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30 décembre 2011

De ma vie et des outre-mer (J.L. Mélenchon 30 décembre 11))

 

 30 Décembre 2011

« Comme c’est la trêve des confiseurs, je tourne au ralenti, loin du feu brûlant qui court sur le monde. J’ai accepté de me prêter au jeu du tournage d’une vidéo qui présente des vœux. De cette façon je compte régler cette année la quadrature du cercle qui me condamne chaque année à contourner le Tsunami des formules toutes faites sans que mon refus de surfer dessus ne convainque personne. (Jean-Luc Mélenchon, son blog, 30 décembre 2011)

Je décide ici de faire un point à propos d’un exercice littéraire: les récits qui se font à propos de ma vie politique. Je compte qu’en écrivant sur ce sujet je pense plus clairement le moment que je vis à ce propos. Puis je publie l’entretien que j’ai eu avec François Xavier Guillerm de l’agence de presse France Antilles en vue du séjour que je devais faire en Guadeloupe et Martinique. Mes lecteurs habituels y trouveront un moment du tropisme insulaire qui m’avait fait tenir un carnet de route lors de mon séjour à la Réunion, territoire dont on se souvient qu’il m’a durablement impressionné.

Je sais que c’est normal que cela arrive. Je suis candidat à la plus importante élection prévue par cette Constitution. Je le suis au titre d’un Front de Gauche qui est un événement sans précédent dans la vie de la gauche. Et cela au sein d’une période politique elle-même incroyablement volatile dont il peut sortir de l’imprévu le plus total. Il est normal que l’on veuille savoir qui je suis et d’où je viens.

Mais je redoute la part de pipolisation que cet exercice contient. Personnaliser la politique a conduit tant de fois à dépolitiser les personnes ! C’est ce qui m’arrive. Certes, pas tout le temps. Mais ma vie m’est donnée à voir à travers une série de récits qui m’échappent. Je n’en suis plus le sujet. Juste l’objet.

J’en lis parfois ici et là dans la presse écrite. Ce sont alors des « portraits ». D’autres fois j’en vois à l’écran, sur ma télé. Ce sont alors des fresques aux ambitions narratives plus larges. Je suis invité à m’y voir tel qu’on me voit. Je devrais écrire : tel que l’auteur me voit. Et si je devais être plus précis dans mon appréciation je devrais écrire : tel que l’auteur a envie de me voir. Ce regard extérieur n’est jamais objectif, on s’en doute. Pourrait-il l’être ? Non bien sûr. Même avec la meilleure bonne volonté. C’est pourquoi la biographie est un exercice exigeant, à mi-chemin de l’enquête journalistique touche-à-tout et de la science historique qui est, elle, très exigeante.

Ce que je lis ou regarde comporte son lot d’erreurs de dates et de lieux. Des personnages récurrents apparaissent comme des « vieux amis » qui n’en sont pas tous, loin de là. Certains sont même des adversaires spécialement vicieux comme il y en a dans la vie de tout le monde et qui se faufilent pour recevoir leur part de lumière dans une vie qui n’en comporte souvent pas beaucoup. Mais je crois que de telles confusions sont inévitables quand l’auteur n’est pas historien. Moi-même je suis dans le flou sur nombre de dates et de lieux où se produisirent des événements pourtant majeurs de mon existence. Quand ai-je embarqué depuis le Maroc pour le rapatriement ? Était-ce le 6 août 1962, le 9 août ?

J’ai aussi ma part d’ambiguïté sur la façon d’apprécier les personnages qui ont traversé ma vie et pesé sur ses rebondissements. D’aucuns m’ont affronté à mort, que je continue de regarder avec tendresse. D’autres ont été mes amis et m’ont trahi de telle façon que leur seul souvenir continue de me remplir d’un dégoût nauséeux. Qu’importe en réalité, tant qu’il s’agit de mes démêlées avec moi-même.

Mais s’il s’agit de faire un récit à prétention informative, il faudrait aller au bout de l’exigence de sérieux de ce type de travail et tâcher de savoir et de situer avec précision. Cet exemple me permet d’illustrer cette exigence non comme un caprice personnel mais comme une conséquence logique de la prétention de ceux qui se lancent dans cet exercice.

Encore n’ai-je envisagé que le plus simple. Car lorsqu’il s’agit de choix et de décision politique une question essentielle doit être réglée. Quel est mon critère de décision au moment où je la prends ?

Ici la matière est plus rude à formater. Intervient un fort critère de préjugé du rédacteur-enquêteur. La question dépasse mon cas personnel. Quel est le critère qui conduit en général quelqu’un à sa décision ? Je n’étonne personne en disant que dans ce domaine on ne fait souvent que projeter ses propres façons de faire en les attribuant aux autres. C’est un grand classique du malentendu des premières rencontres entre personnes issues de civilisations différentes. Mais on peut souvent constater qu’il en va de même pour les rencontres entre personnes d’une même société. Pour peu qu’on ne vienne pas d’un même milieu social, les codes de comportement n’ont pas les mêmes significations et le risque est toujours très grand d’attribuer à des attitudes un sens qu’elles n’ont pas du tout pour leurs auteurs.

C’est en faisant ces raisonnements que j’ai pu m’extraire du mode douloureux que j’ai pu connaître au contact de nombre de ces portraits qui ont été fait de moi ces deux dernières années. Plutôt que d’y lire d’abord un récit à mon sujet j’y ai finalement trouvé une grille de lecture de la vie d’un « homme politique » telle que se la représentent mes contemporains. Naturellement il n’y a pas de règle générale en la matière. Juste des constantes. La plupart ne sont pas favorables.

Je ne parle pas du fond de sauce plus que méfiant sur les motivations d’un engagement politique. Je peux le comprendre vu ce que c’est devenu. Ni sur les soupçons parfois à peine voilés qui nous pensent tous plus ou moins corrompus soit par l’argent mal acquis soit par une ivresse du pouvoir. Chaque fois, j’ai pensé que le regard ainsi porté m’en apprenait surtout sur les névroses de ceux qui s’y abandonnaient. Je ne pense pas à leur propre obsession à propos de l’argent ou du pouvoir. Encore que j’ai eu l’occasion d’en connaître de bien bonnes sur quelques petits prix de vertu plumitive. Je pense à cet idéal qui est devenu un lieu commun : devenir un justicier. Étrange ambition qui condamne à une paranoïa permanente tant de beaux esprits !

J’y vois l’aveu des limites de l’ambition d’une époque et de la génération qui l’incarne. Le redressement des torts individuels compense celui qu’il est impossible d’infliger à l’ordre social qui l’engendre. Viennent d’abord en fond de scène les ratés de l’âge précèdent, maoïstes rouillés d’échecs, trotskistes croyants mais plus pratiquants perdus d’impasses, socialistes recalés de la course aux places, aigris de tous poils. A ceux-là s’ajoutent leurs enfants et plus largement la cohorte des enfants de la classe moyenne en voie de déclassement. Ils ne croient à aucune action collective. Mais ils tâchent encore de joindre l’utile carriériste à l’agréable égotique. Ils le font en assouvissant des vengeances que le système approuve pour se purger sans frais. A tous ceux-là s’ajoutent les entomologistes. Ceux-là examinent les « politiques » comme d’autres la biodiversité de la canopée.

Pour être franc c’est eux que j’accueille le mieux. Ils me font l’effet de n’avoir aucun compte à régler, ni avec leur passé ni avec leur famille. Je ne me suis jamais autant intéressé aux récits sur mon compte que lorsqu’ils sont venus de gens qui n’étaient « pas de la partie », comme on dit.

Ainsi, quand fut fait le reportage intitulé « la mécanique Mélenchon » sur LCP, rediffusé pendant les fêtes. L’auteur n’avait pas du tout l’air de m’apprécier, ni politiquement ni comme homme. De plus, sa spécialité est le portrait de sportif. Ce que je l’ai entendu dire au fils des jours passés ensemble m’a montré qu’il ne comprenait pas du tout ce que nous faisions. Pour autant, son film est sans prétention didactique ni moralisante, limité dans le temps et dans son objet. En cela il est insaisissable. Je l’ai trouvé tellement hors des codes politiques habituels, tellement extérieur et distancié qu’il m’a fasciné. Je me suis vu de l’extérieur, pour de vrai, sans l’ombre d’une intériorité qui aurait compromis mon regard en m’impliquant.

Vous le croirez si vous voulez, en le regardant j’en ai appris sur moi. Je veux dire qu’il a pointé des marottes, des expressions récurrentes, des comportements dont je n’avais pas vu, jusque-là, à quel point ils me représentent quotidiennement. Mouvement des mains, questions sur l’heure, tics de paroles, postures du corps, j’ai découvert ! J’ai adoré ! Peut-être est-ce parce que je suis toujours marqué par le goût du roman américain comme je l’ai tant aimé chez Caldwell d’abord.

Je crois que l’extériorité est la clef de la puissance d’un récit narratif. Ce récit-là, sans voix off, juxtaposant des moments d’action, sans témoignages autres que la chose vue par quelqu’un qui se moquait complètement de nos codes de posture m’a laissé pantois. Et je lui dois quelque chose pour la suite de mes dialogues intimes. Naturellement j’ignore totalement quel effet il a pu produire sur ceux qui l’ont vu. Je ne sais pas si ce récit sert mon action où la dessert ou s’il n’a aucun impact sur l’idée qu’on s’en fait en voyant ce film. Mais je m’en fiche.

Un autre récit filmé m’a aussi impressionné. Celui d’Alan Rothschild pour « Planète ». L’ambition est immense. Il s’agit de raconter ma vie pour montrer comment j’ai fait « pour en arriver là ». Je ne pouvais pas me mettre distance de ce récit. Le film ne le permet pas. D’abord à cause des séquences qui illustrent des moments lointains de ma vie où bien des choses se nouèrent dans mon esprit.  Ainsi quand est montrée la cohue du retour d’un million de pieds-noirs plus ou moins hagards ! Paradoxe : cet épisode m’a soudé affectivement aux maghrébins. J’ai d’abord été un « bicot » et un « bougnoul », en France ! Je sais ce que ça fait ! Comment ne serais-je pas totalement impliqué en nous voyant tous, si perdus, si épouvantés sur ces images ! Ensuite viennent les « témoignages ». Autant de coups de poing dans la poitrine ! Je connais chacun de ceux qui parlent. D’aucuns ont été des amis si chers ! Je connais donc le sens qu’ils donnent à leurs paroles et les comptes qu’ils continuent à régler autant avec moi qu’avec eux-mêmes.

Ils m’ont confirmé combien on parle de soi quand on parle des autres. Ce qui m’a agacé ou blessé s’est effacé dans les éclats de rire, que seul je peux avoir, mesurant la mauvaise foi qui parfois s’exprime. Et d’autres fois, la chaude affection qui nous unit dans le combat politique. Pourtant je sais que les spectateurs prendront pour argent comptant ce que chacun des témoins aura dit, bon ou mauvais, juste ou faux. « Pas grave », me dis-je. L’intérêt de ce film n’est pas là à mes yeux.

L’intérêt de ce film est dans la reconstruction du temps politique auquel il procède. Le travail d’archives et de mise en relation des événements est énorme. C’est un vrai travail d’éducation politique en ce sens qu’il place le « héros » du récit comme un produit de son temps. Je n’en suis qu’une illustration. Et tel est bien l’ordre dans lequel se place la vérité à mon sujet comme à celui de la plupart des militants politiques, hommes et femmes, qui se sont engagés, dans ma génération.

Dans ces conditions le récit est fort. Il est utile : chacun le voyant peut se reconstruire lui-même en mesurant sa propre insertion dans ce temps politique. Qu’il s’agisse du temps passé pour ceux qui ont vécu, ou du temps présent pour ceux qui commencent le combat.

Les proportions d’influence des événements et des personnes données par le récit du film ne correspondent pas toujours à mon ressenti. C’est inévitable. Il en va de même pour la place qui m’est attribuée dans la chaîne des événements.

Un ami très cher qui a vu ce documentaire, m’en à fait un résumé qui m’étrangle. Selon lui, ce récit montre que mon action n’a d’intérêt qu’à partir du moment où je romps avec le PS. Trente ans d’engagement ne vaudraient que par leur fin ? Je ne le crois pas. Mes trente ans de vie au Parti socialiste sont celle d’un homme de son temps qui a cru jusqu’à la limite de ce qui était raisonnable, et sans aucun doute un peu au-delà, que c’est là que se jouait l’essentiel pour la gauche. Ce fut le cas. Longtemps. Jusqu’à ce que le vote de 2005 sur le référendum puis sur les conséquences qui furent tirées montrent que le divorce était consommé.

C’est de la capitulation sur l’Europe libérale que vient pour moi la nécessité de rompre avec la social démocratie à l’agonie qui paralyse le mouvement progressiste aujourd’hui. Je ne veux pas que mon engagement politique soit interprété comme une apologie de la rupture avec le Parti Socialiste. Et encore moins comme l’histoire d’un règlement de compte avec des personnages du type de François Hollande.

Je le dis parce qu’une autre mode narrative prétends m’expliquer de cette façon et expliquer mon opposition à ce qu’incarne cet homme. Ma part de vérité est d’un autre ordre.

Dans mes actes, ce n’est pas la rupture qui compte, c’est la continuité. Le film de Rothschild le dit bien je crois. Mon engagement se mène au fil d’une longue vie d’engagement depuis l’age de seize ans. Il le fait dans des formes et des cadres différents au service d’une même idée et d’un même combat.

Chemin faisant je fais des bilans, je rectifie l’axe de travail, je tire des leçons, je remets en cause des certitudes, j’en conforte d’autres. Je ne suis ni dogmatique ni sectaire, ne prétendant ni avoir toujours eu raison sur tout ni que d’autres aient eu tort en tous points. C’est ce qui me donne de la force pour demander que la reconnaissance de mes actes de clairvoyance pèse au moins du même poids que mes erreurs reconnues.

De même ai-je pu m’accorder avec des gens qui étaient de purs adversaires auparavant du moment que l’on s’entendait dorénavant sur le fond. Mes guerres ne sont jamais personnelles. L’essentiel est que le fil des idées ne se soit jamais rompu. De là ma distance vis-à-vis des récits qui passent à côté de cette dimension essentielle qui a tout commandé dans mes choix et décisions.

Alors, comment lire le portrait sur quatre pages publié par le « Nouvel Observateur » sans être étonné d’une absence de taille. Dans cette biographie, même au détour d’une phrase, il n’est mentionné nulle part que je suis l’auteur de onze livres. Onze ! Les ai-je écrits pour ne rien dire ? Ne disent-ils absolument rien de moi ni de ce que je crois ?

Je n’écris pas ces mots sans tenir compte du fait que, selon mes amis, ce récit n’est pas défavorable puisque, pour une fois, « l’Obs » ne m’insulte pas, et que les photos ne me montrent pas comme d’habitude en diable grimaçant au nez rouge.

Mais faire de quarante ans d’engagement politique une collection d’anecdotes où je réglerai des comptes avec Pierre Paul ou Jacqueline n’explique rien sinon le lien des apparences et des circonstances. C’est juste l’air du temps présent qui est rendu dans ces récits. Celui des cyniques qui ne croient à rien ou se sont tellement trompés sans jamais en tirer une leçon qu’ils ont absolument besoin de d’impliquer tous les autres dans leur désarmement intellectuel et moral.

Que reste-t-il de tous mes textes présentés à chaque congrès et convention du PS dans ce récit de surface ? De quoi parlait-on à l’époque ? Que se passa-t-il quand l’amendement tiré du texte de la gauche socialiste intitulé « Maastricht c’est fini ! » fut majoritaire ? Comment me suis-je accordé alors avec Lionel Jospin qui m’échangea le retrait de mes lignes contre… Contre quoi ? Rien de tout cela n’intéresse le récit.

Quel rôle joue mon livre « Enquête de gauche » qui annonce mon départ du PS deux ans avant qu’il ait eu lieu ? Que pense Hollande du rôle que ce livre lui attribue depuis 1983 dans la dérive du PS vers la ligne « démocrate » ? Rien, pas un mot !

Mais ma présence aux funérailles de Pierre Lambert, voilà parait-il un sujet ! Pourquoi mes thèses sur le capitalisme financier transnational furent elles si disputées ?

Que voulaient dire les polémiques à propos de l’alliance rouge rose vert ? Pourquoi fut-elle rejetée par Fabius en 1992 et finalement adoptée par Jospin en 1997 ? C’est pourtant au sujet de tout cela que se firent ruptures, amitiés et combats au dernier sang.

Non, les idées n’étaient pas l’habillage de nos querelles personnelles. Je n’ai pas de querelles personnelles. Bien des personnages dont il est question à mon sujet m’indiffèrent absolument en tant que personnes. Mais je sais qui ils sont en raison de ce qu’ils pensent.

Ce fossé ne peut plus être comblé à présent que par des bulletins de vote, dans des élections sans tricheries. Mon but est de faire changer de ligne la direction de la gauche pour battre la droite. Pour cela je me réjouis de n’avoir plus rien de commun avec les fossoyeurs de l’idéal socialiste qu’ils sont !

Eux, leurs pompes dans l’Hérault, leurs splendeurs en Bouches du Rhône, leurs exploits en Pas de Calais et ainsi de suite, ramassis de bourreurs d’urnes de congrès qui présentent le premier bénéficiaire politique de leur trucages pendant onze ans comme candidat.

Je ne connais pas François Hollande comme personne. Sans aucun doute est-il charmant et drôle comme le rapporte la rumeur. Lui-même m’a dit que la différence entre nous deux est que je crois l’histoire tragique tandis qu’il se dit par nature confiant.

Mais pour moi, il est d’abord l’homme qui fut le premier à relayer en France les thèses de Bill Clinton qui seront ensuite illustrée par Tony Blair.

L’homme qui  écrivait le livre de Max Gallo « la troisième alliance- pour un nouvel individualisme ».

Celui qui prêtait anonymement à la radio sa voix en 1982 à un auteur se présentant comme de droite extrême, en fait Bercoff, sous le pseudonyme de Caton.

L’homme qui proposait comme programme en 1983, dans une tribune pour le journal « Le Monde » :« soyons moderne, soyons démocrate ». Il n’a jamais démordu de sa ligne.

Moi non plus de la mienne. Je crois que mon pays a un rôle révolutionnaire dans l’histoire qui s’écrit en ce moment et qu’il va l’accomplir.

Lui ne sait pas de quoi je parle. Je suis copain d’Oskar Lafontaine, lui de Zapatero. Je lui souhaite une bonne année, meilleure que celle de Sarkozy, moins bonne que celle de mon projet.  

Voici à présent le texte de l’entretien avec François Xavier Guillerm que j’ai eu à la veille de ce qui devait être mon départ pour un séjour politique aux Antilles, à la Guadeloupe et en Martinique. J’ai dû annuler ce séjour pour des raisons familiales. Pour autant tout avait été préparé de longue main. Ce long entretien pour l’agence de presse faisait partie d’un plan d’expression sur les outre-mers français dont mes lecteurs se souviennent peut-être que je l’ai commencé à l’occasion de mon séjour à la Réunion.

Depuis des années, j’ai assez largement fait le tour de ces territoires. Je suis allé en Nouvelle Calédonie-Kanaky, à la Réunion, à Mayotte, à La Guadeloupe, la Martinique et la Guyane. Le défi qu’ils incarnent permet un renversement de perspective.

Mon idée est qu’en répondant aux questions qui se posent là-bas dans leur crudité, parfois si blessante pour l’esprit républicain, on répond aussi aux problèmes de la métropole. C’est sous cet angle que j’ai traité dans ces colonnes du plan d’autonomie énergétique proposé à la Réunion. Depuis cette date je n’ai cessé de penser les problèmes de cette façon : et si nous étions une île ? Pensons-nos territoires comme autant d’îles, ça nous rendra plus audacieux! Voici donc une pause de cette sorte dans le flux de mes notes.

François-Xavier Guillerm : « Est-ce que le Front de gauche a prévu un volet outre-mer à son programme de campagne ? »

JLM : « Un volet ? Non, on ne travaille pas comme ça. Il faut d’abord s’accorder sur une vision et une ambition. Tout commence par là ! Je fais partie des dirigeants politiques qui connaissent l’outre-mer. Je ne cherche pas à le flatter. Je lui propose une ambition commune. Je dénonce les visions compassionnelles ou misérabiliste. L’électoralisme est souvent un point de vue étriqué. Par exemple, dans la Caraïbe, poser la question du développement endogène, c’est s’obliger à penser la question du changement de leur relation avec les pays du sous-continent américain. Comme cette pensée est galvaudée je dois mettre tout le monde au pied du mur en parlant clair. J’estime que la Guadeloupe et la Martinique devraient être partie prenante de l’ALBA (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique) et de la CELAC (Communauté des États latino-américains et des Caraïbes). Si on ne comprend pas ça, je me demande ce que nous allons faire dans cette région. Qu’y fait-on ? Quelle est la perspective d’avenir ? Peut-on ignorer le continent qui se trouve à côté ? Doit-on se penser comme le bord d’un monde ou le commencement d’un autre ? Non, les relations devraient être extraordinaires… Les Français des caraïbes pourraient être des acteurs centraux de la région compte tenu de leur avance technique donnée par leur industrie nationale, et leur haut niveau d’instruction et qualification.… »

Quel regard portez-vous sur la relation de la République avec ses Outre-mer ?

« Je vis avec mon temps et mon temps ne pose pas la question des distances comme il y a un siècle ou cinquante ans ! Par conséquent, j’ai tendance à récuser les mots qui croient nommer en ne disant rien sur ce qu’ils désignent mais tant sur celui qui les utilise!… Comme « ultrapériphériques » pour designer des régions européennes! Le mot montre juste la pensée bornée de celui qui l’a trouvé ! Ce serait moins exotique mais on ferait mieux de parler de régions insulaires. Car le véritable dénominateur commun des situations, c’est l’insularité. J’inclurai volontiers dans cette définition la Guyane qui est comme île au bord de l’Amazonie. L’autre caractéristique c’est le modèle d’insertion de ces iles dans le modèle capitaliste de notre temps. »

Vous parleriez d’économie de comptoir ?

« Précisément, le modèle que propose l’Union Européenne, c’est l’économie de comptoir ! Pendant presque un demi-siècle, les progressistes se sont battus sans relâche pour un modèle de développement endogène. Et pendant des décennies, nous avons affronté une droite qui, elle, était, bec et ongles, accrochée à quelques intérêts économiques et quelques familles qui vivaient pour l’essentiel du contrôle du droit d’entrée et de sortie des marchandises. Actuellement, les nouveaux partenariats économiques ont placé tout le monde sous l’égide de la concurrence généralisée. Ce modèle assigne aux régions insulaires un rôle de hub de passage des marchandises européennes manufacturée vers des continents désarmés par les accords de libre-échange. A mesure que l’Europe exporte la règle de la libéralisation, ses produits manufacturés se déversent en transit par ses territoires « ultra périphériques » conçu comme des postes avancés en territoire commercial à submerger. En contrepartie, on concède la liberté de circuler aux produits agricole. Tout le monde y est perdant. Car les agricultures vivrières sont éradiquées au profit de produits de l’agriculture productiviste, à très bas prix et de mauvaise qualité. On a vu ça pour le cas de la banane, en écrasant toutes les productions locales. Tout ce qui a été construit dans les territoires insulaires de la Caraïbe, mais aussi dans les Océans Indien ou Pacifique, est menacé par cette ouverture généralisée. Elle tue net tout objectif de développement endogène. La droite et les sociaux libéraux s’en réjouissent car ils ne croient qu’au mythe de la libre circulation garante du développement. »

Qu’opposez-vous à ce système ?

« Nous sommes en bataille sur deux fronts. Contre les libéraux représentés par l’UMP ; ceux-là sont nos adversaires. Le système c’est eux ! Ensuite contre nos concurrents, les socialistes qui, eux, se croient modernes en accompagnant le modèle économique libéral. Ils combattent avec des airs de modernité extrêmement ampoulés et prétentieux le choix du développement endogène. Ils ne croient qu’à l’économie de service. »

Le développement endogène, c’est la grande bataille du gouvernement et de Nicolas Sarkozy…

« Là aussi, il faut se mettre à la page ! Sarkozy est maître d’une technique de communication qui a été inventée par Tony Blair en Grande-Bretagne, qui s’appelle la triangulation. Ca consiste à prendre les mots de ses adversaires pour les vider de leur sens. C’est comme ça que vous voyez M. Sarkozy faire des discours contre le capitalisme, pour moraliser la finance, pour réduire le rôle des banques. Le développement endogène fait partie de ses usurpations. Mais il fait tout le contraire. »

Comme quand il parle du « peuple martiniquais » au Panthéon lors de la cérémonie d’hommage à Aimé Césaire ?…
« Voilà ! Ca, c’est typique, en effet ! Comme l’épisode Guy Moquet… Nous voyons là le caractère très globalitaire de ce type de propagande et de l’ordre dominant qui empêche de penser en volant les mots. Je crois que c’est là le sommet de la communication de propagande. Mais dans la réalité, la politique de Nicolas Sarkozy, c’est celle de la concurrence libre et non faussée. C’est pour ça qu’il est le saccageur du développement endogène. Ses amis sur le terrain ne le démentent pas. »

Que proposez-vous en matière de développement endogène ?
« Une méthode. La planification écologique ! Je propose un exemple. Celui qu’a voulu faire vivre Paul Vergès. Il est parti d’un grand besoin incontournable, contemporain : la production énergétique. Il a voulu démarrer par un plan d’autonomie énergétique. Et ce plan met aussitôt en mouvement toute une série de techniques qui appellent autant de main d’œuvre, autant de qualifications… Pour l’énergie motrice de la mer, il faut les centres de recherche pour mettre au point des machines, il faut le personnel formé pour savoir les fabriquer et les faire tourner, les entretenir. Et, bien sur, il faut les entreprises. Voilà comment, à partir d’un objectif, là produire de l’énergie, on construit toute une chaîne de métiers, une chaîne de qualification. A partir de là, du salaire est distribué, celui-ci va à la consommation et si on prend les mesures qui protègent les productions et les consommations vivrières, vous commencez à atteindre les points d’équilibre du développement endogène. Tels sont les cercles vertueux du développement local. Voilà comment je me représente la ligne de la planification écologique comme moteur du développement endogène. »

Quelle politique économique alors ? Défiscalisation ? Subventions ?
« Tout ça, ce sont des variantes de la même chose. On pense qu’en caressant la tête du capital, on gagnera sa bienveillance et sa gentillesse. Je ne suis partisan de rien de tout ça qui n’a jamais fait la preuve de la moindre efficacité économique. Je suis partisan de l’investissement productif écologique . Ou bien l’investissement privé se fait, ou bien, c’est l’État ou les collectivités locales qui prennent le relais. L’investissement privé dans ce cas est assez essentiellement prédateur et même spéculatif. Il faut donc s’appuyer sur d’autres leviers de propriété pour investir. Je pense à une propriété sociale plus importante, qu’elle soit régionale, départementale, que ce soient des coopératives ouvrières, mutuelles ou capital d’État par la propriété nationale lorsque la Caisse des dépôts et consignation est en situation d’investir. »

Le chômage est supérieur de deux à quatre fois par rapport à l’Hexagone, et chez les jeunes, c’est encore pire. Que proposez-vous ?

« J’entends trop souvent répondre que c’est une affaire de formation ! Attention, on peut avoir les chômeurs les mieux formés du monde ! S’il n’y a pas d’initiative entrepreneuriale, si la totalité du modèle économique parasitaire méprise les opportunités locales, il n’y aura aucun développement durable. Une fois de plus il faut donner une direction. La planification écologique est notre outil. Exemple, le retour des agricultures vivrières devra s’appuyer sur une industrie de transformation agro-alimentaire. Je suis consterné de voir l’état de désastre avancé de l’agro-alimentaire, son incapacité à penser d’autres sortes de production… L’élite caraïbe doit s’emparer des leviers de commandes ! La main invisible du marché ne peut rien pour elle ! Voyez comment la méthode de Paul Vergès portait du futur ! » 

Vous revenez à l’exemple réunionnais du GERRI…
« Je sais qu’à présent la droite a saccagé ce plan d’autonomie. Mais je m’étonne que cette façon de voir ne soit jamais posée par la gauche social-démocrate. Elle reste sur un modèle très continental et européen : aidons le capital à prospérer et les miettes qui tomberont seront plus grosses à partager. Ils restent fascinés par la stabilité de la rente financière comme moteur de l’économie. C’est le modèle de la politique « austéritaire » actuelle, imposé par l’union européenne qui va tuer toute possibilité de respiration économique des territoires dont les cris ne seront même pas entendus de la métropole lorsqu’ils auront lieu. »

Pour autant, on a donné la parole aux Guyanais et aux Martiniquais pour choisir de faire évoluer leurs institutions…
« La discussion statutaire a été souvent le prétexte à ne poser aucune des questions économiques fondamentales. On a, de cette manière, provoqué des batailles rangées qui ont enkysté des oppositions au moment où il serait plus judicieux de provoquer une réflexion commune et une mobilisation sur le modèle de progrès humain local. La question essentielle pour moi est celle qui va départager les libéraux et les planificateurs du modèle social écologiste.

Pensez-vous que les socialistes soient condamnés à poursuivre la même politique « austéritaire » que celle de la droite ?

« Je n’arrive pas à le croire ! En ce moment c’est la stupeur. En quelques jours François Hollande a annoncé un plan d’austérité qui prévoit 50 milliards d’économies budgétaires, il a renoncé à la retraite à soixante ans et fait appel à Bayrou ! Cette contraction de la dépense publique et sociale conduit la société dans une impasse. François Bayrou a, lui, prévu 100 milliards… Tout ça va être prélevé quelque part ! Ce sont des infirmiers, des postiers, des agents des services publics partout en moins… Or, l’emploi public peut être un moteur du développement endogène. Dès lors, on peut dire que l’élection présidentielle va aussi fonctionner, là comme ailleurs, comme une sorte de referendum pour ou contre l’austérité. Nous, nous sommes pour la relance sociale et écologique de l’activité ; eux sont pour l’austérité. Alors vous avez le choix. »

Ca va déjà se discuter avec le vote du budget…
« Nous en sommes au quatrième collectif budgétaire ! La France est entrée en récession et pourtant la pente prise est celle de l’austérité croissante… Cela veut dire : contraction de la dépense publique sur laquelle repose tous les efforts d’infrastructure de nos territoires ; contraction de la dépense sociale, donc la fin de toute espérance d’avancer vers l’égalité des droits entre les îles et la métropole. Cette politique, quels que soient l’habillage et l’emballage, tuera tout ce qui a commencé à être construit par les territoires. »

« Nous sommes tous condamnés au métissage. La France métropolitaine est métisse », m’avez-vous dit. Vous sentez-vous glissantien ? »

« Glissant, Chamoiseau, Césaire et les autres… Je ne veux pas abuser de leur autorité. Ils sont dans une dimension de l’esprit qui n’est pas étroitement celle de l’action politique dans laquelle je suis placé. L’action est manichéenne. Je fais ou je ne fais pas. La pensée, elle, se situe dans un horizon temporel qui n’est pas celui de l’action immédiate. Je voudrai que ma façon de voir soit utile ; je suis un homme né à Tanger dans la tradition de l’universalisme humaniste et mon expérience de la vie, d’élu d’une banlieue où il y a 93 nationalités, me font savoir par expérience que la diversité est source d’humanité. La diversité produit et reproduit de l’humain, tandis que l’uniformisation ne produit que des consommateurs standardisés. La France des élites héréditaires a un regard très daté qui continue à distinguer entre les Français et à pratiquer un universalisme plus compassionnel que réellement égalitaire et militant. Ils vivent dans un monde, presque celui des békés. Ils n’ont pas l’air d’être au courant que les autres existent. Ils ne pensent qu’à eux et ne pensant qu’à eux. Ils ne s’aperçoivent pas de leur propre déchéance sociale. »

Que pensez-vous de la démarche d’Oscar Temaru qui veut réinscrire la Polynésie sur la liste de l’ONU des pays à décoloniser ?

« C’est une erreur de perspective. Mettre en cause le modèle institutionnel sans mettre en cause le modèle du capitalisme financier de notre époque me parait très mal ajusté.   S’il y a une économie atrophiée et des abus et des excès de prédation de toutes sortes, je ne crois pas qu’on fasse avancer le combat pour l’émancipation en le prenant par le bout institutionnel qu’a choisi Oscar Temaru. Le nationalisme contourne la question du partage des richesses et celle du modèle économique que l’on défend. »

 

 

 

Mon commentaire (sur le blog de FATARELLA): A la fois distancié et impliqué, une réflexion ferme et tonique... Une finesse d'analyse...il  ne joue pas à cache cache avec le lecteur-citoyen, Mélenchon. Le contrat est clair et l'homme apparait sincère, honnête, sans faux fuyants... Ca ne donne pas dans la tentative de  manipulation des esprits.

Marrant le commentaire  de Christian Paultre : un petit manque de pondération?.. un peu "kakou" (comme on dit dans les "zones", chez ceux qui n'ont pas voté Hollande)   le style. Un petit zeste d'ironie (ou de manque de respect)  manque de respect pour une gauche qui ne se renie pas, et ses militants?    Allons allons... il parait qu'il  faut rassembler, n'est-ce pas ? et ne pas pérenniser les longues et anciennes habitudes d'un certain PS... Courage Christian, courage, c'est possible, mais oui!
;-D

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Commentaires
J
qu'il est + proche de Bayrou
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J
Hollande tire trop à D et je n'aime pas ses faux fuyants (par ex, entre nbreux autres, le coup de tél à JLM pour dire qu'il ne pêut pas être à la fête de l'huma parceque en déplacement en Corse, et rancontant ds le même temps qu'il est + proche de Bayrou que de Mélenchon... J'ai horreur des faux culs!<br /> <br /> De plus avant de le lire et de l'écouter, je le prenais pour une "grande gueule"... certes il l'est aussi, mais depuis que j'ai commencé à écouter ses analyses je suis attirée tant par leur finesse, la détermination des réponses qu'il apporte à l'état des lieux (lui aussi perçu très finement) , et son absence de langue de bois... <br /> <br /> Vraiment un "type bien", en qui j'ai confiance alors que je me méfie de FH, trop sujet aux retournements et ne produisant aucune analyse (ou alors je ne l'ai pas compris!!!)
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E
Oui, c'est très intéressant et ne peux que me renforcer dans ma détermination à voter Front de gauche.<br /> <br /> Bonne année, Jocelyne, bons combats.
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J
En plus il est poète et philosophe et très... touchant dans ce discours.<br /> <br /> <br /> <br /> Là, il m'a touchée là où il fallait... c'est la seule chose que je comprends, le coeur.<br /> <br /> <br /> <br /> Tout le reste vient s'y ajouter, simplement et naturellement, l'intelligence ne peut être issue de l'intellect, seul le savoir peut l'être, mais il lui manquera toujours l'essentiel au savoir : le sens de la vie.<br /> <br /> <br /> <br /> Chapeau, Monsieur, je m'incline.<br /> <br /> <br /> <br /> Et c'est rare.
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V
JL MELENCHON SAIT CE QUIL PEUT FAIRE? IL SAIT AUSSI OÜ SONT SES LIMITES MAIS LA PASSION DE CE QUIL FAIT EST INTACTE ET IL ARRIVERA A SES FINS, REMETTE L HUMAIN AU CENTRE DE TOUT
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