de la France», note un analyste d'UBS. De leur côté, les CDS sur la France continuent de s'envoler. Avec 24,5 milliards de titres, les CDS sur la France sont devenus les premiers en volume sur ce marché, devant l'Italie. Autant dire que la spéculation est prête à fondre sur la France.

Depuis l'annonce de Moody's, la fébrilité s'est installée au sommet de l'Etat. La menace, voire la dégradation de la France, bouscule les plans de campagne présidentielle. Imagine-t-on les désastres d'une telle annonce à un mois de l'élection? Sans attendre, Nicolas Sarkozy a préempté le sujet afin de faire basculer les solutions de l'Europe en faveur de la France, en sa faveur. Le ton s'est durci à l'égard de l'Allemagne. L'heure n'est plus du tout au compromis.

Mercredi soir, s'invitant en catastrophe au gala d'adieu de Jean-Claude Trichet à l'opéra de Francfort, le chef de l'Etat a gâché la fête, en la transformant en mini-sommet de crise européen. Il a repris des solutions proposées par la France, mais qui avaient été de longue date refusées par l'Allemagne et la Banque centrale européenne et que tous croyaient depuis enterrées. Il proposait notamment le rachat des obligations d'Etat par la BCE. Solution que la Banque centrale a accepté de conduire de manière transitoire mais qu'elle voudrait arrêter au plus vite. L'Allemagne, elle, est radicalement opposée au procédé. Devant le refus allemand, Nicolas Sarkozy a ressorti une autre proposition, qui semblait elle aussi avoir vécu: transformer en profondeur le mécanisme du Fonds européen de stabilité financière (FESF), non seulement pour raffermir le marché des dettes souveraines, mais surtout pour consolider les banques.  

Le Fonds de stabilité comme banque

  •  Que propose la France?
Adossé à 780 milliards de garanties consenties par les Etats européens, le Fonds de stabilité financière a une capacité de prêts de 440 milliards. Il en a déjà prêté près des deux tiers pour le sauvetage de la Grèce, du Portugal et de l'Irlande. Autant dire que ses réserves sont des plus limitées pour faire face à de nouvelles urgences. Tous les experts s'accordent sur la nécessité de renforcer sa force de frappe. Les députés allemands ont déjà fait savoir en septembre qu'il était hors de question que l'Allemagne, premier contributeur avec 211 milliards d'euros d'engagements, aille plus loin. La question n'a pas été posée aux députés français, bien que la France soit le deuxième contributeur avec 170 milliards d'euros d'engagements.

De toute façon, même si l'ensemble des pays européens qui ont encore la capacité de contribuer au Fonds l'acceptaient, ils n'auraient pas les moyens d'y pourvoir. Car les besoins sont immenses. Depuis le sommet du 21 juillet, le rôle du Fonds de stabilité a été considérablement élargi. Il n'a plus seulement pour vocation de se substituer aux marchés défaillants pour permettre aux pays en détresse de se financer. Il doit aussi dans le futur prendre le relais de la BCE, qui ne cesse de le réclamer, et acheter des obligations d'Etat sur le marché secondaire, afin de soutenir les dettes attaquées par les marchés. Il doit, si nécessaire, aider les Etats, s'il y a besoin de recapitaliser leurs banques, voire aider les banques elles-mêmes.

La crise des dettes d'Etat et celle des banques s'entretenant mutuellement, l'addition grossit à vue d'œil. Les chiffres les plus astronomiques circulent. Certains parlent de 300 milliards, d'autres de 700. Une étude de Morgan Stanley va même jusqu'à 1.300 milliards d'euros. Essayant de bâtir un coupe-feu suffisamment puissant pour endiguer la crise, les pays européens ont découvert un mot magique: «leverager». En clair, trouver un mécanisme financier qui, sans solliciter à nouveau les Etats, permette au Fonds de stabilité de démultiplier sa puissance financière.

La France pousse sa solution: transformer le Fonds en un établissement bancaire. Cela lui permettrait d'emprunter directement à la BCE, comme les autres banques, au taux préférentiel de 1%. Elle aurait ainsi la puissance de frappe pour intervenir sur les marchés obligataires et racheter les dettes malmenées, et pour prêter à taux préférentiel aux Etats qui en ont besoin.

Lorsque Paris avait avancé cette idée durant l'été, Berlin, soutenu par les Pays-Bas et l'Autriche, avait tout de suite fait savoir son opposition. Elle est double. Elle est d'abord de principe. Car permettre au Fonds d'emprunter directement auprès de la BCE revient à doter un fonds étatique – dans ce cas, supra-étatique – d'une capacité de création monétaire, lui donnant la possibilité de devenir à terme une deuxième banque centrale. C'est revenir subrepticement sur l'interdiction faite à la Banque centrale en 1973 en France, et confirmée par le traité de Maastricht par la suite, de financer les Etats. Traumatisée par son histoire politique et financière, l'Allemagne s'est juré de ne jamais remettre en cause ce principe d'orthodoxie financière.

Dans le cas présent, l'opposition allemande se double d'une crainte pratique. Ce que propose la France risque d'alimenter la crise plus que de la juguler. Angela Merkel soupçonne que la proposition française est moins pour aider les Etats que les banques.  (...)

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