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2 mars 2012

Mélenchon, le Patricien en bleu de Chauffe

30/03 | 07:00 | Jean-Francois Polo | 6commentaires
 
Le candidat du Front de gauche grimpe dans les sondages, au point d'apparaître comme le « troisième homme » de la présidentielle. Tout au long de son parcours, cet intellectuel a associé le goût de la rébellion à une recherche de reconnaissance républicaine.
Ecrit par
Jean-Francois POLO
Jean-Francois POLO
Grand reporter
Tribun lyrique et volontiers cabotin, Jean-Luc Mélenchon voit aujourd\'hui dans son investiture et sa percée dans les sondages la consécration d\'un parcours politique atypique. - JEAN-PHILIPPE KSIAZEK /AFP
Tribun lyrique et volontiers cabotin, Jean-Luc Mélenchon voit aujourd'hui dans son investiture et sa percée dans les sondages la consécration d'un parcours politique atypique. - JEAN-PHILIPPE KSIAZEK /AFP

Q u'est-ce que cela, soixante ans ? C'est la fleur de l'âge, et vous entrez maintenant dans la belle saison de l'homme » : le lettré qu'est Jean-Luc Mélenchon aura attendu cette candidature à la présidentielle et ces sondages qui lui font grignoter les terres hollandaises et caresser l'espoir de figurer dans le tiercé du premier tour pour donner raison à Molière. La fin de trente-deux années à jouer les seconds rôles au Parti socialiste. L'aboutissement aussi du parcours difficultueux qui l'a vu quitter la rue de Solferino avant de fonder le Parti de gauche puis le Front de gauche avec le PC. Celui-ci n'a pas consenti sans réticences à laisser l'ex-socialiste porter ses couleurs en avril. Mais l'essentiel est là : le Napoléon de la gauche de la gauche a enfin percé, même s'il n'a pas tout à fait tué Bonaparte.

Le candidat à la cravate rouge est aujourd'hui libéré. « Je me sens porté. Je retrouve l'ambiance qui m'avait fasciné jeune homme. Cela m'a remis la tête sur les épaules », s'enflamme-t-il. D'autant que l'alchimie opère. De Nantes à Lille, en passant par la Bastille et La Réunion, il lui faut des enceintes toujours plus vastes pour emmener ses partisans vers le rêve d'une société où « les belles personnes, les importants, les satisfaits » expieraient enfin leurs fautes.

La consécration d'un parcours politique atypique, mais aussi l'aboutissement d'un itinéraire personnel où les ruptures n'ont pas manqué. Celle des origines d'abord, avec ce grand-père espagnol qui quitta son hameau miséreux d'Andalousie pour tenter sa chance en Algérie puis au Maroc comme peintre en bâtiment. Celle des primes années ensuite quand, sous le vent de la décolonisation, il fallut quitter Tanger, où l'enfant de choeur de l'église Sainte-Marie-Sainte-Jeanne a vécu son enfance entre sa mère institutrice et son père télégraphiste. Un contexte propre à entretenir dans la famille un patriotisme exacerbé. « Mon père avait été enfant de troupe. Il vouait un attachement émerveillé à la France », se souvient Jean-Luc Mélenchon.

 

L'admirateur de Mitterrand

L'exil à Yvetot, dans les brumes du pays de Caux, laissera en revanche « une marque indélébile » à l'adolescent, qui rêvait d'être cosmonaute et qui fut là-bas l'étranger, le « horsain ». Mais l'individu a de la ressource. Il revit dès qu'il se retrouve à Lons-le-Saunier avec sa mère et son nouveau compagnon. « Méluche » révèle son tempérament de meneur en prenant en mai 1968 la tête de la révolte lycéenne dans la cité jurassienne. D'agitateur aussi, quand il s'engage à l'OCI, sous le pseudonyme de « Santerre », alors qu'il est étudiant en philosophie à Besançon. « Mon passage chez les trotskistes m'a appris la discipline intellectuelle, l'audace organisationnelle, donné une formation économique », affirme-t-il.

Ce compagnonnage s'achèvera au bout de quatre ans. « Il a compris que l'on ne peut, à l'opposé de la tradition conspiratrice, agir que là où il y a de la masse. Sa culture est marquée par une volonté majoritaire d'esprit jaurésien et centrée sur sa flamme républicaine », analyse l'historien du communisme Roger Martelli. Une vénération quasi religieuse pour les idéaux de 1789 qui poussera aussi le lecteur avide du Thiers de « L'Histoire de la révolution française » à se faire initier au Grand Orient.

Un autre événement a joué un rôle clef dans le virage de l'ex-lambertiste : sa rencontre avec François Mitterrand. «  J'ai été envoyé lui porter la contradiction au Kur saal de Besançon. Pour la première fois, j'ai entendu un orateur oser faire le lien entre une philosophie de la vie et une analyse économique. Il a parlé du bonheur, il a parlé politique de façon charnelle, il a parlé de la beauté de la neige. Ca m'a délivré. Nous, nous n'osions jamais dire "je" », s'émeut-il encore aujourd'hui. « Quand je suis entré au PS, c'était un parti révolutionnaire. Le mitterrandisme représentait une synthèse. Je ne renonçais pas à mon identité », cherche néanmoins à se dédouaner celui qui, à partir de son poste de directeur de cabinet du maire de Massy Claude Germon, creusera son sillon dans l'Essonne avant de devenir, poussé notamment par Pierre Joxe, une figure de la rue de Solferino.

Trois décennies dans le giron socialiste n'auront pas été stériles. S'ancrer dans la gauche du parti a ouvert à l'expert ès courants internes les portes du Sénat. II en fut d'abord un des benjamins, portant barbe et veste voyante, avant de se muer en vieux routier au fil de ses deux décennies de présence. De quoi se forger un profil de notable qu'il polira en devenant le ministre de la Formation professionnelle de Lionel Jospin. « Ce gouvernement était à l'époque le plus à gauche au monde », plaide-t-il pour justifier cette compromission sociale-démocrate. En tout cas, la haute idée qu'il se fait de son appartenance au gouvernement de la République l'amène à se plier avec une délectation certaine aux codes du décorum officiel.

Mais pas question, pour autant, de rentrer une bonne fois pour toutes dans le rang. Car le tiraillement entre l'aspiration à la reconnaissance et le goût de la rébellion reste une constante du personnage. Quitte à ce que sa stratégie de franc-tireur finisse par lui valoir une étiquette de marginal. « C'est une cervelle remarquable, dont on se demande cependant pourquoi elle n'accouche de rien. Sa faille est psychologique. Il ne supporte pas d'être majoritaire. Il n'a pas compris que le compromis est le respect de la vie, que c'est mieux qu'une mitraillette. Il aura ainsi perdu trente ans à noyauter une ultragauche beaucoup plus bête que lui. Mais je l'aime bien quand même », le brocarde l'ancien Premier ministre Michel Rocard, qui fut son éphémère allié au début des années 1990, à l'instar, à d'autres époques, de Julien Dray ou d'Henri Emmanuelli.

 

Le mépris de Hollande

Après les décennies du « je t'aime, moi non plus », finira par venir l'heure de la rupture avec le PS. « Il a longtemps espéré que la gauche du parti s'imposerait, mais c'est la structure qui l'a emporté », résume l'historien communiste Claude Mazauric. Le passage à l'acte ne pouvait se faire sans circonvolutions. « En 2008 encore, Jean-Luc a été très actif sur le projet de rénovation de la déclaration de principes du PS », rappelle Alain Bergounioux, un des conseillers historiques de la Rue de Solferino. Il n'empêche. Le prurit du départ est devenu trop fort. Le dédain ironique que lui manifeste le premier secrétaire François Hollande, avec qui il s'est affronté dès le congrès de Brest de 1997, où il n'obtint que 8 % des suffrages militants, insupporte l'élu de l'Essonne. Déjà, il a entrouvert la fenêtre avant la présidentielle de 2007. La création de son club Pour la République sociale, sa fréquentation de la gauche non socialiste au sein des comités Ramulaud, sa participation à des meetings communs contre la Constitution européenne avant le référendum de 2005, le rapprochent alors du moment de la catharsis. Sa venue très médiatisée à la Fête de « L'Humanité » fin 2007 marquera un nouveau pas.

 

Goûts d'esthète

Le cordon avec le PS sera tranché en novembre 2008. Puis, à peine actée la fondation du Parti de gauche, viendra le temps du rapprochement avec les communistes. Si l'exemple d'Hugo Chavez au Venezuela inspire le passionné de l'Amérique latine, c'est le modèle de Die Linke en Allemagne qu'il veut importer en France, en intégrant toute la gauche de la gauche. Mais la vieille maison de la place du Colonel-Fabien n'est pas prête, même sur le reculoir, à renoncer si facilement à son identité. « L'union est un combat ! Nous n'avions pas la même culture, pas la même histoire », atteste Marie-George Buffet, l'ex-numéro un du PC.

L'alliance se fera donc au forceps, et le transfuge n'est investi que par 59 % des suffrages des militants communistes. Mais qu'importe, puisque le voilà in fine dûment estampillé héraut du parti des masses populaires. De quoi offrir libre cours aux ardeurs de cet intransigeant et sanguin jacobin, dont d'aucuns se disent qu'il vaut mieux l'avoir connu sous la V e République que dans la France de 1794 ou la Russie de 1917. Aujourd'hui, cependant, le tribun lyrique et volontiers cabotin s'en tient plutôt à 1936. « Je suis parmi les miens, les travailleurs, dans cette chaleur et cette fraternité particulières que l'on rencontre dans la classe ouvrière », lance-t-il ainsi à des salariés en grève. La tentation du populisme n'est jamais loin chez l'auteur de « Qu'ils s'en aillent tous », un des douze livres à son actif.

Ne voir en lui qu'un « plébéien », comme l'ont baptisé des biographes (1), serait pourtant passer à côté d'une bonne partie du personnage. Car celui qui tient un plein sac de cravates de son grand-père et un autre de son père, qui finit comme chef de la recette des PTT du 16 e arrondissement de Paris, n'a jamais eu d'autre vraie activité qu'intellectuelle. S'il fait preuve d'une totale discrétion sur sa vie privée, il est sûr en tout cas que ce père d'une fille de trente-sept ans, propriétaire, outre son appartement parisien, d'une maison de campagne dans le Loiret, ne figure pas au nombre des damnés de la terre. Et que sa dilection pour la littérature étrangère, comme les dessins abstraits qu'il exécute à l'encre de Chine, révèlent, chez l'amateur de Brassens, qui déteste le foot, des habitudes d'esthète. On oserait presque dire de patricien.

JEAN-FRANÇOIS POLO
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Commentaires
V
une éloge, oui, mais vraie !! profonde, observée et juste, oui, je me reconnais aussi comme JL dans ce que j'ai été en 68 et après car je n'ai jamais changée d'avis sur les programmes, les idées, d'autres que lui les ont portés un temps, Mitterrand, Ségolène, et puis lui, et le FDG !
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