Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Visiteurs
Depuis la création 1 378 950
Newsletter
1 décembre 2011

L'imposture, dix années de politique de sécurité de Nicolas Sarkozy

Point de vue | Terra Nova | 01.12.11 | 10h07   •  Mis à jour le 01.12.11 | 10h08

par Valérie Sagant et Benoist Hurel, magistrats, et Eric Plouvier, avocat, pour Terra Nova


 

 

 

Nicolas Sarkozy a fait de la politique de sécurité le fer de lance de sa réussite depuis 2002. Sur quels éléments fonde-t-il une telle autosatisfaction ? L'analyse rigoureuse des données disponibles – statistiques, rapports parlementaires et institutionnels, études et recherches scientifiques – conduit à dénoncer ce bilan comme une imposture.

Le résultat de la politique de sécurité est évalué à l'aune du chiffre de "la" délinquance qui ne constitue pas un indicateur pertinent : il mesure l'activité des forces de police et de gendarmerie, agrège des données aussi dissemblables que le nombre d'homicides constatés et le nombre de vols à la tire. Mais ce que démontre le rapport, c'est que cette culture du chiffre a aussi atteint l'institution judiciaire : les procureurs subissent de fortes pressions pour "améliorer leur taux de réponse pénale", mais cette amélioration repose presque exclusivement sur une falsification statistique : les anciens classements sans suite "secs" sont "habillés" en "rappels à la loi" ou "régularisations". Surtout, la culture du chiffre a entraîné une standardisation des réponses qui contrevient frontalement à la mission du juge auquel il appartient d'individualiser ses décisions. Ainsi, 25 % des décisions correctionnelles sont aujourd'hui prises par un juge qui ne rencontre pas la personne qu'il condamne.

Ce volontarisme politique a été contre-productif. Vingt-sept lois à dominante pénale ont été votées depuis 2002, mais pour quel résultat concret ? La loi destinée pénalisant l'occupation abusive des halls d'immeubles n'a généré que 144 interpellations en 2008. La loi spécifique sur le racolage a donné lieu à 900 interpellations en 2005 mais à moins de 200 en 2009 et a renvoyé les personnes se prostituant dans la clandestinité. L'hyper-répression s'est abattue sur certaines catégories de populations mais à l'inverse, la lutte contre la délinquance économique et financière a été laissée en déshérence : ainsi le pôle financier de Paris a ouvert 101 informations judiciaires en 2006 mais seulement 21 en 2008. Cette surenchère législative s'appuie sur une rhétorique toujours identique, terriblement efficace, qui oppose de façon binaire "auteurs" et "victimes". Dans ces conditions, la réalité ne peut que s'avérer décevante et générer une escalade permanente dans les discours et les mesures adoptées.

La répression a été présentée comme la seule solution aux problèmes de sécurité. Dès son arrivée au ministère de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy a relégué la prévention au rang des choses inutiles, voire risibles. Il n'est pas de peu de sens que la "loi sur la prévention de la délinquance" du 5 mars 2007 n'ait contenu presque exclusivement des solutions répressives… Au-delà, elle a suscité une très forte déception dans la mesure où elle ne correspondait pas aux besoins. Ainsi, plutôt que de permettre aux parents de jouer leur rôle éducatif et cadrant, la loi instituait des "conseils des droits et devoirs des familles" ; résultats : seuls 107 conseils avaient été créés en 2009. La mesure de l'échec est telle, que la loi LOPSI 2 a dû rendre obligatoire la création de ces conseils dans les grandes villes…

Alors que la prévention a prouvé son efficacité dans nombre de pays et en France dans nombre de villes, les crédits alloués par l'Etat aux collectivités locales ont chuté : de 25 M€ annuels avant 2002, les crédits ont plongé à 15 M€ annuels entre 2002 et 2006. Aujourd'hui, une fois ôtés les crédits affectés à la vidéosurveillance, qui vampirisent ceux de la prévention, il ne reste plus que 7 M€ ! Pourtant, les études existantes tant en France – il y en a peu – que dans les autres pays occidentaux – elles sont très nombreuses – montrent que la vidéosurveillance ne peut avoir qu'un impact limité, et seulement dans les lieux fermés. Seule une infime partie de crimes ou délits (1,3 % selon une étude française ; 3,4 % selon la police de Londres) est élucidée grâce aux caméras.

Ces éléments d'évaluation nuancés doivent être examinés au regard des coûts de cet outil : une caméra coûte autour de 20 000 euros… Le coût de ces dispositifs a été plusieurs fois souligné par les chambres régionales des comptes, car il grève les budgets des collectivités. Ces évolutions aggravent les inégalités entre les territoires.

"ÉVITER DE RENOUVELER LES MÊMES ERREURS"

Ces évolutions traduisent elles aussi des écueils que nous avons voulu souligner dans l'ensemble du rapport :

  • les annonces se succèdent sans évaluation aucune des effets produits par les précédentes décisions ; la communication est privilégiée au détriment de l'étude de la réalité. La France ne peut plus continuer à empiler des politiques sans se soucier de leur efficacité.
  • les décisions sont très centralisées – tout vient d'en-haut et tout doit y remonter, alors que la grande majorité des problèmes de sécurité doit se régler au niveau local. Il nous paraît indispensable de déconcentrer fortement les niveaux de décision dans la police et la justice ; de valoriser les savoir faire des professionnels plutôt que de les infantiliser dans une vaine course aux "bonnes statistiques".
  • l'accent est systématiquement mis sur les risques et les menaces alors que des solutions existent et que l'action des services publics doit viser à résoudre les problèmes concrets plutôt d'exacerber les tensions. L'approche en termes de "résolution de problèmes" permettrait de donner à chaque acteur de terrain – policier national ou municipal, éducateur, travailleur social… – plus d'autonomie dans ses décisions quotidiennes, plus de discernement plutôt que se concentrer sur la mise en œuvre de réglementations et la recherche des "bons chiffres".

C'est pour ces raisons que nous souhaitons au travers de ce rapport nous adresser également aux candidats de l'élection à venir : tirons le bilan des méthodes passées pour éviter de renouveler les mêmes erreurs. Engageons-nous dans une politique de sécurité sérieuse, détachée des objectifs de communication politique immédiats. Une politique publique de sécurité ancrée dans le réel et non dans la communication politique.


Retrouvez d'autres analyses de Terra Nova sur LeMonde.fr et l'intégralité de cette "contribution" sur tnova.fr.

Valérie Sagant est magistrate. Elle a dirigé de 2005 à 2010 le Centre international pour la prévention de la criminalité. Elle est membre du syndicat de la magistrature, tout comme Benoist Hurel, magistrat. Eric Plouvier, avocat, collabore aux travaux de l'Observatoire international des prisons.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Vu au MACROSCOPE
Derniers commentaires
Archives
Publicité