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16 avril 2012

Evasion fiscale : une banque suisse au cœur du soupçon

Sur SUD OUEST

 

Près de 100 milliards d'euros seraient placés en Suisse. Un livre dénonce aujourd'hui le rôle de la filiale française d'UBS, la plus grande banque suisse.

Un climat dégradé chez UBS a délié les langues et permis de mettre en lumière des pratiques douteuses.
Un climat dégradé chez UBS a délié les langues et permis de mettre en lumière des pratiques douteuses. (photo FABRICE COFFRINI/afp)
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Leader mondial de la gestion de fortune, la banque suisse UBS ne plaisante guère avec la tenue vestimentaire de ses collaborateurs. Chaussures noires à lacets avec semelle en cuir et costume anthracite pour les hommes. Chemisier blanc avec des dessous couleur chair pour les femmes. Fermement recommandée, cette façon de s'habiller se veut le reflet d'une culture d'entreprise exigeante. « Nous transmettons par ce biais ce que nous entendons concrètement par les notions de vérité, de clarté et de performance », écrivent les dirigeants d'UBS dans le manuel interne des bonnes conduites.

Autant de valeurs dont on peut parfois mettre en doute l'existence à la lecture de l'enquête d'Antoine Peillon, « Ces 600 milliards qui manquent à la France » (1). Grand reporter au quotidien « La Croix », le journaliste s'est plongé dans le puits sans fond de l'évasion fiscale. Selon certaines estimations, les avoirs privés français placés en Suisse et non déclarés au fisc s'élèveraient désormais à près de 100 milliards d'euros. Pour le plus grand profit, entre autres, des actionnaires d'UBS, l'un des principaux horlogers du business de la délocalisation de capitaux.

L'exemple américain

Aux États-Unis, la banque suisse n'a pu faire autrement que d'acquitter une amende de 615 millions d'euros et de coopérer avec le fisc. Après avoir découvert qu'elle avait facilité l'évaporation de 17 milliards de dollars et l'ouverture de 52 000 comptes clandestins, les autorités américaines menaçaient de lui retirer sa licence.

En France, la justice se hâte beaucoup plus lentement. Depuis 2009, à trois reprises, des cadres d'UBS ont dénoncé à l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), le gendarme des métiers de la banque, les opérations illicites dont ils auraient eu connaissance. Mais il a fallu attendre mars 2011 pour que la Banque de France saisisse officiellement le parquet de Paris.

Cela ne semble pas inquiéter outre mesure la banque suisse. « Ces accusations, récurrentes depuis trois ans, sont fausses et ne reposent sur aucun fondement, assure l'un de ses porte-parole. Elles émanent d'anciens collaborateurs ayant engagé des procédures prud'homales à l'encontre d'UBS sans que le tribunal n'ait souscrit à ces reproches. » Les limiers de la douane judiciaire, en charge de l'enquête, adopteront-ils la même position ?

Ils disposent, semble-t-il, d'une liste de près de 120 chargés d'affaires suisses soupçonnés d'opérer illégalement sur le territoire français. « Ils vendent de l'évasion fiscale clés en main, soutient Antoine Peillon. Cela comprend les conseils d'avocats spécialisés, les services d'éventuels convoyeurs et presque toujours la création de sociétés-écrans dans les paradis fiscaux exotiques. » Les nouveaux riches les intéresseraient davantage que les héritiers, les rentiers et les grandes familles, habitués de longue date aux coffres-forts suisses. À l'image des Bettencourt, dont quatre des douze comptes cachés étaient ouverts à UBS.

Des liasses de billets traversent toujours la frontière en voiture, parfois sur le dos de skieurs ou en bateau par le lac Léman. Mais le procédé tend à disparaître. Les fraudeurs font en sorte que leurs revenus soient directement versés sur des comptes offshore à Panama ou dans quelque îlot ensoleillé.

Ils sont gérés par des hommes de paille qui routent ensuite les capitaux vers Zurich ou Genève. Les grandes banques françaises, qui disposent de centaines de filiales dans les paradis fiscaux, sont naturellement en capacité d'offrir des services de cette nature.

« Selon mes sources, UBS ne réalise qu'environ un vingtième du montant de ces opérations, convient Antoine Peillon. Mais ses méthodes passent pour être un modèle. » Elles reposent notamment sur l'organisation d'événements mondains. Expositions, concerts, tournois de tennis servent de support aux invitations lancées à des sportifs, des artistes et des chefs d'entreprise triés sur le volet. En 2008, la succursale bordelaise de l'UBS s'était naturellement inscrite dans cette démarche lorsqu'elle avait voulu mettre sur pied une rencontre très BCBG au Château du Tertre, un grand cru classé du Médoc, propriété d'un milliardaire hollandais.

Carnet de lait et fichier vache

Pendant des années, Stéphanie G. a veillé à la bonne tenue de ces agapes. Dans un témoignage transmis à la justice, elle avoue qu'elles se déroulaient en présence des chargés d'affaires suisses alors qu'ils avaient pourtant l'interdiction de faire du démarchage dans l'Hexagone. En une décennie, des milliers de VIP français à la bourse rebondie ont ainsi été conviés à ces festivités placées sous le signe de l'offshore. Antoine Peillon s'attarde surtout sur les icônes du football hexagonal, les Zinedine Zidane, Laurent Blanc et autres Marcel Dessailly, le cœur de cible du département Sport et Entertainement d'UBS France. Combien de people et de capitaines d'industrie approchés ont-ils fini par passer la frontière ? La digue du secret bancaire n'a pas encore cédé. Mais les traces écrites des efforts déployés par certains commerciaux ne manquent pas. En conflit avec leur employeur, près d'une vingtaine de collaborateurs de la filiale française, forte de 250 salariés, ont saisi les prud'hommes. Beaucoup de langues se sont déliées. « J'étais au courant des pratiques dites illégitimes… J'ai participé à des réunions où était évoqué le transfert de fonds sans déclaration », confesse l'ex-directeur de la succursale bordelaise.

« UBS est soumise à des procédures multiples de contrôle tant interne qu'externe et de vérification de la conformité de son action à la loi », réplique un porte-parole de la banque. Sur la base de nombreux témoignages, Antoine Peillon affirme pourtant qu'il a existé au moins jusqu'à 2007 une double comptabilité. Les fonds collectés clandestinement apparaissaient sur un document manuscrit baptisé « carnet de lait » avant d'être reportés dans une base de données confidentielles, « le fichier vache ». Une terminologie plutôt pastorale, puisée aux sources d'une Suisse bucolique, mais dont la signification saute pourtant aux yeux. Vu de Zurich ou de Genève, la France ressemble à une vache à traire !

(1) « Ces 600 milliards qui manquent à la France. Enquête au cœur de l'évasion fiscale », d'Antoine Peillon, éd. Le Seuil. 15 €.

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