Thomas Sankara, l’homme intègre
Rarement président africain aura autant incarné la dignité et la volonté d’exister d’un continent meurtri. Assassiné le 15 octobre 1987, le président du Burkina Faso, Thomas Sankara, est devenu un symbole et une référence politique majeure pour toute l’Afrique. Les points cardinaux de son action, durant ses quatre ans au pouvoir, étaient : lutte contre la corruption, développement autocentré, condamnation du néocolonialisme, éducation et santé pour tous, émancipation des femmes. Dans tous ces domaines, il a adopté des mesures concrètes comme la réduction du train de vie de l’Etat (à commencer par le sien propre), interdiction de certaines importations de produits alimentaires et réforme agraire, campagnes de scolarisation et de vaccinations (pour lesquelles il a reçu les félicitations de l’Organisation mondiale de la santé), dénonciation des ingérences françaises, interdiction de la polygamie et lutte contre l’excision, etc.
Les commémorations du vingtième anniversaire du coup d’Etat au cours duquel Sankara a trouvé la mort s’accompagnent de conférences, de débats et de concerts au Burkina Faso mais aussi en Europe et dans le reste du monde. Ces manifestations se déroulent malgré les menaces de mort lancées contre certains de leurs animateurs.
En mai 2006, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a fait droit à une demande de la Campagne internationale justice pour Sankara (CIJS), effectuée au nom de la veuve de Thomas Sankara, Mariam. Il a demandé au gouvernement actuel du Burkina Faso, issu du putsch de 1987, de diligenter une enquête indépendante sur les circonstances de la mort de Sankara et de rectifier son certificat de décès (il porte toujours la mention « mort naturelle »). La procédure se poursuit et une pétition de soutien à la CIJS est lancée. La décision du Comité représente une première dans la lutte contre l’impunité concernant les auteurs de coups d’Etat.
Dans Le Monde diplomatique :
- « Thomas Sankara où la dignité de l’Afrique », par Bruno Jaffré, octobre 2007 (dans les kiosques). Les commémorations de l’assassinat de Sankara qui ont lieu dans le monde, en dépit de certaines pressions, soulignent l’universalité de son héritage politique : la pensée et l’action de l’ancien président burkinabé, réputé pour sa probité, annoncent l’altermondialisme.
- « Menaces sur les commémorations de l’assassinat de Thomas Sankara », par Anne-Cécile Robert, La valise diplomatique, 18 mai 2007. Devenu un symbole politique, non seulement en Afrique mais dans le monde entier, Thomas Sankara a légué un héritage intellectuel et politique qui inquiète certains, et pas seulement au Burkina Faso.
- « Thomas Sankara : décision historique des Nations unies », La valise diplomatique, 12 avril 2006. Le Comité des droits de l’homme de l’ONU a donné raison à Mme Sankara et au Collectif juridique international « Justice pour Sankara », qui contestaient les entraves mises par les autorités du Burkina Faso à toute enquête ou procès concernant les circonstances de la mort de l’ancien président.
- Résistances africaines, Manière de voir n° 79, février-mars 2005. L’Afrique semble crouler sous les problèmes : guerres, massacres, coups d’Etat, crises politiques et sociales, dictatures, maladies, exodes... Et pourtant, là comme ailleurs, des femmes et des hommes luttent pour leurs droits et leur dignité.
- « Le Burkina-Faso à l’ombre de Sankara », par Michel Galy, décembre 1996. Le « pays des hommes intègres » semble connaître une démocratisation réussie. Mais, loin des palais nationaux, le travail souterrain de la mémoire a transformé lentement Sankara en héros mythique, au panthéon d’une jeunesse en quête d’une identité panafricaine...
Sur notre cédérom d’archives :
Vous pouvez retrouver des articles plus anciens sur notre cédérom. Lire notamment :
- « La voie étroite de la révolution au Burkina Faso », (P.L.), février 1985.
- « Dans la Haute-Volta du capitaine Sankara », par Jean Ziegler, mai 1984.
Sur la Toile :
- Sankara 20 ans : le site mis en place à l’occasion du vingtième anniversaire de l’assassinat de « l’homme qui a préféré faire un pas avec le peuple, que de faire cent pas sans le peuple ».
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Sur le MONDE DIPLOMATIQUE
Discours du capitaine Jean Isidore Thomas Sankara Président du Burkina Faso de 1984 à 1987
Je vous propose le discours du capitaine Jean Isidore Thomas Sankara Président du Burkina Faso de 1984 à 1987. Ce discours a été prononcé le 29 juillet 1987 à Addis-Abeba en Éthiopie trois mois avant son assassinat. Malgré le temps, ce discours est encore d’actualité. La preuve que cet homme était en avance sur son temps. Mais retenez cette phrase « Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence ! »
Thomas Sankara
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Thomas Sankara discours sur la dette
Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous n’avons pas de quoi payer. Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous ne sommes pas responsables de la dette. Nous ne pouvons pas payer la dette parce qu’au contraire les autres nous doivent ce que les plus grandes richesses ne pourront jamais payer, c’est-à-dire la dette de sang. C’est notre sang qui a été versé. On parle du Plan Marshall qui a refait l’Europe économique. Mais l’on ne parle pas du Plan africain qui a permis à l’Europe de faire face aux hordes hitlériennes lorsque leurs économies étaient menacées, leurs stabilités étaient menacées. Qui a sauvé l’Europe ? C’est l’Afrique. On en parle très peu. On en parle si peu que nous ne pouvons, nous, être complices de ce silence ingrat. Si les autres ne peuvent pas chanter nos louanges, nous avons au moins le devoir de dire que nos pères furent courageux et que nos anciens combattants ont sauvé l’Europe et finalement ont permis au monde de se débarrasser du nazisme.
La dette, c’est aussi la conséquence des affrontements. Lorsqu’aujourd’hui on nous parle de crise économique, on oublie de nous dire que la crise n’est pas venue de façon subite. La crise existe de tout temps et elle ira en s’aggravant chaque fois que les masses populaires seront de plus en plus conscientes de leurs droits face aux exploiteurs. Il y a crise aujourd’hui parce que les masses refusent que les richesses soient concentrées entre les mains de quelques individus. Il y a crise parce que quelques individus déposent dans des banques à l’étranger des sommes colossales qui suffiraient à développer l’Afrique. Il y a crise parce que face à ces richesses individuelles que l’on peut nommer, les masses populaires refusent de vivre dans les ghettos et les bas-quartiers. Il y a crise parce que les peuples partout refusent d’être dans Soweto face à Johannesburg. Il y a donc lutte et l’exacerbation de cette lutte amène les tenants du pouvoir financier à s’inquiéter. On nous demande aujourd’hui d’être complices de la recherche d’un équilibre. Equilibre en faveur des tenants du pouvoir financier. Equilibre au détriment de nos masses populaires. Non ! Nous ne pouvons pas être complices. Non ! Nous ne pouvons pas accompagner ceux qui sucent le sang de nos peuples et qui vivent de la sueur de nos peuples. Nous ne pouvons pas les accompagner dans leurs démarches assassines.
Monsieur le président, Nous entendons parler de clubs – Club de Rome, Club de Paris, Club de Partout. Nous entendons parler du Groupe des Cinq, des Sept, du Groupe des Dix, peut-être du Groupe des Cent. Que sais-je encore ? Il est normal que nous ayons aussi notre club et notre groupe. Faisons en sorte que dès aujourd’hui Addis-Abeba devienne également le siège, le centre d’où partira le souffle nouveau du Club d’Addis-Abeba. Nous avons le devoir aujourd’hui de créer le Front uni d’Addis-Abeba contre la dette. Ce n’est que de cette façon que nous pourrons dire aujourd’hui, qu’en refusant de payer, nous ne venons pas dans une démarche belliqueuse mais au contraire dans une démarche fraternelle pour dire ce qui est. Du reste les masses populaires en Europe ne sont pas opposées aux masses populaires en Afrique. Ceux qui veulent exploiter l’Afrique sont les mêmes qui exploitent l’Europe. Nous avons un ennemi commun. Donc notre club parti d’Addis-Abeba devra également dire aux uns et aux autres que la dette ne saura être payée. Quand nous disons que la dette ne saura être payée ce n’est point que nous sommes contre la morale, la dignité, le respect de la parole. Nous estimons que nous n’avons pas la même morale que les autres. Entre le riche et le pauvre, il n’y a pas la même morale. La Bible, le Coran ne peuvent pas servir de la même manière celui qui exploite le peuple et celui qui est exploité. Il faudra qu’il y ait deux éditions de la Bible et deux éditions du Coran. [Applaudissements]
Nous ne pouvons pas accepter leur morale. Nous ne pouvons pas accepter que l’on nous parle de dignité. Nous ne pouvons pas accepter que l’on nous parle du mérite de ceux qui paient et de perte de confiance vis-à-vis de ceux qui ne paieraient pas. Nous devons au contraire dire que c’est normal aujourd’hui que l’on préfère reconnaître que les plus grands voleurs sont les plus riches. Un pauvre quand il vole ne commet qu’un larcin, une peccadille tout juste pour survivre et par nécessité. Les riches, ce sont eux qui volent le fisc, les douanes. Ce sont eux qui exploitent le peuple.
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