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4 novembre 2011

Grandeur et arrogance des G20 sarkoziens

EnquêteLe sommet de Cannes devait être le couronnement de la stature internationale bâtie par l’Elysée depuis 2008. Jusqu’à ce que tout soit gâché par un référendum grec.

Sur Libé

Par CHRISTIAN LOSSON, GRÉGOIRE BISEAU, CHRISTOPHE ALIX, RENAUD LECADRE, LUC PEILLON, NATHALIE DUBOIS

Nicolas Sarkozy, hier, à Cannes. (© AFP Lionel Bonaventure)
 

Pour bien mesurer la colère de Nicolas Sarkozy à la suite de l’annonce impromptue du référendum grec, il faut avoir en tête l’importance de ce sommet du G20 à Cannes dans le dispositif présidentiel. Tout à la fois symbolique et stratégique. Symbolique, car il était censé refermer une séquence ouverte un 25 septembre 2008, par le fameux discours de Toulon, qui promettait, en pleine crise de la finance mondiale, ni plus ni moins que la «refonte du capitalisme». Stratégique, car Nicolas Sarkozy devait sortir de ce sommet de Cannes avec une stature - celle d’un Président entièrement mobilisé par la crise européenne et les grandes affaires du monde - précieuse pour la campagne présidentielle. Voilà pour la théorie. Car il y avait un préalable à tout cela : que la crise grecque soit réglée. Or, depuis lundi soir et l’initiative du Premier ministre grec, c’est avec le pire scénario que Nicolas Sarkozy va devoir composer.

 

Gravité

A l’Elysée, on espère toujours pouvoir vendre l’image d’un Président «réformateur du capitalisme mondial». Même si la partie s’annonce très difficile : depuis le discours de Toulon, Nicolas Sarkozy a beaucoup promis, et donc fatalement beaucoup déçu. «Le laisser-faire, c’est fini. Le marché tout puissant qui a toujours raison, c’est fini», avait ainsi déclaré le chef de l’Etat, qui ambitionnait de rebâtir le système monétaire mondial lors de ce sommet. Des mots qui sonnent aujourd’hui étrangement, alors que les marchés et leurs auxiliaires, les agences de notation, n’ont jamais eu autant d’influence sur les choix politiques français.

Néanmoins, dénigrer totalement le bilan de Sarkozy au G20 serait injuste. Il a, d’abord, été l’un des tout premiers à prendre la mesure de la gravité de cette crise. En tout cas bien avant les Allemands et les Américains. Il a ensuite mis beaucoup de son énergie pour que la succession de G20 - cinq sommets depuis le début de la crise - accouche d’engagements concrets. A son crédit, on peut aussi lui reconnaître une partie du lobbying (avec Berlin) pour que l’Europe instaure (enfin) une taxe sur les transactions financières.

Publicité mensongère

En revanche, quand Sarkozy déclare, sans rire, que «les paradis fiscaux, c’est terminé», on nage là en pleine publicité mensongère. Même si la coopération fiscale concernant les particuliers a pu être améliorée ces deux dernières années, le pouvoir de recyclage de l’argent sale de ces Etats n’a pas du tout été remis en question.

Idem sur les bonus, dont Sarkozy a fait son cheval de bataille politique. Il en reste un fait d’armes : en avril 2009, au sommet de Londres, il menace de quitter les négociations si la Chine ne cède pas sur la question. Il obtiendra partiellement gain de cause.

Mais depuis, Paris a entretenu une pure fiction : celle d’être intraitable avec les traders et les banquiers. Hier encore, ces derniers ont été convoqués à Matignon pour exiger que «les bonus et les rémunérations rentrent enfin dans une pratique normale». Une énième fois, pourrait-on dire. Or l’Elysée sait très bien que la Banque de France est en mesure, depuis un an, de faire respecter la directive européenne sur les bonus, en partie ignorée par les banques françaises (lire ci-contre). Mais, faute de volonté politique, rien, ou si peu, n’a bougé. Voilà qui résume une large partie du bilan de Sarkozy : beaucoup d’injonctions, aussi péremptoires que martiales, pour finalement peu d’avancées concrètes.

En relisant le discours de Toulon, on peut d’ailleurs être pris de vertige. «J’appelle l’Europe à réfléchir sur sa capacité à faire face à l’urgence, à repenser ses règles et ses principes, en tirant les leçons de ce qui se passe dans le monde», lançait Sarkozy. Et d’ajouter, quelques phrases plus loin : «Comme partout dans le monde, les Français ont peur pour leurs économies, peur pour leur emploi, peur pour leur pouvoir d’achat.» Comme si, trois ans plus tard, rien n’avait vraiment changé.

1. Taxe Tobin: Paris et Berlin en éclaireurs

Exit la taxe sur les transactions financières… globale. A l’échelle du G20, l’idée se heurte à la double hostilité des pays en développement (Brésil et Afrique du Sud exceptés), mais aussi des pays anglo-saxons (Etats-Unis et Royaume-Uni). «La vraie question, c’est de savoir si les politiques sauront tenir tête pour l’imposer», confie Luc Lamprière, de l’ONG Oxfam. Seule issue possible - et probable - à court terme : qu’elle soit endossée par le G2 de l’Europe (France et Allemagne). Berlin s’est dit prêt à «aller de l’avant», Paris jure vouloir «y aller» de concert, s’assignant «une obligation morale». Quant aux pays de la zone euro, ils pourraient l’adopter, dans la foulée, d’ici 2014. Une taxe qui pourrait rapporter, selon la Commission européenne, jusqu’à 57 milliards d’euros. L’assiette ? 0,1% sur les échanges d’actions et d’obligations ; 0,01% sur les contrats dérivés… L’ONU, elle, a rappelé hier qu’une taxe globale de 0,005 % pourrait générer 40 milliards de dollars (29 milliards d’euros). Problème : les ONG ferraillent contre l’idée de voir les fonds récoltés affectés contre la crise de la dette, comme le G2 en rêve. Et non plus - seulement - pour l’aide au développement et la lutte contre les changements climatiques.

 

2. Régulation: une pression encore insuffisante

Régulation des marchés des produits dérivés, création d’instances de contrôle, renforcement des fonds propres des établissements financiers, encadrement des hedge funds ou encore lutte contre les «risques systémiques» : la pression réglementaire sur la finance internationale, notamment au niveau européen, n’a pas été totalement nulle depuis trois ans. Mardi soir encore, l’Europe interdisait les opérations sur les CDS (Credit Default Swaps) «à nu», ces produits d’assurances contre le défaut de paiement des obligations souveraines, devenus de véritables outils de spéculation contre la dette des Etats. Reste cependant de vrais trous dans une réglementation qui n’a pas réussi à prévenir, trois ans après la crise de 2008, un risque de rechute de l’économie mondiale. «La régulation macroprudentielle s’est faite en ordre dispersé, regrette ainsi l’économiste Jean-Paul Pollin, directeur adjoint du Laboratoire d’économie d’Orléans. Il faut aller plus loin sur les marchés des dérivés, les fonds propres des établissements présentant un risque systémique, ou encore sur la séparation entre banques d’investissements et banques de dépôts.» Bref, «avancer plus vite et plus fort sur la régulation», demande Pollin, qui met en cause le «vrai pouvoir de lobbying des banques».

 

3. Agences: les pleins pouvoirs maintenus

Depuis la prise de conscience de leur pouvoir sans contrepartie sur l’économie mondiale, les agences de notation sont régulièrement au menu des G20. Sans qu’aucune régulation contraignante n’ait été réellement adoptée. Accusées d’entretenir les tensions sur les dettes souveraines, elles devraient pourtant faire l’objet d’une réglementation accrue, plaident les Européens, qui réfléchissent, par exemple, à leur interdire de noter un Etat quand ce dernier est sous assistance internationale. Lors des précédents G20, il a été acté qu’elles devraient faire l’objet d’une régulation et d’un agrément. Un agrément devenu effectif dans l’UE depuis juin 2010 et qui doit théoriquement les soumettre à des règles de transparence. Mais, dans la pratique, l’oligopole des agences - à elles seules, Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch contrôlent 90% du marché - reste inchangé. Et leur pouvoir, que l’on voudrait contrecarrer avec la création d’une agence de notation publique et «indépendante» à l’échelle européenne, n’a jamais été aussi grand.

 

4. Bonus: application à la carte

Depuis le G20 de Pittsburgh, en 2009, les bonus des banquiers et traders sont théoriquement encadrés. Mais les Américains ont refusé leur plafonnement. Nicolas Sarkozy s’était toutefois réjoui d’avoir eu gain de cause sur l’interdiction des bonus garantis et l’introduction d’un principe de malus (la moitié de la prime saute en cas de mauvaise performance). Autres acquis : une bonne part des bonus est désormais différée (sur trois à cinq ans) et payée en actions. C’est en Europe que ces nouvelles règles sont le mieux appliquées, grâce à une directive de l’UE de septembre 2010. Mais l’harmonisation mondiale traîne. La France se targue d’avoir été le premier pays à appliquer, dès 2009, les règles du G20. Sauf qu’elle a un peu rusé en transposant la directive UE, «oubliant» la notion d’équilibre entre rémunération fixe et variable. Selon une étude du cabinet AlphaValue, ce sont les bonus français qui ont le plus augmenté en 2010 en Europe (+ 46%). D’où l’exigence martelée hier par François Fillon d’une «baisse significative» en 2011.

 

5. Paradis fiscaux: la poudre aux yeux

Ce sont les grands oubliés du G20 de Cannes. Il y a deux ans, Nicolas Sarkozy plastronnait pendant celui de Pittsburgh : «Les paradis fiscaux, c’est terminé.» Depuis, rien à se mettre sous la dent. L’évasion fiscale représenterait toujours 100 milliards de dollars (73 milliards d’euros) aux Etats-Unis et 150 milliards d’euros dans l’UE. L’autocélébration d’accords de coopération fiscale (700 à travers la planète) permet, à bon compte, aux confettis de la mondialisation d’échapper aux listes noires ou grises. Seuls cinq pays (Guatemala, Uruguay, Montserrat, Nauru et Niue), ne pesant que pour 0,04% de la finance offshore, sont listés gris. A en juger par ce qui se passe au Liechtenstein, rien ne change : la principauté conserve toute latitude pour rejeter toute demande d’information sur un compte suspect, car il faut qu’elle soit «raisonnablement pertinente». Face à ce fiasco, les ONG organisent aujourd’hui un happening sur la frontière franco-monégasque, en vue d’«interdire symboliquement l’entrée dans ce paradis fiscal, puisque le G20 ne le fait pas».

 

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