Sarkozy se fait tricoter une émission de télévision sur mesure
En difficulté, Nicolas Sarkozy se concocte une émission sur mesure, après le succès populaire et médiatique de la primaire socialiste. Initialement prévue lundi soir, elle est reportée à jeudi. L'Élysée avait en effet voulu cette intervention dans la foulée du sommet européen du 23 octobre. Mais en fin de semaine, faute d'accord entre Paris et Berlin, Angela Merkel avait réclamé un sommet en deux temps (concertation dimanche, décisions mercredi).
Officiellement, aucune date n'est fixée, selon les deux chaînes. Mais «ça ne peut pas être avant mercredi», a expliqué l'Élysée, pour qui il est inenvisageable que le chef de l'État s'exprime un vendredi, jour de plus faible audience. Diffusé en première partie de soirée, en direct simultanément sur TF1 et France 2, ce rendez-vous spécial est mis sur pied dans un incroyable mélange des genres. Un grand nombre de question entourent encore cette émission (lire notre «Boîte noire»). Décryptage de cette OPA de l'Élysée.
Alors même qu'il est clairement entré en campagne sur le terrain (lire notre reportage) et que son intervention de jeudi sera éminemment politique, Nicolas Sarkozy ne verra pas son temps de parole décompté durant l'émission. La raison? Quand il s'exprime dans le cadre de ses fonctions régaliennes (défense nationale, politique internationale), le compteur ne défile pas.
Ce fut le cas, par exemple, lors de son allocution de février, lorsqu'il a expliqué le remaniement de son gouvernement par le soulèvement arabe, ou encore lorsqu'il a justifié l'intervention française en Libye. Et jeudi, justement, il parlera de la crise économique, du sommet européen et de la situation bancaire, des sujets en lien avec la politique internationale.
Comme à chaque intervention télévisée, Nicolas Sarkozy (l'interviewé) a désigné ses intervieweurs: Yves Calvi (France Télévisions) et Jean-Pierre Pernaut (TF1). Une pratique typiquement française, mais ô combien archaïque.
En février 2009, le chef de l'État avait fait mine de rénover le concept avec des journalistes plus jeunes comme Guy Lagache, David Pujadas et Laurence Ferrari, mais les accusations de «fait du prince» et de journalistes aux questions «convenues» avaient fusé.
Mêmes soupçons en juillet 2010, lorsque, en pleine tempête avec l'affaire Woerth-Bettencourt, David Pujadas avait interviewé de façon très complaisante le chef de l'État. «Une honte pour l'information de service public», avait dénoncé le SNJ-CGT de France Télévisions.
Comme l'a révélé Le Monde, cette intervention télévisée, bien que retransmise sur le service public, est pour la première fois produite par une société privée: Maximal Production. Cette société est contrôlée à 100% par le groupe Lagardère, dont le PDG est un proche du chef de l'État. Quant au patron de Maximal Production, il s'agit de Jérôme Bellay, ancien PDG d'Europe 1, actuel directeur du Journal du dimanche et producteur de «C' dans l'air», dont l'animateur n'est autre que... Yves Calvi.
TF1 ne le cache pas, le concept de l'émission repose sur «une idée originale de Jérôme Bellay» (celui-ci n'a pas souhaité nous répondre - lire notre "Boîte noire"). Voilà donc les chaînes «ramenées au rang de simples diffuseuses», pointe du doigt Renaud Revel, journaliste à L'Express, sur son blog.
Le mélange des genres va plus loin. La réalisation de l'émission devrait être confiée à Renaud Le Van Kim. Lequel cumule plusieurs casquettes: ancien spécialiste des retransmissions des cérémonies des césars et du festival de Cannes, il est à la tête de la société de production KM (qui produit, entre autres, «Le grand journal» sur Canal+), «conseiller spécial» du patron de TF1 Nonce Paolini depuis juin 2008.
Un grand flou entoure également cette émission et il a été difficile d'obtenir des réponses concrètes - ou des réponses tout court.
Contacté samedi, Jérôme Bellay a fait savoir par son assistante au Journal du Dimanche qu'il «ne donnait pas d'interview».
Sollicité vendredi (via son assistante et par email), Yves Calvi n'avait pas encore donné suite à nos demandes d'interview dimanche soir. De même que Thierry Thuillier. Le conseiller en communication de l'Élysée, Franck Louvrier, n'a pas retourné notre appel de samedi.
Denis Olivennes a répondu à nos questions vendredi après-midi.
Jean-François Téaldi (France Télévisions), Jean-Luc Bertet (JDD), Dominique Pradalié (SNJ) ainsi qu'un journaliste de TF1 ont été joints les 19 et 21 octobre, certains à plusieurs reprises.