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7 février 2012

CRIF, la droitisation d’une institution

Sur LE MONDE DIPLOMATIQUE

 

 Ceux qui parlent au nom des Juifs de France

Extrait:

Né dans la Résistance, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) n’a pas toujours été l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics (lire « De la clandestinité aux feux médiatiques »). Mais, après l’échec des négociations israélo-palestiniennes de Camp David, en 2000, il s’est radicalisé et a prétendu peser sur la politique de la France. Cette droitisation atteindrait-elle ses limites ?

 

« Il y a dans ce pays des hommes et des femmes intellectuellement courageux. Mme Monique Canto-Sperber, directrice de l’Ecole normale supérieure, en est un exemple. Elle a annulé un scandaleux colloque-débat (il faut mettre beaucoup de guillemets au mot de “débat”) qui devait avoir lieu à cette Ecole le 18 janvier [avec le résistant, déporté et ancien diplomate Stéphane Hessel]. Valérie Pécresse, ministre des universités, ainsi que le rectorat de l’Université de Paris, que nous avons contactés en urgence, ont réagi sans ambiguïté : je leur rends hommage, ainsi qu’à Claude Cohen-Tanoudji, Prix Nobel de physique, Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut (1). »

Ces lignes, écrites en janvier dernier par M. Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), ont mis le feu aux poudres : non seulement celui qui prétend parler au nom de l’ensemble des Juifs de France se réjouissait bruyamment de cette interdiction, mais il la signait crânement, « mouillant » avec lui une ministre et trois intellectuels renommés.

A l’exception de Cohen-Tanoudji, les personnalités invoquées nièrent avoir demandé cette interdiction. Même le secrétaire d’Etat Pierre Lellouche, pourtant fervent soutien d’Israël, déplora cette démarche « contre-productive » du CRIF, comme « toute entrave à la liberté d’expression » (2). Et la censure, comme souvent, se retourna contre les censeurs : au lieu des cent cinquante participants attendus rue d’Ulm, mille cinq cents personnes se retrouvèrent à l’heure dite, place du Panthéon, pour un rassemblement improvisé en faveur de la défense des libertés.

 

« Tribunal dînatoire »

Bien davantage qu’une simple bavure, l’anecdote signale une radicalisation dont les prémices remontent au début des années 2000, sous l’effet conjugué de trois facteurs. D’abord, l’échec des négociations israélo-palestiniennes lors du sommet de Camp David, aux Etats-Unis, en juillet 2000, qui sonne le glas du « processus de paix » d’Oslo. Alors premier ministre travailliste d’Israël, M. Ehoud Barak en rend seul responsable le président palestinien Yasser Arafat, qui aurait refusé son « offre généreuse ». L’éclatement de la seconde Intifada, ensuite : Tel-Aviv accuse les Palestiniens de l’avoir préparée de longue date, « oubliant » la visite provocatrice du chef du Likoud Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées, le 27 septembre 2000. Cinq ans durant, l’horreur des attentats-kamikazes (six cents morts israéliens) éclipsera dans les médias celle de la répression israélienne (cinq mille victimes palestiniennes). Enfin, en France, la multiplication des actes de violence antijuifs : en 2002, on en compte cent quatre-vingt-treize, soit six fois plus qu’en 2001  (3).

Tel est le terreau dans lequel s’enracine le virage à droite du CRIF qu’incarne son nouveau président, M. Roger Cukierman. Succédant en 2001 à M. Henri Hajdenberg, ce grand banquier, qui travailla entre autres pour la Compagnie financière Edmond de Rothschild et l’Israel General Bank, ne se contente pas d’épouser la politique belliciste du gouvernement Sharon : il tente d’infléchir en sa faveur l’action de la France.

Instauré en 1985 par son président de l’époque, l’avocat Théo Klein, le dîner annuel du CRIF devient, sous la direction de M. Cukierman, une « espèce de tribunal dînatoire où le chef du gouvernement français est convoqué par une communauté juive qui lui dit tout ce qu’elle a sur le cœur » — dixit... Finkielkraut. Lequel qualifie de « légèrement grotesque » cette cérémonie qui le « met très mal à l’aise » et où les Juifs « deviennent le fer de lance de la transformation de la République en mosaïque de communautés râleuses » (4).

M. Cukierman utilise cette tribune pour lancer des idées, ensuite abondamment relayées par les médias : dès janvier 2001, il y dénonce la montée de la « haine anti-juive » en France ; deux ans plus tard, il évoque une « alliance brun-rouge-vert » qui regrouperait « une extrême droite nostalgique des hiérarchies raciales, inconsolable des théories du déicide », et « un courant d’extrême gauche, antimondialiste, anticapitaliste, antiaméricain, antisioniste » (5). C’est aussi l’époque des procès — d’abord purement verbaux, puis devant les tribunaux — contre des intellectuels et des journalistes présentés comme « antisémites » parce qu’ils refusent d’avaliser la politique sharonienne, de Daniel Mermet à Edgar Morin en passant par Danièle Sallenave et Sami Naïr. Vaine initiative : tous seront relaxés (6).

Rien ne prédisposait le cardiologue Prasquier à devenir, en 2007, président du CRIF — poste auquel il sera confortablement réélu trois ans plus tard. On imaginait encore moins que ce responsable du groupe de liaison avec la Conférence épiscopale de l’Eglise catholique et de la Fondation pour la mémoire de la Shoah accentuerait la dérive de son prédécesseur, bien qu’il ait été son conseiller.

Et pourtant... Non seulement M. Prasquier a défendu inconditionnellement les choix des gouvernements israéliens successifs, y compris l’opération « Plomb durci » contre Gaza, mais la presse et le site du CRIF taisent les critiques des intellectuels comme des journalistes israéliens contre leur gouvernement. Il participe aussi au harcèlement du correspondant de France 2 à Jérusalem, Charles Enderlin, accusé d’avoir « mis en scène » la mort du petit Mohamed Al-Dura, aux premiers jours de la seconde Intifada (7).

Autre fait d’armes, M. Prasquier orchestre une campagne obsessionnelle contre sa bête noire Hessel, allant jusqu’à défendre Pierre-André Taguieff lorsque celui-ci écrit sur son mur Facebook : « Quand un serpent venimeux est doté de bonne conscience, comme le nommé Hessel, il est compréhensible qu’on ait envie de lui écraser la tête (8). » Et, depuis 2009, il exclut de son dîner annuel le Parti communiste français (PCF) ainsi que les Verts, en raison de leur participation au boycott des produits des colonies étiquetés « made in Israel ». Le Monde évoquera d’ailleurs le 3 février 2010 un « ostracisme » qui risque de « limiter le caractère “républicain” » dudit dîner…

 

L’image ternie d’Israël

Naguère prudente face aux errements du CRIF, la presse sort peu à peu de sa réserve. Dans une lettre publiée par Marianne le 8 août 2009, Jean Daniel constate que « les dérapages communautaires du CRIF deviennent de plus en plus fréquents et alimentent un antisémitisme à la fois insidieux et secret ». François Darras, pseudonyme utilisé par la rédaction du journal, explique dans ce même numéro que « le CRIF, comme d’autres institutions juives, est tombé entre les mains de courants alignés sur la droite israélienne la plus intransigeante ». Même Actualité juive constate, le 7 janvier 2010 : « Bon nombre d’élus du comité directeur » sont, « à l’image de la communauté juive institutionnelle (...), de plus en plus à droite ». (9)

Chaque année, en effet, l’assemblée générale des associations membres du CRIF — actuellement au nombre de soixante-quatre — renouvelle un tiers du comité directeur. Ce dernier élit le bureau exécutif qui, depuis les deux dernières élections, ne compte plus un seul membre de gauche. L’un de ses deux vice-présidents, M. Meyer Habib, ancien du mouvement de jeunesse d’extrême droite Betar, passe même pour l’un des principaux conseillers politiques et amis personnels du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou ; en février 2009, il joue un rôle actif dans les négociations entre le Likoud et d’autres partis en vue de l’accord de coalition permettant à M. Netanyahou de former son gouvernement (10). Quant à l’avocat Gilles-William Goldnadel, cheville ouvrière des procès contre les intellectuels qualifiés d’« antisémites » et invité personnel de M. Nicolas Sarkozy lors de son voyage en Israël en 2008, il entre l’année suivante au comité directeur — et arrive en tête des dix nouveaux élus avec quatre-vingt-seize voix, loin devant les soixante-neuf suffrages de l’avocat socialiste Patrick Klugman, « sioniste et propalestinien », arrivé bon dernier.

Inconditionnels de la droite israélienne comme française, tous ces hommes disposent, depuis quelques mois, de solides motifs d’inquiétude : les piliers de leur influence vacillent un à un. Ils peuvent d’abord redouter l’isolement croissant — baptisé « délégitimation » — de l’actuel gouvernement d’Israël, le plus extrémiste de son histoire. La meurtrière opération contre Gaza durant l’hiver 2008-2009, suivie de l’attaque contre la « flottille de la paix » au printemps 2010, et, depuis, le blocage de toute négociation ont fortement terni l’image de cet Etat : selon la dernière enquête annuelle de la British Broadcasting Corporation (BBC), 49 % des vingt-huit mille personnes sondées dans vingt-sept pays jugent son influence « négative dans le monde », contre 21 % qui l’estiment « positive » — seuls le Pakistan, la Corée du Nord et l’Iran font pire (11)… Des résultats qui tombent mal, en pleine vague de reconnaissance de l’Etat palestinien, qui plus est dans ses frontières d’avant la guerre de 1967 et avec Jérusalem-Est pour capitale.

Autre pilier ébranlé : la peur de cette France décrite un temps par M. Sharon comme en proie à « un des antisémitismes les plus sauvages (12) ». Année après année, les statistiques de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) relativisent en effet les violences antijuives, qu’elles inscrivent dans une poussée de racisme visant d’abord les Arabes et les musulmans ; elles soulignent d’ailleurs que des jeunes issus de l’immigration n’y sont impliqués que dans une minorité de cas. Et, en tant qu’idéologie, l’antisémitisme y paraît bel et bien marginal, surtout comparé à une islamophobie plus consensuelle.... lire la suite

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