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20 janvier 2012

Pourquoi les journalistes doivent voir Les Nouveaux Chiens de garde

Samedi dernier, j’ai vu Les Nouveaux chiens de garde. Le lendemain, j’étais de permanence à la rédaction. Et ça m’a fait tout drôle.

J’évacue tout de suite: j’ai des rapports rien moins qu’amicaux avec les dézingueurs d’Acrimed, la cheville éditoriale du film, spécialiste de la caricature, du procédé douteux, du procès en sorcellerie et de l’a priori idéologique. Je n’avais pas aimé le livre de Serge Halimi, dont est naturellement tiré le film, ses caricatures, ses procédés douteux, ses procès en sorcellerie et ses a priori idéogiques. Pas plus que je n’aime les caricatures, les procédés douteux, les procès en sorcellerie et les a priori idéogiques des Nouveaux chiens de garde, the movie. Caricaturer Laurent Joffrin en serveur de soupe de Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy parce qu’il a posé aux présidents des questions mal formulées, carboniser Nicolas Demorand parce qu’il aurait bradé son âme à l’antéchrist privé, accuser Jean-Marie Colombani d’avoir vendu le Monde au Grand Kapital en l’ouvrant au monde de l’entreprise, ça frise l’escroquerie – et, accessoirement, ça m’énerve. Comme m’énervent l’absence de contrepoint et les amalgames: sous-entendre que les quelques spécimens incontestablement indignes épinglés par Gilles Balbastre et Yannick Kergoat incarnent une profession ni très populaire, ni très privilégiée, ni foncièrement malhonnête, c’est de la démagogie, presque aussi dangereuse, de mon point de vue, que les dérives qu’ils dénoncent.

Mais.

Mais, dimanche, j’étais de permanence.

Pour vous dire, de permanence à LEXPRESS.fr, le week-end, c’est notamment garder l’oeil rivé toute la journée sur nos sources, en vrac les réseaux sociaux, les agences, les confrères mais néanmoins concurrents, Google et Yahoo News, les radios, les émissions politiques. Et les chaînes d’info en continu, BFM-TV, iTélé et, quand il y a du rugby comme dimanche, France Télévisions.

 

C’est – avec les comportements déshonorants de quelques stars du petit écran, Jean-Pierre Elkabbach et Michel Field en tête – l’une des démonstrations les plus troublantes et les plus convaincantes des Nouveaux chiens de garde: comment une poignée d’experts économiques autoproclamés colonise les plateaux télé, les matinales radio, les colonnes des journaux – un peu moins les sites d’info, mais pour combien de temps? Tous portent, peu ou prou, le même message: la France est confite dans le laxisme social et financier, ça ne peut plus durer, le temps des efforts est venu, il faut se mettre au boulot, les gars, se serrer la ceinture, il faut R-E-F-O-R-M-E-R. Je vous laisse découvrir le détail, mais voir Alain Minc, en pleine apocalypse boursière,  se féliciter à répétition des capacités auto-immunes du système financier est à la fois désopilant et sidérant.

Le dénommé Michel Godet (que je n’avais pas le plaisir de connaître mais je ne regarde pas la télé, j’ai des excuses) en est un autre, universitaire néo-libéral aux accents convaincants du type qui s’est fait tout seul et qui sait de quoi qu’y cause quand il explique que tous ces fainéants de Français sont trop payés et trop protégés et qu’il faudrait lâcher la grappe aux petits chefs d’entreprise courageux qui bossent, eux – jusqu’à ce qu’on apprenne que le Monsieur est maqué avec quelques grandes entreprises du CAC 40 qui donnent à son discours un aspect tout de suite moins spontané.

 
Michel Godet à C'dans l'air : qu'a-t-il mangé ? par noop



Dimanche, donc. En boucle sur BFM-TV et iTélé, des débats plein d’invités, tous l’air sérieux, compétent, responsable, inquiet – de la perte du triple A, de la dette, des difficultés de la France dans le monde… Interviewés par des journalistes interchangeables, tous l’air sérieux, inquiet et responsable. Tous défendant, dans les mêmes termes, une thèse unique: fini de rire, les lendemains ne vont pas chanter, la France dépense trop, depuis trop longtemps, ses règles sont trop contraignantes, les marchés n’aiment pas ça, écoutons les marchés, R-E-F-O-R-M-O-N-S.




Je n’ai pas d’avis sur le sujet – pas d’avis que je vous donnerai ici, en tous cas. Mais j’ai pris au milieu du front la balle tirée par Les Nouveaux chiens de garde: à ce niveau d’unanimité et d’omniprésence, ça relève du lavage de cerveau – délibéré, comme le film le soutient, ou inconscient, comme j’ai tendance à le croire, c’est une autre (passionnante) question. Je trouve à cet égard que les réalisateurs passent trop vite sur l’absence de diversité des journalistes, leur homogénéité culturelle et sociale, et la sclérose qui en résulte.

Zapping sur France 2 – qui diffusait une rencontre de la Coupe d’Europe de rugby. Avant, pendant la mi-temps, après le match, la bande annonce d’une émission du soir, Non élucidé, sur « les meurtres mystérieux de Perpignan » et cette « jeune femme de 21 ans retrouvée morte et mutilée dans un terrain-vague de la ville ». Anxiogène, dramatisée à outrance, calibrée pour faire flipper le populo. La veille, Les Nouvaux chiens de garde me demandait si les télés allaient, comme en 2002 et 2007, filer un coup de main aux candidats sécuritaires à l’élection présidentielle. Aujourd’hui, je peux répondre.

 

 

Les Nouveaux chiens de garde est un pamphlet – et ne s’en cache pas. Il est de mauvaise foi par nature, exaspérant par nature, provocateur par principe. Il met à jour un tas de réalités scandaleuses et empile un tas équivalent d’approximations scandaleuses. Comme l’explique mieux que moi Laurent Joffrin, il cache aussi soigneusement ses objectifs politiques que les experts qu’il harponne cachent leurs jetons de présence dans les plus grands conseils d’administration – et ça aussi, c’est très énervant.

Tous les journalistes devraient le voir.



Commentaire: quoiqu'il en soit, un film à voir, par tous

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