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4 juillet 2012

Une politique d’austérité avec l’ISF pour cache-sexe

| Par Laurent Mauduit

 

Ce n’est pas vraiment une politique économique nouvelle que Jean-Marc Ayrault a présentée lors de sa déclaration de politique générale, ce mardi 3 juillet, devant l’Assemblée nationale. C’est plutôt une sorte de troc proposé au pays : accepter la poursuite de la politique d’austérité déjà engagée par le gouvernement précédent, mais avec quelques amendements, et en particulier la mise en œuvre de mesures fiscales de portée d’abord symbolique pesant sur les contribuables les plus fortunés.

Étrange discours, en effet. Ce n’est pas seulement le souffle qui n’y était pas – ânonnant son propos, trébuchant souvent sur les mots, le premier ministre n’a rien fait pour enthousiasmer son auditoire ni faire rêver le « peuple de gauche » –, c’est surtout qu’il s’est bien gardé de fixer une réorientation en profondeur de la politique économique.

On savait depuis longtemps que 2012 n’aurait guère de point commun avec 1981 ; que la politique économique de l’offre, favorable aux entreprises, ne serait pas abandonnée au profit d’une politique plus favorable à la demande ; qu’une politique de relance ne serait pas plus de saison. Mais enfin ! Pour présenter le cap économique qu’il va suivre, Jean-Marc Ayrault n’a pas même pris soin d’enrober les choses. Car le cap restera globalement inchangé : ce sera celui de l’austérité, tout juste amendé à la marge par des mesures fiscales correctrices, pesant sur les plus grandes fortunes. 

Ce discours très déceptif de Jean-Marc Ayrault n’est certes qu’une demi-surprise. Car depuis plusieurs jours, le gouvernement a clairement fait comprendre qu’il conduirait une politique économique frappée d’une très grande orthodoxie – pour ne pas dire une politique économique d’inspiration franchement néo-libérale. Il y a donc d’abord eu le choix très révélateur de n’accorder au Smic qu’un « coup de pouce » ridiculement bas de 0,6 %, soit 2 % inflation comprise, au 1er juillet, alors que le pouvoir d’achat des Français va connaître une chute en 2012 sans précédent depuis 1984 (lire La triple faute de François Hollande). Il y a eu ensuite l’envoi par le premier ministre, en fin de semaine dernière, à tous les membres de son gouvernement, de « lettres de cadrage » fixant des priorités budgétaires pour 2013-2015 aussi draconiennes que celles mises en œuvre par le gouvernement précédent, celui de François Fillon, et même plus sévères en certains cas (lire L’austérité, c’est maintenant !). On a appris à cette occasion que tous les crédits d’équipement du budget de l’État baisseraient de 15 % sur ces trois années, tout comme les crédits d’intervention qui regroupent notamment les crédits sociaux de l’État.

Ce cap-là, très décevant, ce cap d’une politique budgétaire marquée par l'austérité, Jean-Marc Ayrault l’a confirmé lors de son discours de politique générale. CQFD ! Le cadrage de la politique économique d’ensemble restera globalement inchangé, marqué par une double rigueur : rigueur salariale et rigueur budgétaire.

 

 

La réforme Piketty à la trappe ?

Du même coup, la plupart des réformes économiques annoncées ce mardi par Jean-Marc Ayrault ont pris une curieuse résonance : elles ont pris des allures d’alibi ou de cache-sexe. Sous-entendu : le cap de la politique économique, budgétaire et salariale ne changera pas vraiment, mais la politique fiscale, si. Ou du moins, un petit peu.

Le premier ministre a ainsi confirmé que le projet de loi de finances rectificatives, qui sera examiné mercredi 4 juillet en conseil des ministres, comprendra une ribambelle de mesures fiscales visant pour l’essentiel à annuler les cadeaux fiscaux faits aux plus riches. Le relèvement du seuil d’imposition de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) – qui avait vidé l'impôt de moitié – sera donc annulé, de même que les allègements des droits de succession décidés en juillet 2007. Le même projet de loi annulera aussi la hausse de la TVA que Nicolas Sarkozy avait fait voter, avec entrée en vigueur le 1er octobre prochain. Dans la foulée, la réforme très controversée et coûteuse des allègements de charges sociales au profit des heures supplémentaires voulues par Nicolas Sarkozy passera à la trappe, grâce toujours à ce « collectif budgétaire ».

Et pour le plus long terme, Jean-Marc Ayrault a annoncé que le projet de loi de finances pour 2013, qui sera soumis au Parlement à l'automne, comprendra des mesures fiscales complémentaires notamment pour l'impôt sur le revenu, avec, à la clef, l’instauration de deux nouveaux taux d’imposition à 45 % (au-dessous de 150 000 euros de revenus imposables) et à 75 % (pour les revenus supérieurs à 1 million d’euros), la suppression ou la minoration de certaines « niches fiscales » et l’alignement progressif de la fiscalité des revenus du capital sur celle applicable aux revenus du travail.

C’est donc ici que réside le troc que Jean-Marc Ayrault a proposé au pays : la politique budgétaire restera inflexible, et presque tout autant la politique salariale, mais la politique fiscale sera corrigée des excès les plus sulfureux des années Sarkozy.

Oui, un troc ! Le terme n’est pas excessif. Car même sur le plan fiscal, s’il a joué de quelques symboles, Jean-Marc Ayrault n’a pas franchement défini une véritable politique alternative. Que l’on se souvienne en effet de ce qu’était l’ambition des socialistes voici encore à peine un an. Il s’agissait de conduire une véritable « révolution fiscale », dont l’un des piliers devait être la reconstruction d'un véritable impôt général sur tous les revenus. S’inspirant des travaux de l’économiste Thomas Piketty, il s’agissait de fusionner l’impôt sur tous les revenus et la Contribution sociale généralisée (CSG), et de redessiner un barème d’imposition authentiquement progressif.

Or, au cours de la campagne présidentielle, l’un des principaaux collaborateurs de François Hollande, Jérôme Cahuzac, aujourd’hui ministre du budget, a suggéré que la fusion n’aurait peut-être pas lieu ou alors seulement « à terme ». Et François Hollande a alors sorti de sa hotte cette fameuse proposition d’une taxation à 75 %, qui a le mérite politique de faire beaucoup de bruit, mais qui au plan fiscal a un effet dérisoire, puisqu’elle ne concernerait que de 3 500 à 5 000 contribuables pour un gain dérisoire de 200 millions d’euros (lire Fiscalité : Hollande invente la fiscalité Canada dry et Piketty à Hollande: davantage d’audace !).

 

 

Les petites phrases elliptiques de Pierre Moscovici

Or, et c’est évidemment très révélateur, Jean-Marc Ayrault a fait des grands roulements de tambour sur l’annulation des mesures fiscales les plus sulfureuses de Nicolas Sarkozy ou sur l’instauration d’un taux d’imposition à 75 %, mais il n’a pas fait mention de cette grande réforme fiscale promise par les socialistes depuis de nombreuses années. Est-elle passée à la trappe ? Le fait que le premier ministre ne l’ait qu'évoquée de manière très générale (« l’impôt sur le revenu sera rendu plus juste, plus progressif et plus compréhensible ») n'est pas pour rassurer. Car si le projet du PS avait un incontestable ancrage à gauche, c'était d'abord à cause de cette grande réforme fiscale dont il n'est aujourd'hui plus question.

Cette ambiguïté qui marque la politique économique socialiste n’est pas la seule. D’autres petites phrases, lâchées ici ou là ces derniers jours, par divers membres du gouvernement viennent nourrir des inquiétudes voisines. Alors qu’une rumeur insistante laisse entendre que le gouvernement pourrait ne pas honorer totalement son engagement d’un doublement du plafond du Livret A (de 15 300 à 30 600 euros) annoncé pour financer le logement social, le ministre des finances, Pierre Moscovici, lui a donné consistance, en annonçant mardi, en marge des rencontres financières internationales organisées par l'association Paris Europlace, que la réforme n’entrerait en vigueur que progressivement, « au rythme des besoins », avec notamment la préoccupation de ne pas « déstabiliser les acteurs concernés ».

Une sollicitude que les grands banquiers de la place, car ce sont naturellement eux ces acteurs concernés, apprécieront sûrement, mais qui ne sera pas de nature à rassurer les défenseurs de l’épargne populaire ni les organismes qui œuvrent dans le domaine du logement social. Jean-Marc Ayrault lui-même a usé d’une formule vosine : « Le plafond du Livret A, qui permet notamment de financer le logement social, sera relevé, en fonction des besoins. » Donc pas totalement ? Pas tout de suite ?

Le 28 juin, devant le Salon « Planète PME » organisé par les petits patrons de la CGPME, le même Pierre Moscovici a aussi lâché, au fil de son discours (il est ici), une petite phrase qui retient, elle aussi, l’attention, car elle relève les ambiguïtés de la politique économique choisie : « La conférence sociale convoquée par le premier ministre les 9 et 10 juillet posera aussi les premiers jalons d’une politique de compétitivité : elle sera l’occasion pour l’État et les partenaires sociaux, y compris les organisations patronales, d’aborder des questions touchant notamment au fonctionnement du marché du travail, et de débattre des moyens de fonder une nouvelle politique de compétitivité pour notre économie. »

Réforme du marché du travail, nouvelle politique de compétitivité : les mots choisis par le nouveau ministre des finances étaient suffisamment flous pour autoriser toutes les interprétations. Et plaire à tous les auditoires, y compris patronaux.

Mais enfin ! Si l’on ne s’en tient qu’aux engagements pris par Jean-Marc Ayrault – et non au jeu de positionnement de tel ou tel ministre –, le constat saute aux yeux. Le gouvernement n’a pas seulement renoncé à conduire une politique de relance ; il a tout autant renoncé aux deux grands leviers de réductions des inégalités que pourraient constituer une politique salariale dynamique et une politique fiscale ambitieuse.

En quelque sorte, Jean-Marc Ayrault va revenir sur les plus invraisemblables dérives de la politique de Nicolas Sarkozy, en espérant que le pays lui pardonne, du même coup, de mantenir les autres les grandes priorités économiques des années passées. Sans vraiment remettre en cause les dérives profondes d'un système qui a conduit à une crise historique...

 

 

 

 

 

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Commentaires
J
et réforme fiscale, oui... nous sommes exactement sur la même longueur d'onde, Babelouest.
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B
Bien entendu, comme il fallait le craindre, pas d'audit de la dette, alors que c'est un élément déterminant de la lourdeur budgétaire.<br /> <br /> <br /> <br /> Les lobbyistes qui rôdent autour des personnalités politiques ont bien travaillé. Étonnant que ces malfaisants ne finissent pas en prison, eux, et leurs patrons.
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