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8 avril 2012

« Le problème n’est pas la Grèce mais la finance spéculative qui l’a rendu possible »

Sur LE NOUVEL ECONOMISTE


Jérôme Cazes, consultant, ancien directeur général de la Coface – A voix haute

Jérôme Cazes“La finance sans visage, voilà l’ennemi.” Depuis que François Hollande s’est lancé sur ce thème au Bourget, la formule – volontairement floue – a fait florès. Jerôme Cazes, spécialiste des risques financiers – il a été directeur général de l’assureur-crédit Coface – se montre doublement plus précis que le candidat socialiste. S’il cible d’abord la finance spéculative et non la finance en général, c’est pour mettre dans son collimateur plus particulièrement les activités pour compte propre des banques.

“En délaissant le crédit pour une quête forcenée de rentabilité, le système bancaire est devenu intrinsèquement un facteur de risque ; danger qui n’a d’ailleurs pas manqué de se concrétiser”, analyse l’expert qui met radicalement en cause les états-majors financiers de l’Hexagone pour leur défense obtue – et intéressée – de la banque universelle. Pour éclairer l’opinion sur ces enjeux essentiels et mettre en scène les acteurs de façon vivante et accessible, Jerôme Cazes a emprunté une voie originale, celle d’une fiction qui prend la forme d’un “thriller” financier haletant – forcément haletant.

Pourquoi un thriller ? Cette forme m’a paru adaptée pour décrire un monde – celui de la finance – réputé compliqué et ennuyeux qui place avec tous ces acronymes l’opinion dans un rapport d’infériorité. La finance fonctionne pourtant avec des invariants à la portée de la compréhension de tout le monde. Les motivations des acteurs relèvent de la même logique que celles d’un détective privé dans un thriller. La complexité du sujet est bien réelle.

Si elle permet d’écarter les curieux, elle dépasse bien souvent l’entendement même des opérateurs, ce qui la rend dangereuse. Il est temps de revenir à des mécanismes simples et compréhensibles. Cette conviction que je me suis forgée après une expérience professionnelle de plusieurs années dans une grande banque, j’ai voulu la faire partager à mes lecteurs en faisant preuve de pédagogie. J’y décris la prochaine crise de crédit, encore pire que la crise actuelle, dont le point de départ est situé dans les fonds municipaux américains, impliquant des investisseurs internationaux dont chinois et français. J’y décris aussi des milieux financiers qui sont à des années lumière des enjeux collectifs et de l’intérêt général.

La finance spéculative
Le vrai problème n’est pas la Grèce mais le système qui l’a rendu possible. Les marchés financiers qui se sont mis en place progressivement depuis trente ans sont “carrossés” pour générer des crises. Les investisseurs n’y gagnent de l’argent que “si cela bouge”, d’où une instabilité intrinsèquement permanente. Auparavant, l’économie connaissait régulièrement des crises de l’ordre de deux mauvaises années tous les dix ans. Au cours de la période récente, le processus s’est accéléré et même amplifié – la terrible crise de 2007-2008 est survenue cinq ans à peine après l’éclatement de la bulle Internet du début des années 2000.

A ce rythme-là, alors que nous ne sommes pas encore sortis de la crise précédente – avec un déficit persistant de croissance de 1 à 3 % du fait de l’inquiétude, nous sommes peut-être déjà à la veille d’une nouvelle perturbation majeure. Mon inquiétude vient du fait qu’aucun changement véritable n’a été opéré depuis quatre ans pour faire entendre raison à la finance spéculative, cette dernière étant à l’origine de la plupart des maux qui nous frappent. Certes, il ne s’agit pas de prohiber la spéculation qui existe depuis des millénaires. Mais de mettre au pas la spéculation faite par les banques dont ce n’est pas le métier. Tant qu’on ne se sera pas résolu à réglementer l’activité de marché des banques, on ira de crise en crise.

La perte du facteur temps
L’essence du métier de banquier a été perdue ces dernières années. Celui-ci s’apparente quasiment à un service public consistant à accepter une petite rémunération en échange d’un grand risque. Une prestation extrêmement utile qui fonctionne à l’inverse de la loterie (petite mise pour un gros gain potentiel). Mais pour l’exercer, encore faut-il des règles, ne serait-ce que pour éviter que l’emprunteur ne se retrouve à payer des taux d’usure et le prêteur avec des taux d’impayés excessifs. La règle principale ?

Accepter de détenir un certain temps un actif risqué contre une faible rémunération. Un crédit, c’est fondamentalement une relation de confiance dans la durée. Or cette relation de confiance est nécessairement altérée dans un marché de crédit qui fonctionne au gré des anticipations et des pulsions (inquiétudes ou euphorie) des investisseurs ! En perdant de vue ses fondamentaux et en n’exerçant plus son “pouvoir de dire non”, le système bancaire a laissé le crédit s’emballer, celui-ci devenant pour les emprunteurs (Etats, particuliers, entreprises) une véritable drogue leur permettant de repousser les décisions difficiles. Pour retrouver un système sain, il faudra en passer par une période de sevrage de crédit.

L’égarement dans la quête de rentabilité
Concurrence minimale, garantie en cas de difficultés : les banques ont évolué dans un environnement “protecteur” on ne peut plus favorable ces dernières décennies. Un statut accordé au titre des services spécifiques qu’elles rendaient à l’économie qu’elles ont conservé alors que leur métier, lui, changeait. Les établissements financiers se sont montrés progressivement de moins en moins intéressés à faire du crédit, préférant s’aventurer sur des activités de placements pour compte propre plus rentables car engageant moins de fonds. En internationalisant le marché de leur dette, les Etats ont offert un support à ce type de démarche mais du même coup, la stabilité du lien entre le souscripteur et l’émetteur dans un cadre national s’est perdue.

D’où une volatilité accrue accentuée par le développement des contrats d’assurance sur ces titres (CDS). En délaissant la fonction de crédit utile pour une quête de placements rentables éloignée de leur vocation première (par exemple sur le marché de la dette souveraine), le système bancaire est devenu intrinsèquement un facteur de risque. Et ce danger n’a d’ailleurs pas manqué de se concrétiser. Ainsi dans le contexte de crise de confiance que nous connaissons voit-on le mauvais crédit tarir le bon et des agents économiques accumuler du cash sans recourir à l’endettement. Cette situation est préjudiciable car elle vient réduire les possibilités de croissance économique. C’est ce qui sévit actuellement en Europe continentale mais qui pourra très bien toucher demain l’Angleterre et après-demain la Chine ou d’autres pays émergents.

L’impératif de la mise sous contrôle des marchés
L’impératif de remettre sous contrôle les marchés comprend trois axes.
Premièrement, il faut que les banques ne spéculent plus. L’activité de spéculation doit être exclusivement réservée à des organismes spécifiques du type hedge funds à l’exclusion des banques de dépôts et de crédit.

Deuxièmement, il convient de limiter la taille des acteurs financiers. Et le faire non pas en valeur relative (pourcentage de capital) mais en valeur absolue car au- delà d’une certaine échelle, une institution financière de taille systémique devient structurellement dangereuse. Un “petit” hedge fund de 5 milliards de dollars par exemple n’inquiète pas, un hedge fund de 200, si.Le gigantisme est un mal de notre temps. Il sévit dans la finance comme dans bon nombre de domaines. Une banque deux fois plus grosse fait plus que doubler les problèmes potentiels…

Enfin, il faut avoir pour les produits financiers la même approche que pour les médicaments. Lorsque les effets secondaires avérés l’emportent sur les bénéfices attendus, alors il faut les interdire. Et comme doit le faire un laboratoire pharmaceutique, c’est à l’établissement financier de faire la preuve a priori de l’innocuité de son dernier produit financier. Lorsque les pouvoirs publics agissent a posteriori, c’est-à-dire quand les dégâts se sont matérialisés ou que la catastrophe est intervenue car alors il est trop tard pour chercher à comprendre !

En finir avec la “banque universelle”
La clé essentielle de l’assainissement est d’en finir avec la banque universelle. L’appellation “banque universelle” est sous son air sympathique tout à fait tartuffe. Car comment pourrait-on être contre quelque chose d’universel ! Mais ne nous y trompons pas. Derrière le mot il y a la réalité : réaliser sous le couvert de l’activité de banque de détail des opérations de spéculation. Dans tous les autres secteurs d’activité, on dit qu’il vaut mieux être sur un seul métier.

Or cette règle serait fausse – mais alors pour quelle raison ? – dans la finance. J’attends toujours des arguments convaincants en faveur des synergies entre la banque de marché et la banque de détail ! En réalité, ces deux univers n’ont rien à voir entre eux, que ce soit en termes de gestion du temps, des motivations, de rémunérations. Entre le banquier de marché et le banquier de détail, c’est bien plus que de l’incompréhension, du mépris. Seul le management supérieur peut avoir un intérêt personnel à cette coexistence mais en faisant prendre un grand risque aux parties tant il est vrai qu’une dynamique de marché ne se gère pas comme une clientèle. Mettre ces deux logiques ensemble implique la recherche d’un équilibre impossible à tenir. Il n’y a qu’en France où le modèle de la banque universelle continue à s’imposer.

Alors qu’en Angleterre ou aux Etats-Unis le débat fait rage, rien de tel chez nous ou alors en catimini. Comme avec l’exemple du nucléaire, la France montre qu’elle reste le pays des consensus atypiques. Ces derniers étant forgés sans discussion, ils sont fondamentalement fragiles et réversibles car les modes changent tout aussi vite. Pour l’heure, le statu quo bancaire va perdurer encore longtemps dans la banque si personne ne prend les évolutions en main. Les salles de marché sont toujours là et le débat s’enlise sur le bon niveau des niveaux des ratios prudentiels entre 8 et 9 %. L’on feint d’oublier que Dexia qui a failli en moins de deux mois avait pourtant un ratio de 13. C’est un peu comme si pour résoudre le problème de la sécurité routière, l’essentiel des efforts portait sur la taille des pare-chocs et non sur les règles de conduite.

Le coût à mutiples dimensions de la dérive
Avec la séparation des activités et la limitation de la taille des sociétés, le contrôle des produits financiers est le troisième axe de réformes. Selon Paul Volcker, la seule innovation financière véritablement utile des trente dernières années fut les distributeurs automatiques de billets. Cette remarque teintée d’ironie donne à réfléchir. L’utilité d’une innovation doit se mesurer à l’aune de ce qu’elle apporte en terme de sécurité ou de valeur ajoutée. Posons-nous la question par exemple de l’intérêt d’avoir face à un dollar de pétrole physique près de 50 dollars de papier pétrole.

Le marché du brut est-il mieux géré, plus stable qu’il y a vingt ans ? Pas vraiment, il y a plus de volatilité, cette dernière nourrissant les opérateurs à chaque transaction. La grande force de ces mécanismes est d’opérer des prélèvements minimes sur des milliers de transactions. Mais quel est l’apport en contrepartie de ces milliards gagnés par les banques ? Cela s’apparente aux prélèvements de ces faux protecteurs qui viennent offrir ses services de protection après avoir fait démolir la vitrine du commerçant par un tiers. Le poids d’un tel impôt privé prélevé sur l’économie est tout sauf négligeable. Le secteur financier s’est accru d’environ 5 points de PIB au cours des 15 dernières années, un prélèvement direct sur la richesse sans sécurité, ni stabilité supplémentaires.

C’est très cher payé. Sans compter les effets délétères sur les valeurs du “vivre-ensemble” de comportements frisant l’obscénité quant au niveau des rémunérations. C’est toutes les échelles que l’on retire, celle du temps de l’effort et même du marché. C’est la place du politique que l’on dévalorise et ce sont les soubassements de la société que l’on mine. Le coût de ces dévoiements qui touchent aux valeurs essentielles – le temps, le travail – n’est pas qu’économique, il est aussi mental. Et c’est l’idée même du crédit qui se perd en devenant une espèce de loterie permanente et instantanée alors que le crédit se fonde par définition sur la durée. Et que reste-t-il alors ? Pas grand-chose.

L’habileté des lobbies bancaires
L’action politique nécessite fondamentalement du temps. A fortiori quand elle mobilise 27 ou 17 Etats comme dans l’Union européenne ou la zone euro. Au fur et à mesure de la crise, la donne a basculé radicalement. Il y a trois ans, le G20 promettait de “s’attaquer” au problème des banques, aujourd’hui, le problème est devenu celui des Etats surendettés qui ne sont pas nécessairement d’accord entre eux. Les banques – et plus généralement les multinationales – ont été très habiles pour monter les Etats les uns contre les autres.

Elles ont su remarquablement se placer en dehors des projecteurs en laissant accroire que le problème bancaire avait disparu. Une pure illusion d’optique. La question bancaire reviendra un jour ou l’autre sous les feux de l’actualité car on n’a pas toujours pas corrigé les errements de trente ans d’un système parti à la dérive. Les arguments en défense des banques ne tiennent pas. Elles ont cherché à faire croire qu’aucune banque universelle n’a fait faillite. Faux, la Royal Bank of Scotland est le contre-exemple. Idem lorsqu’elles ont voulu faire croire qu’un “hair cut” sur une dette publique entraînerait les autres dettes par effet de contagion.

Plaidoyer pour une nouvelle convention
Nous n’avons pas besoin de revenir à des banques publiques. La garantie publique sur les avoirs bancaires est un bon système. Durant le XIXe siècle, cette garantie n’existait pas et c’était l’horreur. Mais aujourd’hui, la garantie de la collectivité est accordée sans aucune contrepartie. Les pouvoirs publics sont en droit d’exiger certaines obligations en retour et seraient même légitimes à demander une rémunération en échange de cette garantie. Cela n’aurait rien de choquant. Toute assurance a bien une prime ! Une banque et ses clients protégés, c’est un service qui mérite rétribution. Ou à tout le moins le respect de certaines obligations de service public (taille, contrôle…), voire des obligations plus spécifiques en direction de certaines clientèles (par exemple, le crédit aux PME).

Tout cela devrait relever d’une négociation conventionnelle. Les banques aiment se faire passer pour plus fragiles qu’elles ne le sont. Elles savent très bien soigner leur image et nul doute qu’elles tireraient profit de ces nouvelles conventions pour redresser leur cote vis-à-vis de l’opinion. Cette nouvelle donne peut être, j’en suis convaincu, un jeu gagnant-gagnant. Les banques sont nécessaires pour le bon fonctionnement de l’économie de marché et elles doivent pouvoir gagner de l’argent. En revanche, il importe que l’activité de spéculation qui peut tenter des actionnaires n’ayant pas froid aux yeux, relève d’établissements séparés et réglementés à part.

Aux Etats-Unis, les banques n’ont plus le droit de spéculer pour compte propre. Le lobby bancaire français crie à la persécution, au complot anglo-saxon et veut faire croire que notre système est en avance. Mais ces affirmations ne visent qu’à fermer le débat, ce qui revient à pratiquer la politique de l’autruche. Quand on se retrouve seul contre tous, il faut toujours s’interroger sur la pertinence de ses choix. L’impulsion à évoluer viendra peut-être de l’interne tant les tensions semblent fortes entre la banque de détail et la banque d’investissement au sein des établissements. Les esprits à la base sont demandeurs d’une séparation mais le blocage se fait à l’échelon supérieur dans les états-majors et chez les régulateurs. Un petit monde replié sur lui-même que j’ai tenté de faire découvrir comme un entomologiste dans mon livre. Et que j’imagine bousculé par les réseaux sociaux.

Bio express
L’indigné

A l’instar du groupe d’activistes qui se met au travers des financiers cupides dans son “roman financier” (555 – Jeudi Rouge), Jérôme Cazes cultive l’indignation positive en dénonçant les dérives bancaires. Un monde que cet énarque – ENSAE a côtoyé de près dans sa dimension internationale – il a été chef du bureau analyse et prévision à la Direction des relations économiques extérieures du ministère de l’Economie – et professionnelle en rejoignant à partir de 1989 l’assureur-crédit Coface jusqu’à en devenir son directeur général. Depuis son départ de cette société “en raison de divergences avec l’actionnaire” à la fin de l’année 2010, il observe en spectateur inquiet et engagé les évolutions de la sphère financière.

*A lire : 555 jeudi rouge par Jérôme Cazes (éditions Sépia ou sur http://555jeudirouge.fr)
Par Philippe Plassart

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