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28 février 2012

Tranche d'imposition à 75 % : ce que signifie la proposition de M. Hollande

LEMONDE.FR | 28.02.12 | 12h30   •  Mis à jour le 28.02.12 | 14h37

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François Hollande était l'invité de "Parole de candidat" sur TF1, lundi 27 février.

François Hollande était l'invité de "Parole de candidat" sur TF1, lundi 27 février.REUTERS/POOL

Si l'objectif de l'annonce de François Hollande, lundi 27 février sur TF1, était de ramener le débat sur ses propositions, c'est plutôt réussi. Le candidat socialiste a en effet annoncé son intention de créer une nouvelle tranche d'imposition à 75 % pour les revenus excédant 1 million d'euros.

Une déclaration qui a surpris jusqu'à son entourage :  Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, a ainsi fait part de sa surprise lorsqu'il a été interrogé sur cette idée dans l'émission "Mots croisés", diffusée sur France 2 quelques minutes après que M. Hollande l'eut évoquée.

Sans surprise, l'UMP a fustigé un "message d'encadrement global, un message presque de spoliation par rapport à l'effort produit", pour reprendre le vocabulaire du ministre des finances François Baroin sur France Inter mardi 28 février. "C'est la fuite en avant fiscale, la confiscation fiscale," a estimé de son côté le ministre des affaires étrangères Alain Juppé sur RTL.

> Lire : L'UMP dénonce "la confiscation fiscale" du programme Hollande

Le parti présidentiel joue ici sur une confusion, classique mais fréquente, entre taux d'imposition global et tranche d'impôts. Au vu des commentaires sur les sites d'info, dont Lemonde.fr, elle est répandue. Explication de texte.

LES 75 % PORTERAIENT SUR UNE TRANCHE, PAS SUR L'ENSEMBLE DES REVENUS.

En France, l'impôt sur le revenu est progressif : on ne paye pas selon un pourcentage fixe en fonction de ses revenus, mais selon un taux marginal, qui est fonction d'un barème. Il existe actuellement cinq tranches : 0% jusqu'à 6 088 euros de revenus par an, 5,5 % de 6 088 à 12 146 euros, 14 % de 12 146 à 26 975 euros, 30 % de 26 975 à 72 317 euros et 41 % au delà.

 

Tranches de revenus de l'IR

Tranches de revenus de l'IRProjet de loi de finances 2012

En pratique, le revenu d'un contribuable est imposé en fonction de ces tranches. Un célibataire déclarant 30 000 euros de revenu annuel sera ainsi imposé à 0 % sur les premiers 6 088 euros, à 5,5 % sur la tranche suivante (jusqu'à 12 146 euros), à 14 % sur ses revenus jusqu'à 26 975 euros (donc 26 975 - 12 146, soit 14 829 euros), et à 30 % sur le reste, soit 3 025 euros.

Il paiera donc, dans notre exemple simplifié (qui n'est pas une simulation) 0 % de 6 088 euros, 5,5 % de (12 146-6 088) euros (soit 333,19 euros),  14 % de (26 975-12 146) euros (soit 2 076,06 euros), et 30 % de 3 025 euros (907,5 euros). Au total 3 651,59 euros. Donc si notre célibataire atteint la tranche de 30 %, son taux moyen d'imposition, lui, n'est pas de 30 %, mais bien de 12,17 % environ.

Ce système progressif permet une justice fiscale : plus on gagne d'argent, plus on paye d'impôts, du moins en théorie. On le voit aussi, il n'existe pas de "sauts de tranche" parfois évoqués pour critiquer l'impôt sur le revenu : on est taxé sur la part de revenus correspondant à une tranche, il n'y a donc pas d'effet de seuil en passant de l'une à l'autre.

CE QUE PROPOSE FRANÇOIS HOLLANDE

Le candidat socialiste proposait jusqu'ici dans son programme de créer une nouvelle tranche d'imposition à 45 % pour les revenus situés au-delà de 150 000 euros par an. Il évoque désormais une tranche supplémentaire, à 75 %, pour les revenus situés au-dessus de 1 million d'euros par an. Il ne s'agit donc pas de "prendre les trois quarts des revenus des millionnaires" comme on peut l'entendre ça et là, mais de prélever 75 % des revenus déclarés qui se situent au delà du seuil d'un million d'euros.

Reprenons l'exemple du célibataire, en imaginant cette fois qu'il gagne 1,2 million d'euros par an. Il va payer 0 % de 6088 euros, 5,5 % de (12 146-6 088) euros, soit 333,19 euros, 14 % de (26 975-12 146) euros soit 2 076,06 euros, 30 % de (72 317-26 975) euros, soit 13 602,6 euros. A l'heure actuelle, son revenu situé entre 72 317 euros et 1,2 million, soit 1 127 683 euros, sera taxé à 41 %, soit 462 350,03 euros.

Total : 333,19 + 2 076,06 + 13 602,6 + 462 350,03 =  478 361,88 euros d'impôts. Soit un taux moyen d'imposition non de 41 % (son taux marginal maximum) mais bien de 39 %.

Il faudrait, pour être complet, rajouter à ce total la taxe mise en place par François Fillon dans le cadre du plan de rigueur de l'été 2011, qui frappe à 3% les revenus situés au dessus de 250 000 euros, et à 4% ceux situés au-delà de 500 000 euros. Pour notre célibataire, cela signifie (250 000 euros x 3%) et (700 000 euros x 4%), soit 35 500 euros d'impôts en plus.

On peut également rappeler que la contribution sociale généralisée (CSG) prélevée sur les salaires est également une forme d'impôt sur le revenu, dont le taux varie et dont une partie est déductible de l'impôt sur le revenu. Et ne pas oublier que les impôts varient aussi en fonction du quotient familial (lire encadré en fin d'article).

Avec la réforme de M. Hollande, notre célibataire gagnant 1,2 million d'euros va être taxé plus fortement.  Il payera 41 % de ses revenus compris entre 72 317 et 150 000 euros, soit 31 850 euros, plus 45 % de ses revenus situés entre 150 000 et un million d'euros, soit 382 500 euros. Et enfin, il sera taxé à 75 % sur ses revenus au-delà de un million d'euros, soit (75 % de 200 000 euros) 150 000 euros.

Au total, donc,  333,19 +2 076,06 + 13 602,6 + 31 850 + 382 500 + 150 000 = 580 361,85 euros d'impôts. Soit un taux moyen de 48 %.

UN TAUX MARGINAL SUPÉRIEUR À 75% A DÉJÀ EXISTÉ EN FRANCE

La réforme de M. Hollande ne serait pas une première en France.  Selon l'étude de l'économiste Thomas Picketty, proche du PS, sur les hauts revenus en France, le taux marginal maximum de l'impôt sur le revenu a pu atteindre, en France, jusqu'à 90% dans les années 1920 ou dans l'immédiat après-guerre. Il était encore supérieur à 60% au début des années 1980.

 

Taux marginal supérieur de l'IR

Taux marginal supérieur de l'IRThomas Picketty

Elle serait en revanche relativement plus forte que dans d'autres pays. En Europe, en 2007, le Danemark était le pays avec le plus fort taux marginal supérieur de l'impôt, à 59%, selon un rapport.

Vincent Drezet, secrétaire national du Syndicat national unifié des impôts (Snuip), juge que cette mesure ne serait pas choquante en soi. "Elle a un intérêt pédagogique et symbolique, elle pose la question de la progressivité de l'impôt". Le syndicat se dit plutôt favorable à une telle mesure, "si elle s'inscrit dans une réforme fiscale plus vaste".

UNE RÉFORME PLUS SYMBOLIQUE QU'EFFICACE

Cependant, la mesure aurait essentiellement un caractère symbolique. Pierre Moscovici, le directeur de campagne de M. Hollande, le reconnaissait lui-même, mardi 28 février au micro de France Inter : elle toucherait de 7 000 à 30 000 foyers fiscaux, soit moins de 1 % des individus.

M. Drezet est même dans une fourchette inférieure. Pour lui, la réforme concernerait de 15 000 à 20 000 foyers fiscaux, et rapporterait entre 200 et 250 millions d'euros. "Ce n'est pas avec ça qu'on va réduire le déficit", estime-t-il.

De fait, à part quelques grands patrons et sportifs de haut niveau, très peu de salariés déclarent plus d'un million d'euros de revenus par an. Selon un rapport du Sénat en 2009, les 0,01 % de foyers les plus riches, soit 3 523 foyers, se situaient au dessus de 1,221 million d'euros de revenus.

Ce même rapport pointait un autre élément : le taux moyen de prélévement de ces foyers très aisés (un pour dix mille), était de 17 %. Un chiffre inférieur à celui payé par la moyenne des 1 % les plus riches (18,3 %).

 

Taux moyen de prélévement sur les foyers les plus riches.

Taux moyen de prélévement sur les foyers les plus riches.Sénat

En effet, il existe bien des moyens de réduire son niveau d'imposition lorsqu'on bénéficie de hauts revenus : emplois à domicile, investissements immobiliers ou dans des entreprises de hautes technologies... Rares sont les contribuables millionnaires à se contenter de remplir leur déclaration de revenus sans se poser de question ni optimiser leur fiscalité, en toute légalité. Un déficit de progressivité pointé à longueur de rapports.

"La défiscalisation est une réalité qui ramène la fiscalité des plus riches à 15 %-20 %", confirme M. Drezet. Il ne craint pas pour autant le spectre de la fuite des plus riches à l'étranger. "Même si certains s'en vont à l'étranger, la réforme ne concerne pas assez de monde pour mettre l'économie en danger".

Samuel Laurent

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