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11 janvier 2012

On est allé visiter la cité de Morano : « Alors la Nadine... »

 
 
 
Zineb Dryef
Journaliste Rue89
 
La ministre est fière de venir d'un quartier populaire de Nancy, mais pour ceux qui y vivent, elle est une politique comme les autres : elle ne les représente pas.

(De Nancy) Qu'on se le dise, Nadine Morano est une gamine du Haut-du-Lièvre, le « Hautdul », la pire cité de Nancy. « De la région ». Le chauffeur de taxi qui m'y emmène depuis la gare ce lundi de janvier fait dans la surenchère. Durant les dix petites minutes que dure le trajet jusqu'à ce quartier, dans les hauteurs du nord de la ville, il n'a de cesse de s'étonner :

« Vous êtes sûre qu'elle vient de là ? Nous, on ne prend pas les commandes la nuit. Les livreurs de pizza non plus. Vous êtes vraiment sûre ? »

Qu'une ministre soit née dans cette concentration d'immeubles HLM lui semble « fou ». Il n'en revient pas.


L'immeuble de Nadine Morano au Haut-du-Lièvre, détruit depuis, le 9 janvier 2012 (Zineb Dryef/Rue89)

Pourtant, la petite Nadine a bien passé son enfance dans cette étendue de barres aux noms d'arbres : Le Cèdre bleu, Le Tilleul argenté, Le Sycomore blanc, Le Hêtre pourpre... Cette dernière, celle où a grandi la ministre, vient de tomber ; le quartier est en pleine rénovation.

Nadine Morano porte fière ses originaires populaires. Elle a traîné son seul biographe connu, Guy Carlier, dans les allées du Hautdul autour de 2008. Il en a tiré « Une chanson populaire », curieux ouvrage dans lequel il mêle ses opinions sur la vie politique française aux souvenirs de « Nadine » : son cinquième étage duquel elle déboule un jour pour hurler sur un voisin du deuxième qui écoute de la musique à fond, les jeux au pied de l'immeuble, « le bonheur » passé dans cette cité.

Version télé, ça donne une promenade sympathique dans le quartier, filmée par « Envoyé Spécial » à la fin du mois de décembre dernier. On y voit Nadine Morano insister sur ses 25 années passées dans cette cité, comme elle l'a fait au micro de France Inter, sur Twitter... « Ma cité ».

 

« Elle me faire rire aux “Guignols” »

24 ans après son départ, l'ombre de Nadine est-elle encore présente dans les esprits de ces habitants, classe ouvrière, populaire, chérie de la ministre ? Le plus frappant est la surprise totale, non feinte, de tous ceux qui découvrent qu'elle vient de « là ». Colette Streiff, qui lui a « déjà serré la main », aurait juré que Nadine Morano était de Toul.

Colette n'aime pas Nadine Morano, elle la trouve « arrogante ». Elle qui n'a jamais quitté le quartier – « je me suis occupée de mes enfants » – ne voit pas bien en quoi elle les représente :

« Tenez, j'étais chez des cousines il y a deux jours. Pas très loin d'ici, de l'autre côté de la rue. On a parlé de Nadine Morano. Eh bien, on ne l'aime pas beaucoup. Mais qu'est-ce qu'elle me fait rire aux “Guignols” ! »

Elle aurait bien aimé discuter davantage mais ne veut pas se mettre en retard. Elle vient d'avoir 84 ans et s'apprête à aller à la gym. Elle rit, dit que ce n'est pas vraiment de la gym mais « des exercices d'équilibre et de mémoire. Pour les vieux ».

Le quartier est populaire mais un grand nombre de devantures témoignent du souci de le désenclaver (Pôle emploi, Poste, banques, associations en tout genre...).


La mairie de quartier du Haut-du-Lièvre (Zineb Dryef/Rue89)

 

« On ne veut rien d'autre que du boulot »

« Tout ça, c'est pour les Blancs... », commente, amer, M. Il réside au Cèdre bleu, célèbre pour avoir été l'une des plus grandes barres d'Europe jusqu'à la rénovation récente du Haut-du-Lièvre. Il est même né au Cèdre bleu. Il a longtemps travaillé à Florange, sur le site d'Arcelor. Une débâcle qui fait aujourd'hui de lui un « père de famille au RSA ».

« Je suis peut-être en jogging un lundi après-midi mais ne vous trompez pas : je suis marié, j'ai deux gosses. »

Parler de « la Nadine » ne l'intéresse pas. Qu'a-t-elle fait pour le quartier ? demande-t-il avant de répondre lui-même : rien du tout. Il montre au loin le nouveau centre pénitentiaire :

« Regardez-là et derrière, le chantier du Hêtre pourpre. Oui, là où il y a tout ce gravas. Vous croyez quoi ? Qu'ils ont pris des gars du quartier ? Rien du tout ! Ils ont fait venir des gens de Marseille et de Paris !

Ils ont détruit, ils reconstruisent et nous on est là, sans travail ! On aurait pu travailler, on est nombreux, on ne demande que ça du travail pour nourrir les gosses. Dites-lui à Morano, dites-lui qu'on ne veut rien d'autre que du boulot. »

 

« Elle va nous donner quoi Morano ? »

Il ne fait pas mystère d'avoir voté Sarkozy en 2007, comme 19% des habitants du Hautdul, mais il ne croit plus aux promesses des politiques :

« Alors, la Nadine... c'est même pas la peine qu'elle vienne même nous parler. Au moins, Rossinot [maire de Nancy, ndlr], il vient nous parler. Mais il nous demande toujours d'envoyer un courrier comme si ça servait à rien ce qu'on venait de dire. »

Ce discours, entendu des dizaines de fois dans tous les quartiers défavorisés de France, va m'être répété plusieurs fois au Haut-du-Lièvre. Toujours ce même sentiment tenace de s'être fait berner. Un jeune garçon déscolarisé qui ne croit plus en l'école ne sait pas qui est Nadine Morano et s'en moque. M., un peu plus au fait de la politique, n'en veut pas tant à la ministre qu'à sa propre naïveté :

« J'y ai cru au “travailler plus pour gagner plus” et on s'est fait enculer. Moi, je préfère voter Marine Le Pen que Nadine Morano maintenant. Elle, c'est une vraie femme parce que Nadine Morano, elle va nous donner quoi Nadine Morano ?

Elle a eu le titre honorifique de ministre mais j'ai envie de lui dire que nous aussi, on en veut du changement. Suffit pas de jouer du pipeau. »


Une barre HLM du Haut-du-Lièvre, le 9 janvier 2012 (Zineb Dryef/Rue89)

 

Morano ? « Je connais pas »

« Je connais pas, désolée. » Stupeur. Comment ça, vous ne connaissez pas Morano ? « La politique, c'est compliqué et je suis allemande », m'explique la dame rousse. Quand je la recroise quelques minutes plus tard, devant le tabac, elle se rappelle un nom : Eva Joly.

Il n'est pas rare que des habitants du Hautdul ignorent totalement qui est Nadine Morano. Mais aussi Jean-Luc Mélenchon. Les politiques connus ici sont les deux finalistes de la dernière présidentielle et un peu François Hollande. On vote peu dans ce quartier : aux cantonales, c'est dans ce quartier qu'a été enregistré l'un des records nationaux d'abstention, plus de 65%, parfois 80% d'abstention dans plusieurs bureaux.

Il y a aussi ceux qui ne votent pas parce qu'ils sont étrangers. C'est le cas de l'Italien. D., ouvrier retraité, est heureux même s'il dit que sa vie a été « difficile ». Il secoue la tête en entendant le nom de la secrétaire générale de l'UMP :

« La Morano, elle est pour les riches, pas pour les pauvres diables. Ça s'entend.
– Comment ça, ça s'entend ?
– Quand elle parle, c'est seulement pour protéger Sarkozy, comme un cocker. Sarkozy, c'est les riches, non ? »

Quant aux plus jeunes, ceux qui fréquentent encore le café désert où l'on écoute Modern Talking, ils ne croient plus au mérite et à l'école. Y. est sidéré : « Mais comment elle a fait pour partir d'ici ? », demande-t-il. Il ne croit pas aux « légendes ». C'est lui qui utilise ce mot. La « working class hero » décrite avec justesse par Guy Carlier, les gens d'ici n'y croient plus. « C'était avant qu'on pouvait réussir, maintenant c'est fini », a dit le garçon déscolarisé

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