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30 juillet 2012

L’Espagne saccagée par ses dirigeants: Le chat de Felipe gonzalez

Sur LE MONDE DIPLOMATIQUE

L’Espagne saccagée par ses dirigeants

 

 

Le chat de Felipe González

Tout récit a pour point de départ un lieu et un moment déterminés. La crise m’affecte directement : nombre de mes amis espagnols sont en train d’en subir toute la furie dévastatrice. Ils sentent que l’avenir est jalonné d’incertitudes et voient, stupéfaits, la normalité d’un pays européen se disloquer jour après jour, emportée dans la course folle d’un pouvoir à deux têtes, le Parti populaire (PP) et le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), incapables l’un comme l’autre de fournir la moindre explication à ce qui a mal tourné hier, à ce qui tourne mal aujourd’hui, et surtout à ce qui pourrait tourner plus mal encore demain.

On suppose que le rôle d’un gouvernement est de façonner le récit de la société, de ses contradictions et de ses problèmes ; or un tel récit n’existe pas et n’a jamais existé en Espagne. Et ce pour la bonne raison que, depuis la mort de Franco et le début de la transition vers la démocratie (1), les responsables politiques ont érigé la paresse intellectuelle en marque de fabrique. Jamais n’a été pensé un modèle de fonctionnement viable pour le pays. Lorsqu’on relit, comme je l’ai fait, les déclarations au Parlement ou les discours électoraux, on y cherche en vain la moindre expression d’une idée pour la société espagnole.

Le seul homme d’Etat qui ait jamais entrepris un tel récit fut Manuel Azaña, le dernier président de la République avant le coup d’Etat franquiste. Il n’y en eut pas d’autre, parce que la grande carence de l’Espagne tient à l’inexistence d’une bourgeoisie éclairée, qui découle elle-même de l’absence d’hommes d’Etat.

La seule déclaration marquante, c’est la devise du dirigeant chinois Deng Xiaoping, citée en son temps par Felipe González (2) : « Peu importe que le chat soit blanc ou noir, du moment qu’il attrape les souris. » A partir de cette métaphore, dont la signification a fini par s’imposer à toutes les situations sociales, économiques, culturelles et politiques du pays, je vais tenter de construire un récit qui permette de comprendre ce qui s’est passé, ce qui se passe et pourquoi. En tant que citoyen européen, j’ai besoin d’un récit qui rende intelligible notre présent de cauchemar et qui m’aide à trouver la sortie, avant qu’il ne s’empare de moi, tel le portrait maudit de Dorian Gray.

par Luis Sepúlveda, août 2012
Aperçu

Il faisait froid à Madrid en cette matinée du 4 février 1988 ; mais la rudesse de l’hiver se ressentait dans la rue, et non dans la salle confortablement chauffée du Palais des congrès. A l’invitation de l’Association pour le progrès de la direction (APD), un bon millier de chefs d’entreprise buvaient les paroles de Carlos Solchaga, le ministre de l’économie et des finances du gouvernement socialiste de Felipe González : « L’Espagne est le pays d’Europe et peut-être du monde où l’on peut gagner le plus d’argent à court terme. Il n’y a pas que moi qui le dis : c’est aussi ce qu’affirment les consultants et les analystes boursiers. »

L’ovation recueillie par le ministre fit grimper la température à un niveau tropical. Le PSOE parlait clair et sans chichis : l’Espagne était un pays où seuls les idiots ne devenaient pas riches — ou négligeaient de se convaincre qu’ils l’étaient. Le fonctionnement de l’économie, le principe de solidarité, la conception sociale-démocrate du bien-être, une analyse de gauche des origines de la richesse : tout cela et tout le reste avait été balayé sur la voie glorieuse qui devait conduire la société à ne plus se reconnaître que dans la fortune et, de surcroît, dans une fortune « à court terme ».

Comment un pays cède-t-il aux sirènes de l’argent facile ? Les arguments avancés par les économistes pour expliquer la crise mondiale éludent un fait essentiel : non seulement le système capitaliste a échoué dans son ensemble, mais, dans le cas particulier de l’Espagne, cet échec a été amplifié par la transition ratée d’une dictature nationale-catholique à un Etat démocratique ayant pour seule obsession de tourner la page.

L’incorporation à la communauté des nations européennes a rendu impossible ou inaudible toute discussion sur la nature du chantier démocratique. L’expérience républicaine fut ignorée, sans que l’on s’inquiétât du prix à payer pour l’absence de référents historiques, ni pour le désir d’Occident qui nous jeta dans les bras de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) à la fin (...)

Taille de l’article complet : 3 940 mots.
Retrouvez la version intégrale de cet article dans Le Monde diplomatique d’août 2012, actuellement en kiosques, et dans l’édition électronique.

Luis Sepúlveda

Ecrivain chilien vivant en Espagne. Dernier ouvrage paru en français (avec Daniel Mordzinski) : Dernières Nouvelles du Sud, Métailié, Paris, 2012.

(1) A la mort du général Francisco Franco, le 20 novembre 1975, la monarchie est restaurée. Juan Carlos Ier engage alors un processus de transition démocratique. (Toutes les notes sont de la rédaction.)

(2) Président du gouvernement espagnol de 1982 à 1996.

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