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3 mars 2012

Pourquoi voter utile le 22 avril tuerait le PS

Par Disjecta sur AGORAVOX

 

La peur d'un nouveau 21 avril 2002 angoisse une partie des électeurs de gauche qui, plutôt que de voter pour le candidat le plus proche de leurs idées, s'apprêtent à donner leur voix au mieux placé d'entre eux selon les sondages, François Hollande. Or, non seulement les conditions du vote du 22 avril 2012 ne sont absolument pas les mêmes, mais surtout, si le vote utile était massif, il aurait de fortes chances de signer, à plus ou moins court terme, la disparition du PS.

Quel militant du Front de Gauche ne s'est pas entendu répondre, par tel ou tel interlocuteur qu'il essayait de convaincre, que "évidemment les idées de Jean-Luc Mélenchon sont intéressantes sur le papier, elles font rêver, mais la priorité c'est de battre Sarkozy ; or, seul Hollande à gauche est en mesure d'y parvenir." Chacun aura reconnu le syndrome du (tremblez dans vos chaumières) 21 avril 2002.

Bien sûr, beaucoup parmi ces tenants du "vote utile" sentent bien l'entourloupe du candidat PS, dont la désignation semble surtout avoir été rendu possible par une complaisance sans pareille des médias pour un candidat lisse, euro-libéralo compatible et qui, sans que cela n'émeuve grand monde, pris chiffre pour chiffre, dès le lendemain de la chute de DSK, la place de l'ex grand manitou du FMI dans les sondages (passant de moins de 10% dans les pronostics pour les primaires à plus de 30%).

Tenant de la ligne la plus à droite du PS, faisant probablement partie de ceux qui se trompèrent le plus souvent parmi les grandes figures du parti de la rose, il est assez surprenant que ce fut malgré tout François Hollande qui ait été choisi pour représenter le PS aux élections de 2012. Ses positions extrêmement pro-libérales n'en faisait pourtant pas, a priori, le choix le plus judicieux, particulièrement après 4 ans de crise où les idées qu'il avait toujours prônées obtenaient un cinglant démenti par les faits. Mais, comme pour Ségolène Royal, François Hollande profita de sondages accommodants l'adoubant meilleur candidat de gauche pour battre Sarkozy. Les électeurs à la primaire n'allèrent pas chercher plus loin et, quoique la marchandise avait quelque chose d'un peu faisandée, François Hollande fut choisi comme candidat avec 56% des votes.

C'est peu de dire que ce choix consterna les militants à la gauche du PS, et particulièrement ceux du Front de Gauche. D'un autre côté, cela clarifiait les choses et on allait avoir un franc duel entre les tenants d'une gauche libérale ("capitularde" pour les mauvais esprits) et ceux d'une gauche progressiste. Chacun assumerait ses idées et le peuple trancherait. Sauf que d'entrée de jeu, le PS choisit d'ignorer le Front de Gauche, tenta (en pure perte) de le diviser en faisant les yeux doux au PC, sourit lorsqu'était évoquée sur les plateaux la possibilité d'un Mélenchon au second tour. Puis sortit (on y est encore) son arme décisive, face aux scores faramineux de Marine Lepen dans des sondages particulièrement providentiels : le (mal-nommé) "vote utile".

Le raisonnement (très basique en vérité) est celui-ci : tremblés, vous tous hommes et femmes de gauche qui vous apprêtaient à voter selon vos convictions, le spectre du 21 avril 2002 est de retour. Mais la ficelle est à vrai dire un peu grosse.

Une erreur de perspectives

Si l'on analyse avec un tant soit peu de profondeur les conditions du vote le 22 avril 2012, on se rend compte qu'elles n'ont rien à voir avec celles du 21 avril 2002.

En 2002 d'une part, la gauche remettait d'une certaine manière en jeu son titre (Chirac était bien président mais le pouvoir résidait pour l'essentiel, et depuis cinq ans, dans les mains de son premier ministre, Lionel Jospin). En 2012, cela fait dix ans que la droite est au pouvoir et le moins que l'on puisse dire c'est que le président Sarkozy sort affaibli de son mandat. Cela change quand même la donne.

Mais il faut surtout se souvenir qu’en 2002, la gauche était très dispersée au premier tour. Les résultats furent les suivants :
Laguiller : 5,72%
Chevènement : 5,33%
Noël Mamère : 5,25%
Olivier Besancenot : 4,25%
Robert Hue : 3,37%
Christine Taubira : 2,32%
Daniel Gluckstein : 0,47%
Total : 26,71%
Jospin lui-même avait fait 16,18% (ce qui faisait pour la gauche un total très faible).

Cette année, on a (sondage actuel) :
Poutou et Artaud : 1% chacun
Joly : 3%-4%
Mélenchon : 9-10%
Hollande : 30%


On retrouve la même réserve de voix que le total pour la gauche de 2002 (mais il est probable que Bayrou siphonne, pour le moment, 4 ou 5% d’électeurs plutôt enclins à voter à gauche). La différence, c’est que les électeurs de gauche ne peuvent pas se disséminer cette année. Mélenchon et Hollande représentent parfaitement les deux courants de la gauche française. Et la candidature de Mélenchon correspondra plus ou moins à cinq candidats de 2002 (Laguiller, Besancenot - je mets ces deux personnes dedans car leurs voix tenaient à leur charisme et non à leur potentiel militant, cf. aujourd’hui Poutou et Artaud à 1% -, Chevènement, Hue, Taubira).

Il est dans ces conditions tout à fait improbable de ne pas retrouver au second tour un candidat de gauche. Dans l'hypothèse la plus défavorable (soit une répartition à peu près égale des voix entre Hollande et Mélenchon), le candidat de gauche le mieux placé se retrouverait malgré tout au-delà de 20%. Tout habillée comme elle l'est pourtant des lumières du grand méchant loup qui va dévorer tout le monde, aucun sondage - si peu fiable fût-il - ne prétend plus faire dépasser cette fameuse barre des 20% à Marine Lepen.

Le vote utile puis la mort du PS

Plus fondamental, il est complètement déraisonnable- comme on peut l'entendre du côté de certains ténors du PS - de demander à Mélenchon de se désister pour Hollande avant le premier tour. Et lorsqu'une telle demande provient de certains militants socialistes dits "à la gauche du parti" c'est encore plus irresponsable. Ceux-là prétendent que, contrairement au choix qu'a fait Jean-Luc Mélenchon en 2008 d'abandonner cette stratégie, c'est de l'intérieur du PS qu'il faut manoeuvrer pour faire pencher la balance du bon côté (le gauche). Cette stratégie est si payante qu'en 2012, après avoir eu un temps pour favori l'affameur du FMI, DSK, le PS se retrouve aujourd'hui avec Hollande comme candidat accompagné de Manuel Valls comme porte-parole de campagne. On supposera sans trop de risque d'erreur que pour un Filoche ou un Hamon, ça ne devait pas faire partie de leurs rêves les plus fous.

Sans Jean-Luc Mélenchon (et sans un score du Front de Gauche devenu "conséquent"), Hollande aurait tenté le même pas de deux que son ex-compagne Ségolène Royal en 2007, lorsqu'elle s'est mise à courtiser François Bayrou. On verrait aujourd'hui le candidat du Modem joyeusement siphonner des voix d'électeurs traditionnellement de gauche, sur la seule foi de son étiquette de centriste auto-proclamé (alors qu'il a toujours pratiquement tout voté avec l'UMP). Et probablement entendrait-on le PS appeler au secours sur sa gauche pour éviter à la gauche dans son ensemble une déroute au premier tour.

De ce point de vue-là, la présence du Front de Gauche et de Mélenchon aux alentours de 10% a été salvatrice pour toute la gauche française. En Italie, ils ont eu moins de chance et la "gauche" parlementaire du pays est à présent représentée par un parti centriste fourre-tout, incapable d'obtenir le pouvoir et très content de la politique austéritaire menée par l'ex-conseiller de Goldmann Sachs, Mario Monti. L'annonce surprise de Hollande d'une nouvelle tranche de l'impôt sur le revenu à 75% peut tout autant être mise sur le compte de la forte pression vers la gauche qu'exerce aujourd'hui le Front de Gauche.

En tout état de cause, la gauche ne peut pas faire sans la candidature de Mélenchon ; sinon elle disparaîtrait ou se transformerait en coquille creuse (caisse de résonance pour la petite musique des néo-libéraux). Les possibilités de rassemblement à gauche (en deux courants amenés finalement à se rencontrer au second tour, à l’avantage ou bien de Hollande, ou bien de Mélenchon) sont cette année à leur maximum, alors que la dispersion était à son maximum en 2002 (notamment de la faute de Jospin, beaucoup trop confiant et qui, moyennant quelques sièges ou/et un ministère, aurait pu obtenir le désistement de Taubira et Chevènement).

Si, dans les conditions de 2012, on se retrouve avec un 2ème tour Sarkozy/Lepen, ce n’est pas aux électeurs de gauche qu’il faudra le reprocher. Et la France conservatrice paiera probablement très cher un tel événement, si favorable lui semblera-t-il d’abord.

En somme, le choix du vote utile n'a aucune raison d'être, bien plus il risquerait de faire connaître à la France une situation de type italien. Jamais les électeurs de gauche n'ont eu autant la possibilité d'exprimer par leur vote leurs convictions profondes et, si celles-ci visent une meilleure redistribution des richesses, une réforme en profondeur du système financier national et européen, une réorientation complète du modèle français vers un modèle écologiste volontariste, la réinstauration de l'âge de départ à la retraite à 60 ans, l'augmentation des salaires (et particulièrement du SMIC), la préservation des services publics et la réaffirmation de leurs missions après dix ans de massacre en règle, le choix qu'il leur reste à faire ne peut manquer d'apparaître évident

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