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20 décembre 2011

Eva Joly: "Qu'est-ce qu'elle a ma gueule?", l'entretien intégral

18/12/2011 | 14H24
Crédits photo:  Eva Joly (photo Philippe Garcia)

Son accent, son style et son look donnent des boutons à une partie du monde politique. Eva Joly prend des coups mais sait aussi les rendre. La candidate écolo dénonce racisme et misogynie et se dit plus motivée que jamais. Rencontre et analyse.

Vous ne connaissez pas le "Joly bashing" ? Voyons, c'est le nouveau sport à la mode. Zé un cheu très zimple pourtant. Patrick Besson, l'éditorialiste du Point, et Jean-Marie Le Pen se bidonnent comme des petits fous en imitant son accent norvégien. Dans des talk-shows rigolos, on entend parfois des invités faire glousser le public avec des "qu'elle retourne en Norvège", "qu'elle prenne des cours de français". Des barres de rire on vous dit.

Ça ne vous fait pas marrer ? Elle non plus. Eva Joly a vidé son sac dans un café du XIVe arrondissement de Paris, non loin de chez elle. Sans qu'on la pousse, calmement et avec malice. Blessée mais prête à la contre-attaque. Son équipe vient de mettre en ligne une vidéo sur les accents de la France. De ses différences, elle veut faire un argument politique : être la représentante des exclus de la république des puissants.

Mais pourquoi tant de haine ? Marine Le Pen "dédiabolisée", l'antisarkozysme primaire démodé, le monde politico-médiatique avait-il besoin de trouver un autre repoussoir ? Les coups partent de la droite, de la gauche, de son propre camp. "Mamie gâteau", "vieille éthique", "mère la morale", "dure", "méchante", "méprisante", "glaçante", "accident industriel de la campagne", "inexpérimentée", "Eva dans l'mur", la liste s'allonge chaque jour. L'ancienne juge d'instruction la plus redoutée de la République mérite-t-elle ce traitement ? Eva Joly est arrivée en France à 20 ans. Elle a gravi tous les échelons de l'ascension sociale. A 68 ans, elle décide de se lancer dans la bataille la plus dure de sa carrière. Interview, et analyse de la candidature de cet objet politique non identifié.

Comment avez-vous réagi à l'éditorial de Patrick Besson dans Le Point qui moque votre accent ?

Sa tribune m'a atteinte, révoltée, parce qu'elle me renvoie à mon histoire. J'ai toujours été l'exclue. Quand j'étais jeune fille au pair dans la famille Joly, celle de mon ex-mari, j'ai expliqué du haut de mes 20 ans à mon futur beau-père, un ophtalmologiste reconnu, que la forme de médecine qu'il incarnait n'avait pas beaucoup d'avenir.

J'avais l'impression de lui apporter une connaissance supplémentaire. Mais sa réaction a été très violente. Il me voyait comme la communiste qui débarquait de Moscou ! Ce décalage m'a toujours poursuivie. Magistrate, je ne m'habillais pas comme mes collègues, ne pensais pas comme eux. J'ai dû faire un vrai travail d'adaptation. Avant, finalement, d'avoir assez de volonté et de courage pour ne pas faire comme tout le monde...

Pourquoi la parole est-elle si haineuse, si décomplexée, à votre encontre?

Je ne corresponds pas au modèle de l'homme ou de la femme politique classique. Je n'ai pas les bonnes origines sociales, pas le bon parcours. Je suis étrangère. Pas seulement à cause de mes origines norvégiennes, mais aussi à cause de mon parcours dans la société civile et mes transgressions. Je ne pense pas que les défilés militaires incarnent la nation, ni que le nom des mutins ne doit pas être sur les stèles. Je cumule les "handicaps" : je suis une femme plus très jeune, au parcours atypique, dotée d'un accent qui rappelle qu'elle vient d'ailleurs. On peut me mépriser ou m'exclure facilement, sans tenir compte de ce que je dis. Les attaques à mon encontre viennent exclusivement d'hommes de 50 à 60 ans, blancs, qui pour beaucoup ont fait l'ENA. Ils sont au chaud, entre eux, et ne comprennent pas bien ce que je viens faire dans leur monde. Face à moi, le club des vieux mâles éditorialistes, en accord avec le milieu politique, se contracte dans un réflexe conservateur. Leurs réactions très violentes sont disproportionnées par rapport au message que je porte. Quand j'ai lu cette tribune qui s'attaquait à mon accent, je me suis rappelée de ce que m'avait dit un de ceux que j'ai mis en examen...

Qui ça ?

Un patron de banque. Jean-Maxime Lévêque du Crédit lyonnais, pour être précise. Je lui ai demandé s'il trouvait normal que sa banque fasse autant de pertes à la suite de crédits accordés à des membres de sa famille. Il m'a répondu : "Madame Joly, je vous répondrai lorsque votre concordance des temps sera parfaite." Patrick Besson menie en tant que personne. Il ne parle pas de mes idées, de mes discours, des déplacements que je fais. Il s'en prend à quelque chose que je ne peux pas changer, mon accent. J'ai eu un moment de découragement, puis de révolte. Le milieu continue de réagir comme il l'a toujours fait, en rejetant la différence, en excluant ceux qui ne sont pas bien nés et en préservant ses intérêts. Dans les faits, en France, tout se passe à l'inverse de la devise de la République. Moi, je suis armée pour supporter ces attaques parce que je m'entraîne depuis des années. Mais lorsque ce mépris s'exerce contre les personnes en difficulté, qui vivent dans des HLM, je le ressens au plus profond de moi. Je veux le combattre.

Sa chronique semble aussi faire la critique de votre dureté. Vous êtes réputée intransigeante, méchante...

Ceux qui me connaissent savent que c'est faux. Cette image résulte de mon métier de juge d'instruction. On ne peut pas se laisser aller à des sentiments. Il faut être professionnelle dans l'application de la loi. Mais je savais aussi faire preuve d'indulgence. Un jour, on m'a demandé de délivrer un mandat de dépôt contre un sportif de haut niveau qui avait signé des chèques sans provision. Il avait une compétition importante quelques jours après. Je n'ai pas cédé à la pression du parquet. Je lui ai fait un contrôle judiciaire avec obligation de gagner sa course ! Je ne me souviens plus de son nom, mais lui doit se souvenir de moi... Souvent, je me disais que les gens déférés devant moi avaient de la chance. J'avais plus de 50 ans, je faisais la part des choses entre ce qui était grave et ce qui ne l'était pas. Je n'avais pas le mandat de dépôt facile. Je ne mettais personne en prison pour des petits délits. Cette réputation de dureté vient de mon intransigeance envers la criminalité économique contre laquelle j'ai utilisé tous les outils du code pénal. J'ai été une des premières à ne pas considérer la délinquance financière comme secondaire. On m'a fait passer pour une femme irrespectueuse. C'est faux. J'ai toujours fait attention à la santé des gens que j'incarcérais. En tant que femme de médecin, je savais que certains traitements ne devaient pas être interrompus.

J'ai beau ensuite avoir passé huit ans à travailler pour le gouvernement norvégien sur les rapports Nord-Sud, contre la pauvreté, contre la corruption, je garde cette image de femme dure. Toute ma vie, j'ai eu le souci des gens, de leur précarité. Dans les années 50, je vivais dans un quartier pauvre. Ma mère disait souvent que tout allait bien si on avait assez d'argent pour acheter à la fois les pommes de terre et le café. Contrairement à beaucoup d'hommes ou femmes politiques, j'ai connu la précarité. Ensuite, j'ai eu une très belle vie mais je n'oublie pas mes origines.

Certains de vos ennemis disent que vous nourrissez une soif de revanche sociale...

C'est de la psychologie de comptoir, une grille de lecture simpliste et complice de la classe dominante convaincue qu'elle a des privilèges hérités. Quiconque les conteste est forcément animé par de viles motivations. Cette classe dominante semble persuadée que l'on ne peut pas avoir envie d'exercer la justice simplement par souci de défendre l'intérêt collectif.

Avez-vous le sentiment de vous être mis la classe politique à dos lorsque vous étiez magistrate ?

Il est certain que j'ai suscité beaucoup de haine.

Et vous le découvrez maintenant ?

Pas du tout. J'ai quitté la France en 2002 parce que je savais qu'elle n'était pas vraiment une démocratie.

Qu'entendez-vous par là ?

En France, l'exécutif, notamment le président de la République, a beaucoup trop de pouvoir. Nous en constatons chaque jour les dérives. L'absence de contrepouvoir et les dysfonctionnements des institutions ont créé un retard dans le développement démocratique français. Nous savons bien que ceux qui avaient les leviers du pouvoir s'en sont servis à des fins personnelles et pour financer leur parti politique. Cela a entraîné des dysfonctionnements institutionnels gravissimes. Que le Conseil constitutionnel ait approuvé les comptes de Balladur et Chirac en 1995, alors que cela crevait les yeux qu'ils étaient faux, est la preuve que la France n'est pas une démocratie réelle. Les conflits d'intérêt, comme dans l'affaire Woerth, sont légion et nuisent à la démocratie. Il a fallu un médiateur pour découvrir que la personne à la tête de l'Agence française du médicament avait travaillé pour les laboratoires Servier. C'est incroyable ! Je veux lutter pour mettre en place une république exemplaire. Dans celle-ci, un membre du cabinet présidentiel ne pourra pas faire virer un serveur qui l'a fait changer de place, une entreprise dépendant des commandes publiques ne pourra pas contrôler TF1. Le moment est venu du courage, de la rigueur, de l'éthique, de la morale en politique.

Vous avez dit que le droit de veto à l'ONU est "un privilège dépassé, réservé à quelques pays". Pour François Hollande, cela revient à " brader les intérêts du pays"...

Nous ne sommes plus en 1945. Le monde a changé. Moderniser l'ONU est un objectif partagé par tous. En 2004, nous avons voté avec l'UMP et les socialistes une résolution au Parlement européen sur la réforme du Conseil de sécurité et l'admission de nouvelles puissances. Aujourd'hui, le Conseil est impuissant à régler le conflit au Moyen-Orient à cause de l'opposition des Etats-Unis et impuissant à régler celui de la Syrie à cause de la Russie. La position de François Hollande me rend triste. Il sacrifie un objectif important pour la paix dans le monde au nom de quelques voix dans l'élection à venir. C'est du court-termisme.

La France devrait-elle abandonner son droit de veto ou est-ce un processus de long terme ?

C'est un processus. La réforme du Conseil de sécurité et l'intégration d'autres puissances autour de la table sont dans l'accord d'EE-LV avec le PS. Dans cette affaire, le problème est le détricotage de l'accord.

Vous trouvez que les socialistes ont une lecture biaisée de l'accord qu'ils ont signé avec vous ?

Sur le point du droit de veto, il n'y a pas beaucoup de marge d'interprétation. De manière générale, François Hollande a un peu le même positionnement que moi : "Le parti, c'est une chose et moi, c'en est une autre."

"Dans une campagne, il y a des moments de solitude où ceux censés vous aider observent la façon dont vous allez vous noyer", raconte l'ancienne candidate verte Dominique Voynet. Avez-vous le sentiment que certains chez les écolos vous regardent couler sans bouger ?

Je ne dirais pas ça. Au sein d'EE-LV, il y a une grande compréhension du fait que nous avons des intérêts concordants et qu'un bon score à la présidentielle sert le positionnement du parti sur l'échiquier politique, ainsi que la vitesse avec laquelle nous pourrons porter d'autres réformes.

Mais qu'est-ce que les 5% de Noël Mamère en 2002 ont réellement apporté ?

Vous vous rendez compte de ce que vous dites ? Pendant quarante ans, les écolos ont été vus comme des marginaux, des farfelus. Depuis trois ans, nous sommes de vrais acteurs politiques du pays. Nos idées deviennent centrales. Nous portons pourtant nos revendications sur la santé depuis trente ans. Nous demandons plus de prévention et une meilleure protection de l'eau, alertons sur les menaces des pesticides et du bisphénol A. Souvenez-vous de René Dumont et de son verre d'eau. A l'époque ça paraissait farfelu. Aujourd'hui, c'est mainstream ! Les écologistes portent les idées modernes amenées à devenir majoritaires. Nos idées sont très puissantes : justice, partage, démocratie, responsabilité individuelle.

Après votre interview avec Jean-Michel Aphatie, et votre refus d'appeler explicitement à voter Hollande qui a déclenché la démission précipitée de votre porteparole Yannick Jadot, est-ce que vous pouvez dire aujourd'hui plus sereinement que vous souhaitez la victoire du candidat socialiste en 2012 ?

Bien sûr que c'est possible de le dire. Je souhaite la victoire de la gauche. Nous ne pouvons gagner qu'ensemble. François Hollande ne peut gagner que s'il engrange plein de voix écologistes, celles des gens qui ont envie de voter pour moi au premier tour.

Reconnaissez-vous le chemin intellectuel qu'a fait le nucléariste et industrialiste François Hollande en proposant de passer de 75 à 50% de nucléaire dans la production énergétique ?

C'est son intelligence. Après Fukushima, alors que le monde entier abandonne le nucléaire, faire de la France le seul pays qui s'y accroche est un aveuglement. Je le crédite d'avoir été attentif au monde et à l'absurdité du mix énergétique français.

Quelles sont les limites que vous imposez à votre candidature ? A quel moment estimez-vous raisonnable de vous retirer ?

Vous voulez dire que le ridicule tue ? Que s'il y avait encore des éditos qui me ridiculisent je devrais abandonner ? Ce serait mal me connaître. Dans ma vie personnelle, dans mes vies professionnelles, je n'ai jamais cédé face aux pressions ou aux difficultés.

Ces attaques vous font-elles réfléchir sur vos éventuels défauts politiques ?

Je pense que je n'ai jamais arrêté de vouloir m'adapter, progresser. Je suis confortée quand je me promène dans la rue, le métro, lors des meetings : de plus en plus de gens me manifestent leur sympathie. Je n'ai pas l'impression que les attaques portent auprès des citoyens. Ils veulent aussi de la sincérité et de l'authenticité et sont lassés des politiques sans aspérités qui ne portent plus aucune idée.

Dans le baromètre Ipsos de décembre, vous êtes à 6% d'intentions de vote au premier tour, vous naviguez entre 3 et 6 selon les enquêtes...

Si j'avais gardé le nez rivé sur les sondages lorsque je menais les enquêtes sur l'affaire Elf ou en Islande après la crise financière, je n'aurais probablement pas pu faire tout ce que j'ai fait. Je crois d'abord à mes idées et à mes rêves, sans me soucier forcément de leur popularité. Nicolas Sarkozy s'est drogué aux études d'opinion, je ne crois pas que ça l'ait aidé.

De quoi vous parlent les gens que vous rencontrez dans vos meetings et déplacements ?

De l'emploi, de l'avenir des jeunes, de dépôt de bilan, de licenciements. Dans la fonction publique hospitalière, par exemple, les gens sont inquiets pour la qualité et l'égalité de l'accès aux soins, les personnels sont stressés. Le ras-le-bol des Français est sous-estimé.

Avez vous l'impression que le FN profite de la situation ?

Parfois, des gens me disent que je suis la seule raison pour laquelle ils ne voteront pas FN. C'est mon côté altersystème. Je montre qu'une autre voie est possible. Les jeunes sont désespérés. François Hollande a raison de les mettre au centre de son programme. On ne peut pas venir au pouvoir en 2012 sans avoir un programme qui donne espoir et veut changer la donne.

 

 

Recueilli par Marc Beaugé, Anne Laffeter et Thomas Legrand

 

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